Aria n'eut pas le temps de réagir. La silhouette se fondit dans l'ombre, disparaissant aussi soudainement qu'elle était apparue. La brume se resserra autour d'elle, étouffante, comme si les ténèbres voulaient l'engloutir tout entière. Mais ce n'était pas la brume qui la terrifiait. C'était ce qu'elle venait d'entendre. Ce cri, ce hurlement... un appel à l'aide, un appel de souffrance.

Elle se tourna vers Darius, cherchant sa silhouette dans la pénombre. Il avait disparu dans la direction d'où venait le cri. Un frisson de peur parcourut ses veines. Le lien qu'elle ressentait avec lui, aussi confus et effrayant qu'il soit, lui disait qu'il était en danger. Et même si elle n'était pas prête à l'admettre, une partie d'elle savait que ce danger, elle ne pouvait l'ignorer. Pas cette fois.

Un bruit sourd, suivi d'un éclat métallique, déchira la nuit. Aria se précipita en avant, poussée par une force qu'elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas où elle allait, mais une chose était claire : elle devait suivre Darius. Elle devait comprendre ce qui se passait.

Les arbres semblaient se resserrer autour d'elle, mais ses pas ne faiblirent pas. Elle se fraya un chemin à travers les ombres mouvantes, chaque pas résonnant dans le silence lourd. Le vent se leva brusquement, hurlant à ses oreilles, comme une menace invisible.

Soudain, elle aperçut une silhouette en haut d'une colline, immobile dans l'obscurité. Elle la reconnut immédiatement : Darius. Mais il n'était pas seul. Autour de lui, des ombres se mouvaient, se déployant dans la nuit. Des formes de loups, leurs yeux brillant d'une lueur malsaine.

Aria ralentit. Elle s'approcha furtivement, repliant son corps dans les ombres, mais ses pieds glissèrent sur le sol humide, faisant un bruit sec. Darius se tourna instantanément, son regard perçant la pénombre, l'immobilisant sur place.

- Aria. murmura-t-il, la voix glacée.

Il n'avait pas l'air surpris, ni même en colère. Juste fatigué. Déçu, presque.

- Tu n'aurais pas dû venir. Tu ne devrais pas être ici.

Aria ne répondit pas immédiatement. Ses yeux scrutèrent les loups autour de lui. Ces créatures n'étaient pas comme les autres. Elles n'avaient rien d'humaines. Leur corps était plus massif, leurs griffes plus longues, leurs yeux plus rouges. Des loups, oui. Mais aussi quelque chose de plus. Quelque chose de maléfique.

- Darius, qu'est-ce que c'est ? murmura-t-elle, la peur s'immisçant dans sa voix.

Un sourire noir se dessina sur le visage de Darius. Il baissa légèrement la tête, comme s'il hésitait, puis il se tourna vers l'une des créatures. Il hocha la tête d'un air las.

- Ce sont les Ombres. La meute. Celle que tu n'as pas encore rencontrée.

Les Ombres. Les plus dangereuses. Les plus sauvages. Aria frissonna en entendant ces mots. Elle savait que ces loups n'étaient pas comme les autres, mais cette révélation, cet instant où la vérité frappait de plein fouet, lui serra le cœur.

- Pourquoi sont-ils ici ? demanda-t-elle, son souffle court.

Darius se tourna vers elle. Un regard lourd de secrets, de non-dits. Un silence s'étira, lourd de sens, avant qu'il ne réponde, presque pour lui-même :

- Parce que le temps des choix est venu. Parce que la Lune a parlé. Et parce que tu n'as pas encore compris que tout ceci fait partie du jeu.

Il fit un geste, et les Ombres avancèrent, lentement, encadrant Aria et Darius. Chaque mouvement, chaque respiration, chaque geste était calculé. Darius, les yeux fixés sur elle, semblait préparer quelque chose. Un mouvement final. Mais lequel ?

Aria s'écarta légèrement, son cœur battant à tout rompre, la pression dans sa poitrine devenant presque insupportable. Elle savait que quelque chose de terrible allait se passer. Mais elle n'était pas prête à le laisser.

Soudain, elle entendit un cri déchirer la nuit, un cri de douleur, un cri familier.

Kieran.

Son cœur se serra. Le cri venait de l'intérieur de la forêt. Kieran, ou plutôt, la douleur de Kieran. C'était un appel, un appel à l'aide. Mais qui l'appelait ?

Darius tourna la tête à la mention de ce nom, et l'expression sur son visage changea instantanément. Une sorte d'inquiétude se fit jour dans ses yeux, mais elle fut rapidement masquée par un masque de fer.

- Non... murmura-t-il. Ce n'est pas encore le moment.

Un autre cri, plus fort cette fois, résonna dans l'air. Aria n'attendit pas une seconde de plus. Elle se précipita vers l'endroit d'où provenaient les bruits, une force irrésistible la poussant à avancer. Les Ombres ne bougèrent pas, observant son geste sans intervenir.

Darius, lui, resta immobile, l'ombre de son passé derrière ses yeux. Ce n'était pas lui qui allait la suivre cette fois.

- Aria... ne va pas là-bas. Ce n'est pas ce que tu crois.

Mais elle n'entendit plus. Elle n'entendait plus rien. Elle courait. Vers lui. Vers la vérité.

Vers son destin.

Aria s'élança dans la nuit, son corps réagissant aux appels silencieux de Kieran. Le vent hurlait autour d'elle, emportant avec lui les bruits du monde, ne laissant que le battement sourd de son cœur. Les ombres dansaient autour de ses pas, se tordant comme des spectres, mais elle ne s'arrêta pas. La forêt se refermait sur elle, les arbres géants s'élevant comme des géants endormis, leurs branches effleurant presque le sol. Mais elle n'y prêta aucune attention.

Tout ce qu'elle ressentait, c'était la douleur qui l'envahissait. La douleur de Kieran, la douleur d'un lien brisé, d'une âme perdue. Sa peau chauffait sous l'effet de la marque, une chaleur qui était maintenant synonyme de souffrance. Chaque pas semblait l'éloigner du monde réel, chaque respirations plus lourde que la précédente. Elle savait qu'elle s'approchait de quelque chose. Que ce cri, ce hurlement, étaient les prémices d'un cataclysme à venir.

La forêt se fit plus dense, la brume épaississant encore. Aria s'arrêta brusquement en apercevant une silhouette au loin, au bout d'un sentier dérobé, la lueur d'une torche vacillant dans la nuit noire. C'était lui. Kieran.

Il se tenait là, sur un promontoire rocheux, les yeux dans le vide, comme s'il ne la voyait pas. Ses vêtements étaient déchirés, son visage marqué par les ravages de la douleur. Ses mains tremblaient légèrement, et une lueur étrange brillait dans ses yeux. Mais il ne bougeait pas. Il restait figé, comme un spectre pris dans un rêve terrible.

Aria fit quelques pas hésitants en avant, son cœur battant à tout rompre.

- Kieran ! cria-t-elle, sa voix se brisant sous la tension.

Aucun mouvement. Pas un mot. Juste un silence lourd, oppressant. Elle sentit un frisson glacé courir le long de son échine. Quelque chose n'allait pas. Elle s'approcha davantage, prête à poser une main sur son épaule, quand soudain, une éclatante lumière dorée jaillit, l'enveloppant.

Elle recula brusquement, les yeux écarquillés. La lumière, presque aveuglante, tourbillonnait autour de Kieran comme un tourbillon. Ses yeux s'ouvrirent enfin, mais ce n'était plus lui qu'elle voyait. C'était... autre chose.

Une forme noire et lumineuse, qui semblait se nourrir de l'énergie du ciel, surgit de son corps. Elle était grandiose, terrifiante. Les ombres des créatures alentours semblaient se tordre sous son pouvoir, la brume elle-même se dissipant sous sa présence. Aria sentit son corps se figer, comme prise dans un piège invisible.

Kieran, ou ce qui était devenu de lui, leva la tête, et ses yeux se fixèrent sur elle, emplis d'une lueur étrange. Il parla, mais sa voix n'était plus celle qu'elle connaissait.

- Aria, murmura une voix douce, mais emplie de mille échos. Tu n'aurais pas dû venir.

Le vent se leva autour d'eux, emportant les feuilles dans une danse frénétique. Aria se sentit submergée par une vague d'émotions contradictoires : peur, colère, confusion. Elle savait ce qu'il venait de dire, mais cela n'avait aucun sens. Il l'avait appelée. Lui, qui, à l'instant, semblait prisonnier de cette forme.

- Kieran, c'est toi ? articula-t-elle, le souffle court.

Il esquissa un sourire, mais ce n'était pas le sourire qu'elle connaissait. Il était froid, presque cruel, et son regard la traversait.

- Non, murmura-t-il. Je ne suis plus Kieran. Pas celui que tu cherches. Celui que tu connais est mort. Et à présent, c'est lui qui vit en moi.

Un frisson glacé envahit Aria, son esprit tourbillonnant sous la gravité de ses paroles. Elle voulait reculer, mais ses jambes étaient comme figées dans la terre.

- Qui... qui est lui ? demanda-t-elle, la voix tremblante.

Kieran- ou ce qui en restait- hocha lentement la tête, comme une fatalité qu'il ne pouvait éviter. Ses yeux brillèrent, une lumière surnaturelle venant les faire scintiller d'une teinte dorée.

- Il est celui que tu redoutes le plus. Celui dont la Lune t'a marquée. Celui qui te pousse à revenir, toujours, encore et encore.

Il fit un mouvement lent, presque hypnotique, et la brume se resserra autour d'eux. Aria sentait son cœur battre plus vite, chaque battement résonnant comme une alarme. Ce n'était pas un simple destin qu'elle vivait. C'était un piège. Un piège que la Lune, dans sa froide sagesse, avait tendu pour l'attirer dans l'obscurité.

Il s'approcha d'elle, ses pas lourds, pesants. Et dans ses yeux, la vérité apparut.

- Je suis ton choix, Aria. Tu n'as pas le pouvoir de fuir. Ni de décider.

Elle frissonna, la réalité de ses paroles frappant comme un coup de tonnerre. Ce qu'elle avait cru être un simple lien d'amour, un lien qui l'attirerait vers son âme sœur, n'était que le début d'un cauchemar. Celui qui la liait à Kieran, à cet être, n'était pas un choix. C'était une malédiction.

Kieran s'arrêta juste devant elle, et la lumière de ses yeux s'intensifia encore. Aria sentit le sol sous ses pieds se dérober.

- Tu es en train de choisir, murmura-t-il, une lueur d'amusement dans la voix. Le piège se referme. Et il n'y a plus de retour en arrière.