Elle n'aimait pas cet appartement exigu qui empestait l'alcool et la fumée de cigarette. Depuis des années, son père sombrait dans un puits sans fond de dettes et d'illusions perdues, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il ait une nouvelle catastrophe à lui annoncer.
Il s'arrêta brusquement, ses yeux fatigués cherchant à éviter les siens.
- Lina... ma fille... je n'avais pas le choix.
Un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale.
- De quoi tu parles ?
Elle vit son père prendre une profonde inspiration, comme un homme sur le point de plonger dans une mer noire et sans fond.
- Alessandro De Luca.
Le silence qui suivit fut assourdissant.
Elle sentit sa gorge se nouer. Ce nom, elle le connaissait. Tout Naples le connaissait. Alessandro De Luca n'était pas »seulement un homme, il était une légende sombre, un spectre qui planait sur la ville. Chef impitoyable de l'un des clans mafieux les plus puissants, il était craint et respecté.
- Qu'est-ce que tu as fait, Papa ? chuchota-t-elle, redoutant la réponse.
Il détourna les yeux, fixant un point invisible sur le mur.
- J'ai... j'ai signé un accord avec lui.
Elle se leva brusquement, sentant le sol vaciller sous ses pieds.
- Un accord ?! Quel genre d'accord ?!
Son père vida son verre d'un trait avant de s'appuyer lourdement contre le mur.
- Mes dettes, Lina. Elles étaient devenues ingérables. J'étais au bord du gouffre, ils allaient me tuer. Alessandro a proposé un marché...
Elle recula d'un pas, une terreur sourde grandissant dans sa poitrine.
- Dis-moi que ce n'est pas ce que je crois...
- Tu dois l'épouser, Lina, lâcha-t-il dans un souffle, la voix brisée.
Le monde s'arrêta.
Lina sentit une onde glaciale la traverser, une douleur fulgurante lui déchirant le ventre.
- Non...
- Il a dit que tu devais porter son héritier. En échange, il efface toutes mes dettes et me laisse en vie.
Elle porta une main tremblante à sa bouche.
- Comment as-tu pu... ?
Son père s'avança vers elle, les yeux brillants d'un mélange de honte et de désespoir.
- Je n'avais pas le choix ! Tu crois que je voulais ça ?! Mais c'est soit ça, soit ils me mettent une balle dans la tête, Lina !
Elle aurait voulu hurler, frapper, tout briser autour d'elle.
- Et moi ?! Tu crois que j'ai le choix, moi ?!
Une larme roula sur sa joue, mais elle l'écrasa aussitôt. Elle ne pleurerait pas. Pas maintenant.
Un coup sec retentit à la porte. Son père sursauta.
- Ils sont là.
Lina sentit ses jambes se dérober sous elle.
La poignée tourna, et deux hommes en costume noir entrèrent sans un mot. Leur simple présence fit chuter la température de la pièce. L'un d'eux s'écarta pour laisser passer une silhouette imposante.
Alessandro De Luca.
Son entrée était silencieuse, mais son autorité résonnait dans chaque recoin de la pièce. Grand, vêtu d'un costume sombre parfaitement taillé, il incarnait l'élégance du pouvoir et la froideur de la menace. Ses cheveux bruns étaient impeccablement coiffés en arrière, mettant en valeur des traits anguleux, une mâchoire ciselée et des yeux d'un bleu glacial.
Il posa son regard sur elle, et pendant une fraction de seconde, son expression se troubla.
Lina, elle, n'arrivait plus à respirer.
Parce qu'elle connaissait ces yeux.
Elle les avait déjà vus, il y a des années.
Elle recula d'un pas, incapable d'y croire.
- Non... murmura-t-elle, sa voix brisée par l'incrédulité.
Alessandro s'avança lentement, son regard ancré dans le sien.
- C'est toi, Lina.
Sa voix était basse, rauque, emplie d'une émotion contenue.
- Tu me reconnais, pas vrai ?
Les souvenirs la percutèrent avec la violence d'une tempête.
Un été brûlant. Des rires d'enfants. Un garçon aux yeux d'un bleu éclatant qui lui tenait la main en lui jurant qu'il reviendrait toujours vers elle.
Mais il n'était jamais revenu.
Elle l'avait cru mort.
Et aujourd'hui, il était là. Un homme transformé en monstre.
- Alessandro...
Elle vit un éclair d'émotion traverser son regard avant qu'il ne se referme comme une porte blindée.
- Viens avec moi, Lina.
Sa voix ne laissait aucune place à la négociation.
Elle secoua la tête, les larmes menaçant de couler.
- Je ne peux pas...
Il fit un pas vers elle, et elle sentit son odeur : un mélange de cèdre, de cuir et de danger.
- Tu n'as pas le choix.
Son père posa une main tremblante sur son épaule.
- Lina...
Elle tourna la tête vers lui, mais il baissa les yeux.
Il l'avait déjà vendue.
Le cœur brisé, elle n'eut pas la force de résister quand Alessandro referma sa main sur son poignet et l'entraîna hors de l'appartement.
Dehors, la pluie continuait de tomber, glaciale et impitoyable, tandis qu'elle montait dans la voiture noire qui l'emmenait vers un avenir qu'elle ne voulait pas.
Dans l'ombre, Alessandro observait son reflet dans la vitre, le regard voilé.
- Nous avons du temps à rattraper, Lina.
Sa voix était un murmure, une promesse chargée de ténèbres.
Elle le fixa, une seule pensée traversant son esprit :
**Comment l'amour pouvait-il devenir une prison ?**
Lina fixait le paysage qui défilait derrière la vitre teintée de la voiture, les lumières de Naples se transformant en traînées lumineuses sous la pluie battante. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, et sa gorge semblait nouée par un étau invisible. Elle était partie. Arrachée à son appartement minable, à son père indigne, à sa vie déjà bancale. Désormais, elle n'avait plus aucun contrôle sur son destin.