Capítulo 7 La lampe cassée

Etant entendu qu'avoir des pouvoirs magiques était apparemment fort enviable par le reste du monde, compte tenu de tous les livres et films de science-fiction ayant vu le jour, se dit Teska, encore fallait-il comprendre à quoi ils pouvaient bien servir... Elle avait beau épuiser toutes ses connaissances en matière de Marvel et autres, elle demeurait dans une impasse... Impossible de déplacer des objets par télékinésie, de déchiffrer les pensées des autres sans leur consentement, ce qui était de toute évidence fort dommage, et la force surhumaine n'était pas au rendez-vous non plus.

Joras avait bien appuyé sur le fait qu'il en avait assez d'être utilisé comme cobaye, et qu'avant de lui faire du mal à lui, il serait plus prudent qu'elle connaisse ses limites, à elle. Pour ce faire, Teska s'était confortablement installée par terre dans le salon, une petite bougie (soi-disant) parfumée à côté d'elle. Ainsi, elle tentait ses expériences surnaturelles sur elle-même entre deux tasses de thé.

- Je suis un peu bidon comme Xmen quand même...

- Ne dis pas ça mon cœur, devenir bleu et pouvoir faire sauter tout le courant d'un quartier, ce n'est pas commun, s'égosilla Joras depuis la cuisine.

- Mmmh, grogna Teska qui ne pensait pas que son mari pouvait l'entendre, lui, avait l'ouïe d'un tarsier aveugle comme super pouvoir...

Il était apparu qu'elle pouvait effectivement plonger dans le noir tout un quartier, en laissant libre cours à son immersion dans ses souvenirs d'enfance. Cela dit, une pointe de fierté s'immisça en elle, effectivement ce n'était pas commun. Elle n'informa pas Joras de l'élément déclencheur de cette réaction, mais elle savait très bien où puiser la rage pour tester ses limites électriques.

Teska assise en tailleur, gigota sur ses ischions pour gagner en confort. Puis, elle se concentra pour créer une petite boule d'énergie bleue au creux de sa main. Ça c'était facile, depuis quelques jours, elle réussissait à canaliser les filaments directement dans ses mains, plutôt que de les laisser courir partout de façon totalement aléatoire et désordonnée car c'était intolérable autant d'anarchie. Au début, pour former une boule, elle imaginait tenir une balle entre ses mains, superposées l'une sur l'autre, pendant quelques secondes, et celle-ci se formait naturellement. Désormais, elle avait juste besoin de la visualiser et elle apparaissait, merveilleuse évolution, sourit-elle.

Deuxième étape, elle fit tourner sa main sur elle-même par de petits mouvements rotatifs de plus en plus rapides. La boule suivait et avait même son propre rythme. Teska immobilisa sa main, la boule tournait encore, visiblement, elle avait sa propre volonté... La jeune femme se concentra sur la boule et lui intima, par la pensée, de s'arrêter dans le creux de sa main, la boule obéit. Teska était satisfaite et se dit intérieurement « c'est qui le patron ! ».

- Essaie de faire comme le docteur « je ne sais pas quoi », ouvre un portail vers une dimension parallèle pour voir ! intervint Joras une casserole et un chiffon à la main.

- J'ai bien peur qu'à part notre titre, nous n'ayons rien en commun, ronchonna-t-elle.

Joras posa la casserole dans la cuisine, et se dirigea dans le salon, il était trop tard pour la popote et la journée avait été longue. Il s'assit dans un fauteuil pour reprendre la lecture de son feel good book. Il avait bien saisi le petit rappel lui indiquant qu'il n'était pas madame le docteur Teska. Lui, s'occupait de son quotient émotionnel surdéveloppé, et, il en avait le droit d'être un sentimental exacerbé, d'abord, qu'elle se débrouille avec ses éclairs bleus après tout...

Teska réussit à grossir la boule en essayant de l'aplatir entre ses mains dans un premier temps, puis en les éloignant. La boule résista d'abord puis se colla aux paumes de ses mains pour s'agrandir comme les boules de gelée gluante dont les enfants sont fans. C'était très drôle comme petit jeu se dit-elle. La boule reprit sa forme et semblait gagner en densité et en force, Teska sentait des petits picotements chatouilleux entre ses mains et la forme. Elle décida de recommencer l'expérience de rotation.

- Tu crois que je peux faire une boule de feu ?

- Pardon ?

Joras eut à peine le temps de finir sa phrase, que Teska, ne pensant pas que la boule suivrait la direction, tendit son bras dans un mouvement vif, comme pour lancer une balle à une personne invisible qui l'attraperait à coup sûr. La boule électrique quitta son orbite pour se jeter contre un lampadaire qu'elle emporta au passage, le câble électrique retient l'objet qui, de fait, s'écrasa au sol. L'ampoule du plafonnier explosa les laissant dans le noir le plus total, les rideaux étant fermés pour éviter l'intrusion dans leur intimité atypique. La boule bleue disparue à travers le mur sur sa trajectoire. Teska et Joras étaient bouche bée, s'ils avaient pu se voir à cet instant, ils auraient surement longuement échangé sur leur expression mutuelle de type « poisson rouge à l'agonie ». Des alarmes de voitures retentirent à l'extérieur, ajoutant une cacophonie perturbante à l'instant.

- Oh mon Dieu, dit-il. Ça c'est du super pouvoir.

- ... Euh... Ok... Ok... Tu n'as rien ? s'inquiéta Teska.

- Non, non... Et toi ?

- Je ne crois pas...

Teska et Joras coururent vers la fenêtre et tirèrent chacun sur un rideau. La rue était plongée dans le noir, les lampadaires étaient tous grillés, les maisons autour de chez eux étaient également inanimées, et le chêne centenaire, en face de leur maison, qui avait vu passer bien des choses étranges depuis tant de temps, était en feu.

- Je crois qu'on a un problème... annonça la jeune femme.

*

* *

Teska, assise sur le sol de son bureau, au premier étage de sa maison, tentait des exercices de sophrologie s'apparentant à de la torture mentale, vu son état actuel. Cependant, étant donné que les filaments bleus irradiaient tout son corps, cela posait problème pour sortir de la maison et avoir un minimum de vie sociale, ou juste acheter son pain. Depuis la boule de feu, qui avait ravagé un arbre et remonté tous les voisins contre la société d'électricité nationale, allez savoir pourquoi la plaisanterie lui était retombée dessus, elle ne contrôlait plus les arcs électriques. Teska avait une explication toute trouvée, elle n'arrivait pas à décompresser... La réaction qu'elle avait produite était tellement violente et inattendue, que désormais elle se sentait impuissante face à ce phénomène. Ce qui était ingérable intellectuellement et émotionnellement pour la scientifique qu'elle était.

Il fallait donc trouver une solution au problème teinté et luminescent. « Inspire, expire », la manœuvre semblait vaine, mais la jeune femme insistait avec ferveur. Depuis plusieurs heures déjà, et c'était long, très long, quand on était énervée et désappointée. Cela dit, elle reconnaissait que les lignes bleues commençaient à être moins virulentes et plus éparses, il y avait de l'amélioration.

L'interphone sonna, son corps ahuri s'embrasa instantanément en une boule bleue gigantesque, déplaçant tout objet adjacent dans un rayon de deux mètres. Une lampe en faïence en fit les frais et s'écrasa pitoyablement sur le sol en milliers de morceaux. Teska s'éteignit, en version tamisée aussitôt qu'elle comprit que c'était la sonnette. Effectivement, elle avait eu peur, s'avoua Teska en regardant les fragments de l'objet...

Teska regarda, de toute sa hauteur, par la fenêtre et découvrit en contrebas une petite bonne femme brune en manteau rouge qui attendait, un classeur noir dans les mains. Tant pis pour le visiteur, ce n'était pas le moment, elle avait tout ce qu'il fallait. Et même un peu trop, pensa-t-elle en regardant ses mains couvertes de petits fils bleus galopants dans tous les sens. La femme inconnue au manteau rouge disparue dans la rue sans plus attendre. Pas très insistante comme commerciale, pensa-t-elle.

Teska ferma les yeux et prit une inspiration. Elle serra ses mains l'une contre l'autre et imagina les fils bleus se déplacer dans ses doigts. Elle sentit ses mains s'éloignées sous une pression grandissante, elle ouvrit les yeux. La sphère était bien là, Teska avait réussi à déplacer les fibres azur en une masse ronde et stable. Plus rien ne parcourait son corps, pourtant ça restait peu pratique pour se déplacer. Elle se sentit soulagée d'avoir pu reprendre le contrôle, mais n'arrivait pas à faire disparaître la boule par la pensée, comme les autres fois.

La scientifique tenta d'agrandir l'espace entre la boule et ses mains, se demandant ce qu'il adviendrait si elle la lâchait. Après tout, en dessous c'était son salon, il y avait moins de risques pour la communauté. La boule restait en place, flottant seule au milieu du bureau. Petit à petit, elle réussit à replacer les bras le long de son corps et observa la masse volante qui ne semblait pas connaître la gravité terrestre, ni celle de la situation, d'ailleurs. Teska fit le tour de la masse. Elle était plate, des zones plus sombres et plus claires s'entremêlaient et circulaient en un tourbillon en son centre. Les bords du cercle étaient plus transparents et crépitaient.

- C'est un vortex, se dit Teska en fronçant les sourcils, les mains sur les hanches. Un tout petit vortex. Il n'y a qu'une solution...

L'érudite plaça ses mains au point de convergence des zones de couleur et tenta de l'agrandir en les écartant. L'anneau grandit et laissa entrevoir une pièce plutôt sombre. Le cercle s'accrut seul jusqu'à toucher le sol. Est-ce qu'il comprenait son intention ? Où était-ce son esprit qui imposait sa forme à la masse ?

La jeune femme fronça les sourcils. Jusqu'à présent sa témérité lui avait toujours servi, sauf une fois, souvenir impérissable avec un certain sucrier... Sa grand-mère avait toujours fait preuve d'une dextérité surhumaine malgré son âge, et Teska sourit de ce constat. Mamie Miska n'était plus là pour l'empêcher de faire des bêtises, sa ferveur naturelle l'embrasa...

Les éclairs que le vortex émettait étaient tels, qu'elle ne voyait pas l'endroit où celui-ci conduisait. Peu importe, la peur n'avait pas de raison d'être, après tous ces petits fils bleus venaient d'elle, de son esprit, ils ne pouvaient pas, raisonnablement, la guider sur un chemin qu'elle ne voudrait pas emprunter. C'est donc sans la moindre hésitation, que Teska s'avança, et s'écroula au sol de l'autre côté. Ce voyage-ci n'avait rien à voir avec ceux qu'elle pratiquait habituellement. Un simple regard autour d'elle lui permit de savoir qu'elle était dans son salon. L'interphone sonna, un bruit fort caractéristique de lampe qui s'écrase au sol retentit. Sans bouger, Teska observa à travers le vitrage de la porte, qu'une masse ronde brune en haut et rouge en bas était derrière. Elle avait donc voyagé dans le temps et l'espace, sans utiliser le Chandrakant. Les filaments avaient disparus et sa lampe était quand même en miettes. La masse informe derrière la porte s'éloigna. Si la lampe était brisée, c'est qu'elle devait être aussi à l'étage, et ça, techniquement, c'était, premièrement, impossible, et deuxièmement, inconfortable et flippant...

Teska regarda l'heure sur sa montre, 15h45, elle serrât à nouveau ses mains et les ouvrit devant elle. Le vortex était là, la technique était acquise, puis elle plongea à nouveau. Cette fois, elle était dans le couloir devant son bureau, 15h45, le temps était le même, mais pas l'espace. Elle pouvait se déplacer en temps réel. Pouvait-elle le faire n'importe où ? Quelle était la limite de son périmètre ? Et n'importe quand ? Et son double ? Elle s'avança doucement, jusqu'à l'encadrement de la porte et se découvrit entrant dans le vortex qui passa du bleu au violet puis disparu. Une onde chaude l'envahit, elle se sentit pleinement une avec elle-même et un grand soupir d'apaisement s'échappa de son corps. Elle fila jusqu'à la mezzanine et curieusement fut déçue de ne pas se voir. La « Teska 2 » avait probablement réintégrer son corps en arrivant dans le présent. Ce qui signifie qu'elle pouvait remonter le temps sans effacer sa vie actuelle et changer des éléments du passé. Ça c'est le pouvoir, se dit-elle, même s'il faudrait quand même nettoyer les morceaux de céramique sur le sol.

Teska se concentra sur Joras. Elle ne savait pas où il était. Probablement au bureau cela dit, même s'il avait démissionné, il avait encore son préavis à faire, et il y tenait, allez savoir pourquoi, se dit-elle. Elle se leva et se positionna en appui sur ses jambes comme pour les autres voyages dont elle maîtrisait plus les aléas.

Teska ferma les yeux, inspira et créa un nouveau vortex. Elle devenait habile à ce jeu-là et s'en réjouit. Elle traversa se disant que si quelqu'un la voyait, il serait toujours temps de le remonter. Elle sortit comme une fleur dans le bureau de Joras, qui contre toute attente, ne s'y attendait pas. Il eut un mouvement de recul assez violent, et se décomposa littéralement lorsqu'il comprit ce qu'il voyait.

- Ah ! Mais qu'est-ce que ! Teska !! Mais comment ??

- Regarde ! je peux créer un vortex avec mes mains !

- Oui je vois ça... articula Joras en se levant promptement pour fermer la porte de son bureau.

Il l'observa un instant, incrédule, cette nouvelle fonction l'inquiétait sincèrement. Si elle n'avait plus besoin du Chandrakant, cela risquait fort d'être l'anarchie dans sa vie, enfin plus que d'habitude, quoi. Teska souriait comme jamais, extrêmement satisfaite d'elle-même.

- Formidable ! Tu m'as fichu une trouille bleue ! C'est le cas de le dire d'ailleurs, tu as repris ta couleur d'origine ? Un appel aurait suffi, tu ne peux pas débarquer comme ça !

- J'ai réussi à canaliser l'énergie. Je peux voyager dans le temps et l'espace sans le Chandrakant.

- Merveilleux... Et les effets secondaires ?

- Pour l'instant je n'ai rien eu, mais...

- Ok... Bon, j'ai du travail. On verra ça ce soir, tu peux repartir comme tu es venue ?

- Mais bien évidemment mon chéri, je vais même te montrer ça, répondit Teska de manière hautaine.

La poignée de la porte s'actionna et la personne derrière se cogna. Teska recula dans un recoin entre une armoire et la fenêtre.

- Mathilde ? Avez-vous vu Joras, j'ai des documents à lui demander, dit une voix masculine.

- Il est dans son bureau, monsieur.

- C'est fermé. Rappelez-moi dès qu'il arrive, annonça la voix en s'éloignant.

Joras attrapa en furie des dossiers brinquebalants sur son bureau et tourna le verrou.

- Il faut que tu t'en ailles ! Tout de suite ! lança-t-il en claquant la porte derrière lui.

Teska, vexée, toisa la porte, l'objet de son agacement étant passé de l'autre côté. Pour la peine, elle prendrait son temps... Peut-être qu'un petit mot pourrait désamorcer la discorde à venir, pas besoin d'être météorologue pour deviner que l'orage se profilait, encore. Joras n'avait décidément aucun humour, certes c'était surement très perturbant de voir sa femme apparaitre derrière soi, quand on s'y attendait le moins mais ça mettait un peu de piment dans leur couple, pas besoin de menottes à fourrure ou d'huiles prodigieuses pour eux... Teska se pencha sur le bureau et chercha un bloc-notes. Un petit bout de papier rose attira son attention, mais il était déjà utilisé, « tu me manques » était inscrit dessus.

- Oh... Je comprends, qu'il n'ait pas l'air ravi de me voir ici...

Refoulant pensées et émotions, Teska appuya ses mains l'une contre l'autre, ouvrit le vortex vers un ailleurs plus plaisant.

            
            

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