Capítulo 10 Les retrouvailles

̶ Il fait nuit, il fait froid, il pleut et je suis seule dans un cimetière parisien... Tout va bien.

Teska frottait inutilement ses bras autour d'elle et sautillait sur place pour se réchauffer ou du moins garder ses membres un minimum sensibles. Quelle idée stupide, se dit-elle, où était la tombe ? Partir sans rien, ni sac, ni manteau, ni lampe torche... Juste sa fierté... Bravo, ça ne réchauffait pas l'hiver ça ! Le froid la transperçait jusqu'à l'os. Il faisait plus humide ici qu'ailleurs... C'était une certitude ! Même la forêt amazonienne était moins pénible et au moins il y faisait chaud. Enfin, ce n'était pas le sujet du jour, se ramena-t-elle à la réalité.

̶ Concentrons-nous... Bon... Si seulement les tombes pouvaient être rangées par ordre alphabétique...

̶ Besoin d'aide ?

̶ Pardon ?

Teska se retourna précipitamment, le souffle court et les jambes molles, se demandant qui pouvait bien se balader à une heure pareille, dans un endroit pareil.

̶ Vous cherchez quelqu'un ? demanda gentiment un homme avec une torche.

̶ Euh... Oui... Ma grand-mère...

̶ Il faut revenir aux heures d'ouverture. En plein jour... Ce sera plus facile... Là je ferme, c'est la nuit..., l'informa le gardien.

̶ ... Oui, pardon... Je reviendrai demain, pas de souci.

̶ Hummm c'est mieux... C'est pas une saison pour se balader comme ça, vous n'avez pas de manteau ? Vous êtes habillée comme un enfant qui n'a point de mère.

̶ C'est le cas, renchérit Teska en espérant que l'agent stopperait son flot incessant de reproches.

̶ Ah... Pardon... Venez, il faut sortir maintenant...

̶ Teska le suivit, un sourire au coin des lèvres, elle l'avait mouché...

̶ Vous avez l'air perdu... Vous avez un endroit où aller ?

̶ Oui, ne vous inquiétez pas.

L'agent municipal ferma la grille à clé et rejoignit sa voiture, inquiet malgré tout pour cette femme vêtue d'un simple chemisier, à des températures frisant le zéro, qui se baladait seule dans un cimetière la nuit, et ne savait visiblement pas qu'il y avait des horaires de fermeture. Cela dit, il s'éloigna dans la nuit.

Teska fit le tour du cimetière et aperçut un abri isolé, on aurait dit un arrêt de bus tout en pierre, abandonné derrière le cimetière parce qu'il n'était pas sage. La lumière n'éclairait que partiellement la petite allée, c'était donc l'endroit parfait pour avancer un peu les choses. Une fois dans sa cachette, elle se recula contre le mur du fond, et ferma les yeux. Teska s'imagina le lendemain en plein jour, puis ouvrit un vortex entre ses mains qu'elle étira d'un geste ample. Le vortex s'agrandit immédiatement jusqu'à la taille nécessaire pour que Teska n'ait pas à se baisser, ni à enjamber. Elle s'avança en gigotant et frottant ses mains contre ses bras.

Le soleil était haut, l'air beaucoup plus chargé mais beaucoup moins froid. Naturellement, de sa main gauche, la jeune femme généra un petit portail, et passa furtivement sa main droite à l'intérieur pour en sortir son manteau. Elle le mit sur elle, et recommença pour attraper son sac à main. Teska marqua une pause et observa ses mains en se demandant s'il y avait une limite à son pouvoir. La réponse fût immédiate, un vertige l'obligea à se tenir au mur derrière elle. Depuis quand n'avait-elle pas mangé et dormi ? Réellement dormi... Elle prit note de ses limites, et se dit que le monde pouvait attendre 48 heures pour qu'elle reprenne un minimum de forces.

̶ Aller c'est parti, se dit-elle en battant des paupières. Je trouve le Chandrakant et je me paie un thé et des petits gâteaux...

Le cimetière était toujours vide de vivants et pas plus avenant que la veille au soir. Teska chercha dans sa mémoire où pouvait être la tombe... Elle n'était pas revenue ici depuis des décennies, de nombreuses décennies... A quoi bon, se dit-elle faisant taire sa culpabilité naissante, ce n'est pas comme si mamie Miska l'attendait. C'était tellement douloureux de revenir ici, ça ne valait pas la peine ressentie à la pensée des derniers moments vécus de sa grand-mère, se dit-elle. Il faut avancer, s'ordonna-t-elle, car en s'attachant au passé, une partie de nous meurt un peu. Elle n'avait pas le temps pour cela, sa mission était plus importante. La mission. Teska s'arrêta net entre les allées, une tombe attira son attention, un monument asiatique familier, un repère. Teska avança plus rapidement vers l'endroit et à sa droite, une sépulture qui paraissait toute petite à côté du mausolée, revêtait le nom de celle qu'elle cherchait. L'émotion la submergea en se remémorant qu'il y a quelques heures encore, elle la tenait dans ses bras chauds et plein de tendresse. Teska regarda le sol et s'agenouilla devant la tombe quelques minutes, avant de refaire surface plus déterminée encore.

Joras avait dit que le Chandrakant était là, mais où... Teska fouilla la terre dans la jardinière incrustée au soubassement. Les plantes étaient calcinées et certainement depuis très longtemps... Tant qu'à planquer des choses surnaturelles ici, il aurait pu au moins ramener un chrysanthème... Ce n'est pas important se rappela-t-elle avec insistance, la culpabilité ou la rancœur n'aidaient en rien. L'objet n'était pas là... Misère. Il n'y avait rien autour. La tombe étant scellée, il ne pouvait pas l'avoir ouverte, et ça aurait été vraiment honteux de sa part, sans compter qu'il n'aurait jamais eu le cran de faire ça... Alors où ?

Teska leva les yeux vers la stèle et pris le temps de regarder la photo encadrée. Des larmes embuaient ses yeux, elle le savait, c'est pour ça qu'elle ne voulait pas la regarder, sa peine ne guérirait jamais. Mamie Miska rayonnait de son sourire désormais immortel dans son médaillon funéraire incrusté dans la stèle. Un médaillon qui semblait tenir dans la pierre par miracle, d'ailleurs... Teska sauta sur ses jambes, et marcha entre les deux tombes mitoyennes pour attraper le médaillon, le plus respectueusement possible. Elle tira doucement, peut-être par égard ou peut-être par angoisse de ce qu'elle allait réellement trouver. Le Chandrakant était collé avec un ruban adhésif double face derrière la plaque. Teska tira d'un coup sec la boîte magique, et gratta le morceau de colle aussi bien qu'elle le pu, puis replaça minutieusement l'image de sa grand-mère à sa place, non sans maudire Joras. Etonnamment, le médaillon tenait beaucoup mieux désormais. Elle retourna dans l'allée d'un air très satisfait.

Il lui fallait désormais trouver un endroit où aller.

            
            

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