MIA
– Alors, nous sommes le jeudi 07 novembre, début de l'interrogatoire à quatorze heure et onze minutes, nous sommes en présence de la victime, mademoiselle Mia Watson, 18 ans, victime d'une agression sexuelle le vendredi 01 novembre vers deux heures trente du matin au domicile de Nicolas Klein, 18 ans. Agression par quatre personnes, dont deux noms sont encore inconnus. Je suis l'officier Jacob, accompagné par l'officier Maxwell.
Trois jours étaient passés depuis mon dépôt de plainte, et je me retrouvais aujourd'hui dans une salle d'interrogatoire.
Mes genoux ne faisaient que trembler sous la table et mon cœur semblait vouloir sortir de ma poitrine. Agression sexuelle, ses deux mots ne faisaient que tourner dans ma tête.
Physiquement, j'allais un peu mieux. Mes ecchymoses commençaient à partir. Mais mentalement, je ne voyais aucune amélioration.
– Nous pouvons commencer.
Je reprenais mes esprits en voyant l'un des deux policiers me fixer d'un regard tendre. Il voyait que j'étais terrifié, ou bien, il voulait juste être gentil avec moi ?
– Mademoiselle Watson, je sais que c'est difficile de vous retrouver en face de nous aujourd'hui, donc je m'appelle Jeremy, et voici Alexander.
Je faisais un petit sourire forcé, sans savoir quoi répondre.
– Nous allons revenir sur les faits qui se sont déroulés entre la nuit de jeudi à vendredi. Nous aurons besoin d'un maximum d'informations. Des choses qui se sont dites, ou des choses que vous vous rappelez avoir vue ou ressentie
Je prenais une grande inspiration, et joignais mes doigts en dessous de la table.
– L'officier Jackson vous a interrogé le lendemain de l'agression, et vous avez pu lui fournir quelques informations. Nous sommes aujourd'hui ici pour faire un interrogatoire plus approfondi et avoir un maximum d'informations pour pouvoir retrouver vos agresseurs.
Je hochais la tête, toujours aussi tendue.
– Alors, mademoiselle Watson, pouvez-vous me dire si l'annonce de cette fête a été annoncé publiquement sur un réseau social ou au lycée, par exemple ?
– Je ne sais pas. Je crois que Nicolas l'a annoncé sur les réseaux, quelques jours avant.
– D'accord. Pouvez-vous me raconter le déroulement de cette soirée, en essayant de vous rappeler si des choses inhabituelles se sont passées avant votre agression ?
– Des choses inhabituelles ?
– Oui, je ne sais pas, quelqu'un de louche, ou bien quelque chose qui se serait passé d'assez bizarre...
– Non, je ne crois pas.
– Bien. Alors raconter nous le déroulement de cette soirée.
Je baissais la tête et fixais la table noire en face de moi. Je n'entendais plus rien, à part mes genoux qui tremblaient sous la table.
– Ah oui, Liam Johnson, c'est ça ? L'un me demandait, en regardant une feuille posée devant lui. Nous l'avons interrogé.
Je fronçais les sourcils. Pourquoi Liam ne m'en avait pas parlé ? Mais, en même temps, on ne parlait presque plus depuis l'agression.
– Donc, nous sommes arrivées à vingt-deux heures, ensuite, nous avons rejoint nos amis. J'ai bu un verre d'alcool. Ensuite, on a traîné un peu entre dehors et la cuisine avec notre groupe habituel. J'ai dû boire quatre verres, et je me sentais très bien. Au bout d'un moment, je suis retournée dans la cuisine, et il y avait mes amis Jessie, Wayne et Aria. Mon copain était avec moi, mais il s'est éloigné avec son frère pour répondre à un appel. La musique était assez forte.
Je mordais ma lèvre, essayant de me replonger dans cette soirée.
– Un ami de mon copain est arrivé tout seul, Max. Il m'a proposé un verre et...
Je m'arrêtais net en me rappelant que c'était le dernier verre que j'avais bu. Max, c'était Max !
– Max est la dernière personne à m'avoir donné un verre. C'est à partir de là que je me suis sentie bizarre.
L'air de la pièce commençait à m'étouffer et je sentais une vague de chaleur m'envahir.
– Mademoiselle, vous allez bien ?
Je levais les yeux vers eux. Prenant une grande inspiration, je reprenais :
– Oui, je... c'est lui qui m'a drogué, il est parti avec mon verre...
– Max comment ?
– Je ne me rappelle plus, mais Liam, mon copain, pourra vous le dire.
Non, il ne faut surtout pas que je lui en parle !
– Enfin, j'essayerai de retrouver son nom.
– Vous dites que c'est un ami de votre copain, et qu'il est parti avec votre verre ?
– Oui. Je l'avais déjà vue une fois à une autre soirée, ou peut-être à deux. On ne s'est jamais vraiment parlé. Et oui, il n'y avait plus de diluant, je crois, alors il est allé en chercher, avec mon verre...
– D'accord, très bien, nous lancerons un avis de recherche contre ce Max, une fois que nous aurons son nom complet. Ensuite, vous avez bu la totalité du verre ?
– Oui, c'est ça. Après, tout devient un peu flou.
Je me rendais compte que plus j'expliquais, plus je devenais essoufflé, avec ce sentiment d'être oppressée.
– J'ai dis à mon amie, Aria, que je voulais prendre l'air. Je me rappelle avoir eu très chaud, et, cette impression que je ne contrôlais plus mon corps. Je n'arrivais presque plus à marcher, alors je me suis assise sur une chaise. Et là, j'ai fait tomber mon portable.
Je serrais mes genoux avec le bout de mes ongles, comme si cela pouvait m'aider à ne pas exploser.
– Combien de temps avez-vous mis avant de vous rendre compte que vous vous sentiez bizarre, après ce verre ?
– Je ne sais pas, à peine quelques minutes. Mais je n'arrive pas à me souvenir combien de temps je suis resté assise sur la chaise, avant que que quelqu'un me relève pour m'emmener plus loin.
Je serrais un instant les dents, en évitant de penser aux larmes qui me montaient aux yeux une fois de plus.
– Oui, ils vous ont isolés du reste de la fête, vers les voitures à côté de sa maison, c'est bien cela ?
Je hochais la tête, me préparant à revivre la scène une nouvelle fois dans ma tête.
– Oui, je voyais assez trouble et je ne pouvais presque pas me tenir debout. Ce devait être à cause de la drogue. Je crois que celui qui me tenait avait un tatouage sur le torse, qui prenait beaucoup de place. Un tatouage noir. Et il sentait l'alcool fort.
– D'accord, vous vous souvenez du tatouage ? Sa forme, ses motifs ?
– Non, je ne voyais qu'une partie.
– D'accord, bien. Est-ce que celui qui avait le tatouage est celui qui vous a agressé sexuellement ?
Je retenais mon souffle, comme si je venais de me prendre une gifle en pleine figure.
– Je crois, oui. Il m'a poussé contre une voiture...
Ma gorge devenait sèche, et je sentais que je transpirais. Mes tremblements se faisaient plus violents, et j'avais du mal à respirer. Je veux rentrer chez moi !
– Continuez, je sais que c'est très dur, mais c'est aussi très important, pour vous, et pour nous.
– Je... Il me retenait contre la voiture et il était appuyé contre mon corps. Mes yeux faisaient que se fermer tout seul. J'avais très peur, mais j'étais si faible...
Mes larmes me montaient aux yeux.
– Il a demandé à ces copains de me tenir et c'est là que j'ai entendu le bruit de sa ceinture. La peur qui me paralysait m'a donné un regain d'énergie, et j'ai levé mon genou pour lui frapper les... parties.
– C'est très bien, continuez. Et est-ce que vous vous souvenez s'ils parlaient entre eux pendant l'agression ? Ou s'il savait qui vous étiez ?
– Euh, oui, vous avez raison. Quand l'un d'eux est venu me chercher sur la chaise, il m'a appelé par mon prénom, comme s'il voulait être sûr que c'était moi. Et quand j'étais avec eux, celui qui m'a... il a dit « est-ce que c'est bien elle ? », je crois.
– Est-ce que c'est bien elle ?
– Oui, comme s'il cherchait moi et pas une autre.
– Si ce que vous dites est bien vrai, ce sera très important pour l'enquête.
C'est seulement maintenant que je réalisais que c'était bien moi qui étais visé. Ce n'était pas dû au hasard. Mais qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ça ?
– Vous vous rappelez d'autres échanges, qui pourraient nous emmener sur une piste ?
Je réfléchissais. Aucune autre chose ne revenait à mon esprit, à part la phrase qui m'avait brisé au moment où j'avais compris qu'il allait me violer...
– Avant de... il a dit aux autres : "c'est la seule chose qui marque à jamais une fille". C'est là que je l'ai frappé avec mon genou, et ensuite, il s'est redressé et il m'a frappé une fois au visage, avant de se jeter sur moi.
– Avez-vous déjà eu des problèmes avec des personnes, avant d'avoir emménagé ici, ou même depuis que vous êtes arrivé ?
– Non, personne. Dis-je en essuyant une larme.
– D'accord, nous allons essayer de voir du côté des agresseurs, alors.
Je ne répondais rien en me visualisant encore la scène dans ma tête. Je serrais les cuisses, comme si quelque chose venait de me brûler, et je tremblais encore.
L'un des officiers me coupait dans mes pensées en glissant une photo devant moi.
– Qui est-ce ?
– Voici Rodrigo Flores, votre agresseur.
J'avalais ma salive, ne pouvant plus détourner les yeux de cette photo. Mon agresseur, mon violeur... Il avait les cheveux foncés, un sourire stupide et une très mince silhouette. Une rage folle montait en moi, et je plantais mes ongles si forts dans mes genoux que je m'arrêtais.
– Vous souvenez-vous de lui ?
Je disais non avec ma tête.
– Vous... vous l'avez retrouvé ? J'arrivais à articuler.
– Malheureusement non. Il est déjà connu de nos services de police, pour braquage, trafic et agression. Apparemment, il fait partis d'un gang et leur spécialité est le trafic de drogue. Personne n'a jamais réussi à mettre la main sur eux. Mais nous allons les trouver, votre ami a réussi à en retenir un.
Le policier sortait une autre photo de son dossier et la mettait à côté de l'autre.
– Carlos Mora. Il n'est pas connu des services de police, il n'a commis aucune infraction. Il a seulement dix-neuf ans. Rodrigo Flores en a vingt-huit.
Son visage semblait si innocent. Jamais je n'aurais pu m'imaginer qu'un garçon comme ça puisse m'agresser.
– Pour l'instant, il refuse de parler. Il est actuellement en garde à vue, même s'il a encore des blessures importantes au visage. Mais il parlera. Il est jeune, et donc plus fragile que les autres. Et souvent, en rencontrant sa victime, l'agresseur est rongé par la culpabilité et donc, il peut parler de...
– Je vais le rencontrer ? Dis-je, tous mes muscles tendus.
– Mademoiselle, vous avez porté plainte. Il y aura donc un procès dans plusieurs jours, et il sera là, oui.
Je me mordais la lèvre, si fort que je sentais du sang rentré dans ma bouche. Je m'essuyais du revers de la main. J'allais vraiment le rencontrer en face-à-face ? Je ne pourrais jamais faire ça, jamais !
– Nous n'avons pas encore de date, mais étant donné tous les éléments que nous avons déjà, cela ne devrait pas traîner.
Je ne savais pas si je devais me réjouir.
– Pour revenir à l'agression, si vous le permettez, j'aimerais vous poser des questions complémentaires.
Je hochais la tête. Je ne pensais pas vivre ça un jour, et me retrouver devant deux policiers pour raconter ce qui m'était arrivée était une des choses les plus durs que je n'avais jamais eu à faire de toute ma vie.
***
– Ça a été ?
– Oui. Dis-je simplement.
– Tu as pu dire tout ce que tu te rappelais ?
– Oui.
Je regardais la route défiler par la fenêtre de la voiture, avec le moral à zéro. J'aimerais bien dire que j'ai envie de pleurer, mais je crois que j'ai tellement pleuré ces derniers jours que plus rien ne pourrait sortir.
– J'ai contacté mon ami Warren, il est avocat. Il va te suivre sur cette affaire.
Je tournais ma tête vers lui, sans savoir quoi répondre. Tout devenait de plus en plus sérieux, et affronter une nouvelle fois mes agresseurs me terrifiait.
– Demain matin, tu as rendez-vous avec ta psy aussi. Je t'y emmènerai, si tu veux.
Une psy ? Ça y est, on en est là ?
Je ne répondais rien, et me remettais à regarder le paysage défiler à travers la fenêtre.
– Ça va ? Tu veux qu'on en parle ?
Sa voix n'était pas sûre.
– Non.
Il toussait un coup et resserrait sa prise sur le volant.
On arrivait enfin à la maison, et je n'attendais pas plus pour me jeter en dehors de la voiture, pour courir m'enfermer dans ma chambre, et je ne disais même pas un mot à Karen en rentrant.
Cette sensation de vide était la pire que je n'avais jamais ressenti.
Et cette sensation de dégoût envers moi-même était encore bien pire. Comment j'avais pu en arriver là ?
Je fermais les yeux et me laissais tomber en arrière sur mon lit. Mon portable se mettait à vibrer et j'ignorais l'appel de Liam. Je ne pouvais même plus lui faire face non plus. Si seulement je savais pourquoi ils s'en étaient pris à moi.
Mon portable vibrait une nouvelle fois. Un message de Liam, cette fois.
TU SAIS QUE JE SUIS LÀ, SI TU AS BESOINS DE PARLER.
Comme si je ne le savais pas ? Tout le monde est là pour parler de mon problème, alors que j'aimerais juste qu'on m'ignore.
Je ne répondais rien et jetais un coup d'œil aux autres messages. Un message d'Aria demandant de mes nouvelles. Un message de Jack qui était chez son père me demandant comment j'allais, et un message de Jay qui venait de me demander si je voulais aller courir avec lui.
Je pinçais mes lèvres une seconde avant de jeter mon portable et de fixer le plafond. Cette scène atroce m'arrivait une nouvelle fois en pleine face et je serais les cuisses par réflexe. Mon cœur s'emballait et je décidais de me lever pour me changer en tenue de sport.