J'attends un moment, sur le qui vive, persuadée que les hommes de Carlos, vont bientôt venir me faire payer les blessures de leur confrère. Je me calme toutefois au bout de longues minutes à force de ne rien voir venir. Mon loup, qui montait la garde pendant que je reprenais mon souffle, vient s'enrouler autour de moi dans un geste de réconfort bienvenue. Sa chaleur me fait un bien fou. J'enfouis ma tête dans sa fourrure, profitant de cette impression d'invulnérabilité qu'il me donne. Je sens toutefois des larmes couler le long de mes joues que je ne parviens plus à retenir. Ici, à l'abri des regards, collée contre lui, je suis en sécurité, je peux me laisser aller, ce que je n'ai pas fait depuis des années.
Ce n'est pourtant pas la première fois que mon beau père ou ses hommes m'agressent, j'ai terminé très souvent à l'hôpital... Enfin, dans le meilleur des cas, quand je pouvais encore me traîner là bas. Pourtant aujourd'hui, je me rend compte que je ne peux plus supporter cette vie... Cela doit cesser avant qu'il n'ait ma peau.
Alors que je m'apaise, fermant les yeux, doucement bercée par la respiration de mon loup, le nez dans sa fourrure, je me promets que ce sera la dernière fois que j'aurai à endurer ça.
Je ne sais pas trop à quel moment j'ai glissé dans le sommeil, mais le soleil me tape sur le visage quand je me réveille quelques heures plus tard. Je n'ai pas eut froid car mon grand canidé m'a tenue chaud toute la nuit. Il n'a pas bougé d'un pouce, s'étalant entièrement sur moi.
Je grattouille ses oreilles, tandis qu'il lève la tête en plissant les yeux, grondant de plaisir. Au bout d'un moment, je m'arrête pourtant il continue à se frotter espérant que je reprenne. Sachant que je ne peux rester indéfiniment ici, je finis par me dégager de lui péniblement.
Une fois que je suis debout, il se décide tout de même à s'étirer de tout son long en baillant comme un crocodile. Avec un sourire, j'observe son poil terne qui est entrain de partir par touffes. Il va falloir que je le brosse rapidement pour le débarrasser de tout cela, car pour le moment on dirait vraiment un chien galeux. Toutefois, malgré tout, il paraît très en forme. Je vois même de nouveau muscles saillir sur son corps comme s'il reprenait de la force à vitesse grand V.
Je m'étire à mon tour, me sentant également étonnement bien malgré les coups que j'ai pris hier soir. Je suis sereine aussi, une main sur le garrot de mon compagnon poilu, j'ai l'impression qu'il ne peut plus rien m'arriver. J'accroche mes yeux à son regard acier tout en lui grattouillant les joues.
_ Carlos a probablement décidé de me vendre à un vampire ! Lui expliqué-je après avoir réfléchis à cette idée de me prendre du sang.
Je pense que c'est la seule explication possible à leurs comportements d'hier. J'ai déjà entendu parler de ventes aux enchères d'êtres humains et connaissant mon beau père, ça me paraîtrait logique qu'il y participe. Tout en réfléchissant, je continue de caresser mon chien qui gronde doucement comme s'il comprenait ce qu'il se passait.
_Mais tu sais quoi ? Continuai-je soudain pleine d'espoir et d'énergie, Et bien, je n'ai plus peur ! Je vais faire ma demande de visa pour le Canada ! Quoi qu'il arrive je me tire d'ici ! Je vais prendre une semaine pour régler tout ça...
Mon loup me répond en jappant, finissant de gonfler mon enthousiasme. C'est la première fois depuis des années que je regarde mon avenir sans avoir les tripes nouées. J'observe mon nouvel ami, persuadée que c'est grâce à sa présence.
_Tu viendra avec moi pas vrai ? Là où je vais, il y aura de grandes forêts et de grands espaces où tu pourras courir sans entrave ! On seras libre, toi et moi !
Je lui souris alors qu'il me lèche la figure m'arrachant un rire en me communiquant sa bonne humeur. Oui ! malgré tout ça, je me sens vraiment bien. Je peux le faire, je vais m'en sortir.
Pendant que je regarde la rue devant moi comme si j'allais dévorer aujourd'hui la grande pomme, il glisse sa grosse tête contre ma poitrine en manquant de me faire tomber.
À l'instant où un rayon de soleil touche ma peau, je me rends compte qu'il doit être assez tard. Revenant a la réalité, avec un pincement au cœur, je réalise aussitôt qu'il faudra bien que je le laisse ici pour aller travailler car je crains qu'il ne fasse peur aux passants. J'ai trop besoin d'argent pour me priver d'une journée de travail, même maintenant. Cependant, le simple fait de m'en séparer me fait mal au cœur.
_ Il faut que tu restes sagement ici ! D'accord ? Tu ne peux pas me suivre !
Je soupire car je ne pense pas qu'il me comprenne, mais je dois me dépêcher, je ne suis pas encore en retard cependant ça ne va pas tarder.
_ Personne ne doit te voir ! Lui dis-je sans grande conviction. Reste discret !
Je sors de la ruelle, alors qu'il me regarde partir sans bouger. Il a peut être compris finalement. Je cours sur le trottoir pour attraper le bon bus, avec un peu de chance je devrais arriver juste à temps.
Une fois installé à l'intérieur du transport en commun, la tête posée contre la vitre, je réfléchis à toute cet folie. Heureusement que mon loup était là, sans lui j'étais fini.
En fait, même sans cela, j'imagine mal ma vie sans le revoir. C'est la première fois que je m'attache à un être vivant de cette manière et aussi vite, c'est comme s'il avait toujours fait parti de moi. Je commence a angoisser de ne pas le retrouver à mon retour. Pensive, je retire tout les poils qui vole sur mes affaires avant de pouffer de rire devant le mouton de fourrure qui s'envole: je l'aurais avec moi toute la journée, au final.
Une fois descendu du bus, je cours jusqu'au dépôt d'Hermes Express. J'ai juste le temps de récupérer mes affaires avant de pointer. Il faudra que je fasse la journée sans me laver, ce soir je n'aurai qu'à utiliser les douches des vestiaires avant de partir.
Je laisse mon sac au dépôt en essayant de réfléchir pour trouver un endroit discret afin de dormir le soir avec un chien grand comme un poney. Ce n'est pas gagné !
Sans que rien ne me vienne à l'esprit, je prends mon vélo, laissant cela de côté pour foncer à travers la circulation vers mon nouveau client. Je me sens bien, le vent contre mes joues me rafraîchissant agréablement tandis que la conduite me force à me concentrer. J'avale les kilomètres, puis je commence à travailler, les clients s'enchaînant aussi pénible que d'habitude.
J'en suis à ma troisième courses, quand j'aperçois une ombre canine connu dans une ruelle que je longe. Je cligne des yeux, mais je la revois dans la rue suivante.
J'ai l'impression d'halluciner, alors que je m'avance dans la ruelle. Pourtant il m'attend là, assis tranquillement, la langue pendante. J'écarquille les yeux, en ouvrant les bras, surprise, alors que lui se jette sur moi pour me faire la fête en me léchant la figure.
_ Tu m'as suivi ? lui demandai-je comme s'il pouvait me répondre.
J'observe les alentours, remarquant rapidement les touffes de poils sur les échelles de secours. Je pense qu'il doit se servir des toits et des ruelles pour se déplacer discrètement. Il s'en sort vraiment bien.
Je ne sais pas pourquoi, je suis persuadée qu'il continuera à me suivre sans poser de problème. Je n'ai qu'à me noyer dans son regard bleu acier pour me dire que tout va bien se passer. Je prends donc une grande inspiration dans sa fourrure, en souriant contre sa peau, n'essayant même pas de le faire rester ici. Ce chien est un antistress sur pattes, savoir qu'il me suit comme mon ombre me rend plus sereine. C'est comme si Carlos et ses hommes ne pouvaient plus m'atteindre grâce à lui.
À contre cœur, je finis toutefois par m'éloigner afin de reprendre mon travail. Je jette cependant des regards réguliers dans l'ombre, espérant croiser ses yeux qui me réconforte.
La journée passe très vite. À l'heure du déjeuner, je me suis posée derrière une boucherie qui me donne des abats pour les chiens abandonnés que je nourrissais. Cette fois ci, seul mon grand ami en a profité.
De toute façon, il ne vaut mieux pas que je retourne là bas pour revoir mes petits compagnons car je joue déjà avec le feu en tentant de faire mes papiers avant de m'enfuir. Toutefois si je veux réussir, je dois bien me préparer. La dernière fois, Carlos m'a rattrapée facilement, et j'ai mis un mois à remarcher correctement à cause de la punition qu'il m'a administrée. Je ne dois rien laisser au hasard si je ne veux pas retomber entre ses griffes.
J'ai déjà appelé les ambassades, et lancé la procédure de visa. Il faut juste que j'attende deux jours de plus pour avoir les autorisations. Je vais commencer en disant que je fais un voyage d'agrément, je pourrais déjà rester trois mois. Ensuite, je ferais les démarches adéquates en étant sur place, loin de mon malade mental de beau père. Ce n'est pas l'idéal, mais le temps me manque pour faire mieux.
En attendant, j'ai fini mon travail de coursier. J'ai enchaîné avec mon boulot dans le bar où je nettoie derrière les clients. Il est presque minuit et a cette heure là, les gens deviennent de vrai porc.
Je me glisse dans les toilettes après qu'un des clients se soit vidé l'estomac devant les éviers. Heureusement, le mien est bien accroché.
J'attrape la serpillière en frottant vigoureusement, l'esprit libre car j'ai réussi à faire rentrer mon loup dans le local de la remise. Il dort paisiblement, je peux donc travailler tranquillement car personne n'ira là bas puisque je suis la seule à m'occuper de la logistique.
Pendant que je continue mon ménage en organisant mentalement ma journée du lendemain pour me préparer à mon futur voyage, un homme rentre dans les toilettes en me percutant l'épaule. Sans me voir, trop éméché, les yeux dans le vague, il a déjà ouvert sa braguette et sorti son engin. Je me pousse sans rien dire, discuter avec un client ivre mort étant une perte de temps. Cependant, il m'attrape par le bras en se rapprochant de moi pour me parler.
_ Hé ! Poulette comment tu vas ? Me lâche-t-il d'une voix avinée.
Il a une haleine effroyable. Je mets une main sur mon nez pour lui répondre.
_ Mieux que vous ! Si vous me parlez encore d'aussi prêt, je risque de vous nettoyer les dents avec le balais à chiotte !
Il me lâche, manquant de s'étaler sur le sol. C'est le genre de client lourd, qui une fois un coup dans le nez, drague tout ce qui bouge.
_ Comment tu oses me parler comme ça ? Me demande-t-il en titubant. Je suis un client... Ouahh! Elle est magnifique cette fourrure...
Je cligne des yeux, perplexe, en le regardant sans comprendre, puis je sens la vibration caractéristique sur le sol carrelé des toilettes.
Une sueur froide me coulant dans le dos, je pointe un endroit vague derrière lui en lui disant :
_Mon dieux ! Vous avez vue !