J'ai appelé le bar où je travaille pour leur dire que je ne viendrais pas, et j'ai prétexté un rendez vous médical pour arrêter mes livraisons bien avant l'heure habituelle. Malgré la lenteur de l'omnibus, j'espère arriver à l'heure car je sais que plus mon beau père attend, plus il devient dangereux. Je l'ai déjà vue défenestrer un homme car ce dernier avait eu deux heures de retard. On ne manque pas de respect au "Padre" en le faisant attendre.
Tremblante, je descend du bus, regardant aux alentours en craignant de voir débarquer les sbires de Carlos, toutefois je suis seule. On voit même un emballage s'envoler au milieu de la route, s'emmêlant ensuite dans les grilles d'une épicerie fermée depuis probablement avant ma naissance. La ville parle d'une rénovation complète du pâté de maison, en attendant, si vivre avec des rats gros comme des chats ne vous fait pas peur, les loyers sont très abordable dans ce district humain délabré.
J'en profite pour essayer de voir s'il y a la moindre trace de mon loup, cherchant une tâche de sang ou des poils, pourtant je ne vois rien. Personne n'aurait nettoyé ici, donc s'il a été accidenté, il est parti se cacher plus loin. J'aimerais prendre le temps de le retrouver, toutefois j'en manque cruellement. Carlos avait l'air à cran au téléphone, je crains qu'il ne me fasse payer une mauvaise journée.
Les mains tremblantes sur mes clefs, je me dirige vers mon studio d'un pas traînant. Arrivée dans la cage d'escalier, j'ai l'impression que mon cœur va exploser alors que j'entends du bruit dans les étages supérieurs. Je me sens un peu comme une brebis qui va d'elle même rentrer dans une boucherie. Montant les marches avec appréhension, j'arrive à peine au milieu de l'étage que j'aperçois déjà la tête de dogue de Jerry, l'un des sous fifres de mon beau père. L'homme est couvert de larges cicatrices obtenues dans des combats clandestins, mais c'est son regard d'encre inexpressif qui me fait le plus froid dans le dos. Il porte, comme d'habitude, un jeans ainsi qu'un débardeur qui mettent ses muscles et ses tatouages en valeur tout en laissant volontairement dépasser la cross de son arme à feu, comme s'il avait besoin de ça pour avoir l'air dangereux.
Je rends mon visage impassible, avançant calmement pour ne pas titiller son envie d'en découdre. Les dents serrées, craignant un coup par derrière, je continue toutefois vers les deux autres hommes de mains qui m'attendent près de ma porte aux côtés de Carlos.
Je sens les yeux noirs de mon beau père me transpercer de là où il est, à tel point que j'ai l'impression d'être un gros cafard qu'il s'apprête à écraser.
Je me force à le regarder droit dans les yeux tout en me répétant comme un mantras que je n'ai pas peur.
_Approches ! M'ordonne-t-il de sa voix rauque.
Mon cœur bat à cent kilomètres heures, j'aimerais m'enfuir, pourtant je marche comme si je n'avais rien à craindre, je ne veux pas lui faire le plaisir de voir à quel point il me terrorise.
C'est là que je vois tapi dans l'ombre du couloir, une grosse masse sombre. Mon cœur loupe un battement quand je croise les yeux froid comme du métal de mon loup, quelques mètres derrière mes bourreaux. Il est couché au sol, les babines relevées, tendu, près à leur sauter dessus. Ce pourrait être une bonne nouvelle, seulement, ils sont tous armés, alors que lui est blessé. Il va se faire tuer, et je refuse qu'il se mette en danger pour moi.
D'un signe de la main, j'essaie de le chasser discrètement. Si j'arrive bien à attirer son attention, il ne bouge pourtant pas d'un pouce. Obnubilée par mon compagnon à quatre pattes, je n'ai pas le temps de voir arriver, et encore moins de me protéger, de la gifle qui me projette contre le mur. Je m'écrase au sol sous le coup de Carlos qui me toise avec son rictus habituel.
_ Je t'ai déjà dit de te presser sale chienne, quand tu te présente à moi, j'ai autre chose à faire que t'attendre devant ta porte ! Dit-il de sa voix hargneuse en tapotant l'écran de sa montre qui indique 21h02. Il n'y a de toute façon jamais rien qui est entré dans ton sale crâne de piaf !
J'ai les yeux larmoyants, alors que je réalise qu'ayant passé une mauvaise journée il est probablement venu se défouler. Je ne m'apitoie pourtant pas sur mon sort, me concentrant sur mon loup auquel je jette un regard suppliant, réussissant à l'arrêter avant qu'il ne bondisse. Profitant de mon inattention, Jerry et un de ses collègues m'immobilisent les bras, me tenant à genoux au sol, avant de me mettre un couteau sous la gorge.
Je me crispe, tout en tentant de montrer un visage calme. J'ai trop peur qu'en voyant mes émotions, mon compagnon à quatre pattes n'attaque, se faisant sûrement tuer en essayant de me protéger. Je ne doit pas lui faire sentir que je suis en danger. Du coin de l'œil, je l'observe hésiter, grognant tout bas tandis que je sens le plancher trembler jusque sous mes genoux. L'homme de main derrière Carlos commence même à s'agiter en regardant autour de lui, sentant lui aussi les vibrations.
Je prends la parole pour attirer l'attention de ce dernier.
_Ne me frappes pas, j'ai ton argent, Carlos ! Dis-je d'une voix rendue rauque par la peur tandis que le sbire se focalise à nouveau sur moi, exciter par l'envie de voir les billets. La somme que tu m'as demandé !
Mon beau père m'envoie un revers de sa main, si puissant que mes propres dents entament l'intérieur de ma joue en me faisant saigner. J'en ai du mal a reprendre mon souffle tandis que les tremblements du sol gagne en intensité. Je n'ai cependant pas le temps de vraiment reprendre mes esprits, que l'on me plante une aiguille dans le bras, après avoir pris l'enveloppe d'argent dans la poche avant de ma veste.
Paniquée, je tourne vivement la tête, les observant me prélever du sang. Incapable de me débarrasser de mes tortionnaires, je les vois brancher un tuyau sur la seringue rapidement rougit par mon liquide vital qui se vide ensuite dans des tubes à essaie. Pendant ce temps, mon beau père s'approche de moi un sourire mauvais planter sur ses grosses lèvres.
__Je me moques de ce que tu as a dire, petite chienne ! Me lâche-t-il, fais comme ta mère laisse toi faire !
Je me débats, serrant les mâchoires alors que les tubes se remplissent à une allure folle. Que compte-il faire ? Est ce qu'il s'est décidé à vendre mes organes ? Les yeux écarquillés de terreur à cause de tout les scénarios terribles qui tournent dans ma tête, je finis par ouvrir la bouche.
_ Qu'est ce que tu me veux, bordel ? Ma voix est trop aiguë, mais je suis au bords de la crise de panique.
Il m'observe, comme si j'étais une gamine de 5 ans qui venait de poser une question bête.
_Tu as 19 ans, Soupire-t-il en prenant un des tubes pour les regarder à la lumière, comme si c'était un rubis. Il est temps que tu me rapportes vraiment de l'argent !
Une fois leurs prélèvements terminés, Jerry me relâche avec un coup de pied dans le dos. Je termine à quatre pattes devant mon beau père qui me regarde avec un mélange de hargne et d'amusement. Je déteste son sourire, j'aimerais pouvoir le lui arracher de sa sale face de rat. Cependant, tout ce que je peux faire c'est rester prostrée au sol, en espérant qu'il se lasse avant de me tuer.
Au bout d'un moment, il finit par me tapoter doucement la joue, comme s'il avait une once de tendresse pour moi.
_ Prend soin de toi... jusqu'à ce que je revienne ! Me souffle-t-il avec une pointe de sadisme dans la voix.
Il se relève ensuite en ricanant sans la moindre explication avant de me contourner pour s'en aller. J'entends ses sbires le suivre, tandis que mes larmes glissent de mes joues vers le plancher. J'ai du mal à respirer : j'ai peur, j'ai mal, j'ai honte. Encore une fois, il m'a mise plus bas que terre, encore une fois, il a gagné. Pire, il m'a fait la promesse de revenir bientôt pour me faire je ne sais quoi... Cette fois ci, je suis sûr qu'il ne se contentera pas d'un simple "loyer".
Le temps s'écoule doucement, toutefois j'ai toujours des difficultés à me calmer. Épuisée, je m'appuie d'une main contre le mur pour me redresser, quand des doigts m'agrippent par le t-shirt avant de me soulever. Tournant la tête vers ce nouvel agresseur, je me rend compte que c'est un des hommes de mon beau père, alors que je les croyais tous parti. Sans que je ne puisse esquisser le moindre mouvement, il me plaque contre le mur, son visage vicieux bouchant mon champs de vision.
Mes tripes se nouent alors que je tente de le repousser.
_ T'es sacrément bonne, petite pute ! Me sort-il avec son haleine de chacal. On va jouer ensemble toi et moi... Je ne voudrais pas faire baisser le prix de la marchandise, aussi je ne m'occuperai que de ta bouche ! Pas un mot à Carlos !
Par instinct, sachant ce qui m'attends, je lui balance un coup de tête dans le nez. Il recule, tandis que je me retourne pour fuir.
Se reprenant plus vite que prévu, il me fait un croche pied avant même que je n'ai le temps de faire un pas, m'envoyant m'écraser contre le sol. Prenant un air triomphal devant mon visage affolé, il sort un couteau de son dos tandis que je me retourne afin de ramper pour lui échapper. Il est persuadé d'avoir gagné, il en salive d'avance. J'entends sa respiration saccadée dans mon dos alors que je tente de me relever en criant de toute mes forces, tout en sachant que personne ne viendra à mon secours.
Au moment où tout semble désespéré, je vois soudain mon loup se ramasser sur lui même à l'autre bout du couloir, puis bondir au dessus de moi avant de le percuter à la taille. L'homme hurle autant de terreur que de douleur pendant que les dents de mon protecteur s'enfoncent dans sa chair. Le chien le secoue comme une poupée de chiffon puis le balance sans ambage dans les escaliers tel un simple déchet.
Il est prêt à descendre quand je l'attrape par l'encolure pour le retenir.
_ Tout doux mon loup ! Lui susurrai-je à l'oreille en espérant le calmer.
Hésitante, je me penche en avant pour voir l'état de l'autre pourriture. Je le vois étalé sur le palier, les vêtements déchirés, du sang coulant de son torse, mais respirant encore. Je décide que la punition a été suffisante pour aujourd'hui, aussi je resserre mon étreinte sur mon ami canin tout en le caressant sous le menton. Je le grattouille de mon mieux pour attirer son attention, afin de l'empêcher de dépecer mon agresseur.
À vrai dire, le sbire de mon beau père pourrait mourir là, ce serait bien mieux pour le reste de l'humanité, cependant ce qui m'inquiète c'est que la police nous traque s'il venait à périr. S'il le déchiquette, ils sauront qu'un animal sauvage de grande taille est passé par là. Ils nous chasserons alors sans pitié pour le tuer.
_ Tout doux ! Lui dis-je avec tout le calme dont j'en suis capable. Tout va bien ! Il ne faut pas qu'on reste là... Dépêche toi !
Je tire sur ses poils afin de l'obliger à venir, alors qu'il grogne de toute ses forces. Je dois l'emmener loin car il faut qu'on file avant que Carlos ne revienne et ne voie ce que mon ami à poils à fait à son sous-fifre. Je cours rapidement, retournant dans mon appartement en coupe vent, attrapant mon sac à dos d'urgence dans mon armoire, toujours prêt au cas où, sans m'occuper de mes autres possessions tandis que je sens le museau du chien me renifler avec inquiétude.
Ne sachant pas jusqu'où il pourrait vouloir me suivre, je prends un morceau de viande dans le frigo, que je tends ensuite vers lui afin qu'il reste à mes côtés. Il ne met pas longtemps à se lécher les babines en relevant les oreilles. Quelques instants plus tard, je trottine dans le couloir, alors qu'il marche en léchant le sang qui dégouline du steak à moitié congelés.
La première chose à faire c'est trouver un endroit sûr pour passer la nuit, ensuite, il faudra aviser. Mon cerveau fonctionne à cent kilomètres heures alors que je cours maintenant pour atteindre le palier.