Je grogne en le regardant. J'ai déjà entendu parler de ce genre de centre. Il paraît que l'on peut gagner pas mal d'argent en donnant son sang volontairement aux suceurs de sang, le plan le plus juteux étant de se trouver un régulier. La rumeur dit que chaque humain à un goût différent, si vous trouver un vampire qui aime votre "parfum", vous pouvez lui extorquer de l'argent tant qu'il bois a votre jugulaire. Toutefois si je suis prête à faire beaucoup de choses pour de l'argent, je refuse de vendre mon corps sous quel forme que ce soit. Si j'omet le fait que je ne ferai pas confiance au suceur de sang pour me relacher avant de m'avoir entièrement dévorée, je ne suis pas une marchandise et je n'en serai jamais une ! Seul mon travail me rapporte de l'argent.
D'ailleurs, j'en ai un autre qui m'attend.
_ Laisse tomber, lui dis-je en repoussant le flyers qu'il me tend toujours, ça ne me dis rien ce genre de chose! En plus, je suis occupée...
Après m'être assurée que mon vélo est bien accroché, je me tourne vers lui afin de terminer notre conversation mais notre manager l'appel. Sam me fait signe de la main pour me dire au revoir, sachant qu'il en a pour un moment, tandis que je sort déjà du dépôt afin d'attraper le bus qui va me ramener vers le Bronx.
Je m'autorise 30 minutes de sieste rouler en boule sur une banquette, avant de descendre à mon arrêt.
Je travail dans un bar. Rien de très glamour, je nettoie simplement le sol et les toilettes tout en m'occupant de ravitailler les boissons. Cela me fait juste un petit appoint pour atteindre mon objectif plus vite. En plus de ses deux boulots réguliers, je fait aussi quelques extras par ci par là. Je suis passée maître dans l'art de trouver des bons plans. Réparant quelque chose pour l'un, faisant une course pour l'autre, je fait tous ce qui me rapporte un peu d'argent, même si parfois ça m'emmène dans des endroits peu recommandable.
D'ailleurs, la rencontre avec les deux vampires n'est ni la première, ni la pire de mes expériences. Je m'interroge toutefois un long moment sur la facilité avec laquelle j'ai fait plier le genoux au brun. Puis, comme à chaque fois que ma situation dérape, je pousse tout cela dans un coin de ma tête, passant à autre chose pour survivre une journée de plus.
Il est presque deux heures du matin quand je rentre chez moi. Un petit studio dans lequel je vis seule.
La description c'est cocooning pour éviter de dire que j'habite un timbre poste. Cela n'est pas un problème pour moi, le loyer est très faible, sans compter que je n'ai de toute façon besoin que d'un coin pour dormir et d'un endroit pour entreposer mes maigres possessions. D'ailleurs, à peine ai-je mis un pied à l'intérieur que je récupère un sac de croquette ainsi qu'un bidon d'eau dans un recoin, avant de retourner dans le parc à côté de chez moi.
C'est la seule chose que je fais qui ne me rapporte pas d'argent. C'est mon petit plaisir personnel.
Je prends les gamelles que je cache dans un buissons au moment où mes compagnons, alertés par le bruit, sortent de partout.
Ce sont des chiens abandonnés ou fugueurs, il y a des gros, des petits, des vieux, des jeunes... Je vois dans leurs yeux tout le mal que leur à fait les trois espèces. Je me contente d'essayer de les apaiser un peu en leur donnant à manger, à boire et un peu d'affection.
Je verse les croquettes tandis que les plus affamés n'attendent pas et se jettent dessus. Je ne m'inquiète pas, j'ai toujours suffisamment à manger pour tout le monde.
Quand ils profitent tous de leurs repas, j'attrape les plus gloutons en les caressant afin que d'autres puissent manger. Je me retrouve bientôt enseveli sous les chiens pour mon plus grand bonheur.
Je patiente longtemps, car cela fait plusieurs jours que j'ai un nouveau compagnon un peu timide. Toutefois, je ne l'ai vu que de loin. Il ne me fait pas encore assez confiance, même s'il vient de plus en plus près. Je pense que c'est un très grand modèle, il est cependant si discret que je n'en suis pas sûr. Pour le moment je lui laisse des gamelles à disposition en partant, espérant qu'il les mange. Comme il vient assez tard, j'attends en caressant mes "habitués", cette fois ci j'aimerais vraiment qu'il s'approche.
Les buissons bougent sur ma gauche, me faisant tressaillir, je tâche de prendre un air calme et détaché, mais la meute autour de moi a déjà changée de comportement. Certains se sont éloignés un peu, tandis que les autres couchent leurs oreilles en s'aplatissant, preuve que mon nouvel ami est un dominant.
Je ne dit rien, de peur de le voir partir. Je ne crains pas de le laisser approcher sans l'avoir vue, je ne suis pas effrayée par les canidés, je sais que tant que je lui laisse la possibilité de fuir, il n'a aucune raison de m'attaquer. Assise par terre, je respire profondément en attendant qu'il soit prêt à se montrer.
Au bout d'un long moment, tout mes amis reculent pour lui laisser la place. Étonnée, je le vois sortir des buissons devant moi en boitillant, la tête basse. Je savais qu'il serait grand, mais pas à quel point exactement ! Quand il me contourne pour mieux me flairer, son ombre me recouvre entièrement. Je crois qu'il doit avoir la taille d'un petit poney. Je n'avais jamais vue de chien aussi énorme avant.
Toutefois, malgré sa taille imposante, il semble avoir eu une vie difficile. Sa fourrure est aussi terne que mitée, tandis que ses flancs et ses cuisses sont striés de cicatrices. Il tient à peine sur ses pattes, il n'a pas dû non plus manger à sa faim depuis un bon moment... En même temps, il va me falloir plusieurs paquets de croquettes si je veux réussir à le remplumer.
Il s'assoit soudain face à moi, baissant un peu plus sa tête pour se mettre au niveau de mes yeux. Ses iris bleu acier me font louper plusieurs battements de cœur. J'ai l'impression que je pourrais rester comme cela pendant des heures. J'en ai les poils qui se redressent.
Sans me lâcher du regard, il s'avance encore un peu avant de poser sa tête sur mes cuisses avec un soupire d'épuisement. Aussi délicatement que possible, je tend ma main vers son museau afin qu'il la sente, puis je la fait glisser sur son crâne. Il se ramolli à mon contact, avant de s'allonger sur le flanc, totalement détendu alors qu'il a l'air vraiment épuisé.
Je me demande vaguement de quelle race de chien il s'agit. Je sais que certains dogues tibétain sont vraiment énorme. Je connais plus d'un homme à New York qui espère faire des croisements avec eux et des Bull-mastiff pour réussir à avoir de grand chien de combat impressionnant. J'ai peut être l'un de ses spécimens entre les mains.
En tout cas, d'où qu'il vienne, il est vraiment dans un sale état !
Je n'ai pas envie de le laisser comme ça, mais je me demande quel marge de manœuvre j'ai. Il n'a pas un format qui me permette de l'emporter sous mon bras.
Je décide de tenter le tout pour le tout, me levant doucement alors qu'il me regarde. D'une patte, aussi grosse que mon bras, il tente de me retenir au sol, mais il manque de force. Je me dégage facilement, reculant pour l'attirer, espérant pouvoir le ramener chez moi en sécurité.
_ Allez viens mon petit loup...
Je tend ma main, afin qu'il vienne la sentir, voyant qu'il étire le cou comme prévu et se relève, je récupère mon bidon ainsi que mon sac vide, puis je me décale un peu plus en arrière. Au début il hésite, puis il avance doucement d'une démarche difficile. En sortant du parc, il claudique à ma hauteur, s'adossant à moi pour ne pas vaciller.
Son dos m'arrive presque sous l'épaule, et il pèse lourd, mais je finis par l'amener chez moi.
Une fois la bas, il s'écrase au sol prenant toute la place qui reste après mon matelas. Je suis obligée de l'enjamber pour circuler. Il reste d'ailleurs étonnement calme et stoïque. Ce qui veut dire qu'il a déjà habité une maison, malgré sa taille hors norme.
Je hausse les épaules, son histoire m'importe peu pour l'instant, il faut d'abord le soigner. Je m'accroupis à côté de lui en lui montrant mes mains pour qu'il sente le matériel que je suis parti chercher pour m'occuper de ses plaies. Après quelques reniflements il repose sa tête au sol, rassuré, je commence donc à travailler sereinement. Les blessures ne sont heureusement pas profondes, mais on dirait qu'il s'est battu contre un ours... Ou peut-être juste contre un chien comme lui...
Une fois toutes ses lacérations nettoyées, Je lui redonne à manger. Il ne semble pas avoir beaucoup d'appétit, aussi je fais décongeler mes restes de pâtes aux fromages, auxquelles je rajoute du jus de viande. Ce n'est pas très équilibré, mais il a vraiment besoin d'énergie.
Quand il finit enfin d'avaler la dernière nouille, il est quatre heure du matin. Dans un soupire, je me jette sur mon matelas, me roulant en boule pour récupérer un maximum durant la dernière heure de sommeil qu'il me reste.
Quelques minutes plus tard, quand le réveil sonne, je grogne en tapant dessus pour le faire taire. En essayant de me relever, je sens mon loup autour de moi tandis qu'il s'est incrusté sur mon matelas. Sa tête pèse de tout son poids sur ma taille alors que son corps chaud immobilise mes jambes. Je lui fais une petite caresse entre les deux yeux pendant qu'il baille. Puis comme je bouge, il se décale me laissant me lever. Je file ensuite à la salle de bain.
Le reflet n'est pas flatteur: mes yeux vert émeraudes sont entourés de cernes dignes d'un panda, tandis que je suis d'une pâleur terrifiante. Espérant me donner forme humaine, je brosse vigoureusement ma crinière brune afin de l'attacher en une queue de cheval haute puis je passe vite fait à la douche. J'enfile un jeans noir, ainsi qu' un t-shirt gris, avant de trottiner vers la porte d'entrée.
Mon loup est debout, me fixant avec curiosité. Je vois que ses plaies se sont étonnement bien refermées depuis tout à l'heure, même son poil semble moins terne. Peut-être avait il seulement besoin de manger. J'hésite un peu à le laisser chez moi, mais il colle son museau sous mon bras. Je sent qu'il veut sortir, et puis je ne veux pas qu'il fasse ses besoins ici.
Je lui ouvre donc grand la porte, le regardant la franchir d'un pas plus alerte que la veille. Descendant les marches, il part flâner comme un jeune chiot la truffe au vent. C'est plutôt agréable de le voir aller bien aussi vite, de plus, il ne risque pas grand chose à cet heure ci. Je le regarde disparaître à l'angle de la rue tandis que le bus arrive. Je grimpe à l'intérieur, rassurée sur son état. Je le reverrai peut-être ce soir, ou peut-être aura-t-il trouvé un autre endroit où dormir. Je ne revois pas toujours mes habitués, mais pour éviter d'avoir le bourdon je me dit que c'est parce qu'ils ont trouvé un bon endroit où vivre, et pas parce que quelqu'un leur a roulé dessus.
Je m'assois sur la banquette alors que le bus redémarre. Soudain, un hurlement retentit qui me crève les tympans et le cœur. Le chauffeur aussi l'a entendu, mais au lieux de s'arrêter comme je lui demande d'un air désespéré, il accélère. J'en suis plaquée au fond de mon siège.
Je tente de regarder au travers de la vitre pour voir ce qu'il c'est passé toutefois on a déjà tourné à l'angle de la rue. Courant à l'avant malgré le roulis de la route, je demande une nouvelle fois d'arrêter le bus, cependant le chauffeur ne m'écoute toujours pas. Il est trop terrifié pour ça.
Je regarde les rues défiler, le cœur serré. Je ferai peut être bien de descendre au prochain arrêt pour revenir auprès de mon loup. C'est-il fait percuter par une voiture justement ? Il n'y avait pourtant pas de circulation sur la route!
Je suis toujours debout, accrochée à la rambarde du bus quand mon téléphone sonne. Je regarde l'écran tandis que mon cœur s'écrase au sol, j'ai envie de balancer l'appareil contre la vitre sur ma gauche. Pourtant je décroche parce que je sais que je n'ai pas le choix. La voix de mon beau père, Carlos, retentit à l'autre bout du fil.
_Tu as l'argent ?
_Oui...
_ Ce soir, 21 heure chez toi ! Soit à l'heure !
Il raccroche. Cet immonde bâtard !
Je déteste cet homme du plus profond de mon cœur. C'est lui que j'essaie de fuir de toute mes forces: je ne suis même pas sûre que le Canada soit assez loin de lui. Il a transformé ma mère en strip-teaseuse avant d'en faire une call-girl. Son seul rêve est de faire pareil avec moi. Il a fait de chaque jours de ma vie un enfer de peur et de souffrance depuis ma plus tendre enfance.
Il doit rassembler autour de lui toute la lie de la société, qui se repaît de tout ce que la ville peu compter d'illégal et d'atroce. Tout ce que je peux faire pour qu'il me laisse un peu tranquille, c'est lui donner l'argent qu'il me demande pour m'avoir élevée depuis mes 5 ans.
Je pourrais le frapper, lui briser les dents: il est à peine plus grand que moi, et bedonnant. Sauf que personne ne dit non à Carlos. Je n'aurais pas le temps de lui mettre le moindre coup que ses hommes de mains me tueront. J'ai déjà essayé de m'enfuir, malheureusement c'est la police qui m'a ramené auprès de lui. Il m'a fallu un bon mois pour remarcher après qu'il m'ait passée à tabac.
Je m'assoit la tête basse, tremblante, je crains toujours les rencontres avec cet homme. Mon loup devra se débrouiller seul, je dois absolument continuer à amasser de l'argent ou il finira par avoir ma peau.
Je maîtrise difficilement mes larmes de rage, mais je garde à l'esprit qu'un jour, je serais libre !