CHAPITRE 1
-- C'était bien ta journée ?
« Non », ai-je répondu dans ma tête. Ma mère me demandait ça chaque soir, comme si, par miracle j'avais le droit de vivre une bonne journée. En fait, ce n'est même pas vraiment ma mère...
-- Saveria ! J'ai une bonne nouvelle pour toi !
« Je sais, je sais tout de ce dont vous pensez, absolument tout », trop, peut-être. Je savais à quel point mon « père », car lui non plus n'est pas mon vrai père, te faisait "chier" quand il râlait devant ses matchs de foot, mais moi j'aimais bien le voir aussi investi dans quelque chose, même si ce n'était pas son travail. Je savais même d'autres choses, plus sombres, que personne mais alors personne n'aimerait savoir...
-- Tu as été acceptée dans ta nouvelle université !! Génial, non ?
-- Je sais maman !
-- Comment ça tu sais ? Comment ça se fait ?
-- Je sais tout sur tout haha !
-- Ma fille est trop forte, dit-elle tout bas.
Ce qui n'était pas faux. J'avais un pouvoir dont je suis la seule à en avoir connu l'existence. C'était aussi possible que je fusse bien la seule à posséder ce genre de don surnaturel. Car oui, je pouvais lire dans les pensées des gens. Mais, c'était tout sauf cool. Ça s'était déclaré vers mes onze ans, et depuis, j'entendais les pensées de tout le monde, même des animaux, dans un rayon de vingt mètres. Je ne choisissais pas de qui, ni de quoi, je lisais les pensées, elles apparaissent comme ça, comme des voix dans ma tête. Et puis, si j'avais su, je n'aurais pas fouillé dans la tête de Hacem, cet enfoiré de première. Ce mec sortait avec trois filles en même temps. Non pas une, non pas deux, mais bien trois filles en même temps... Même après vingt ans j'en reviens toujours pas.
On était déjà en 2035. A côté de ma super vie d'étudiante en psycho, je travaillais chez un animalier, en tant que conseillère en boutique. Je n'aimais pas la boutique, parce qu'honnêtement, je trouvais ça assez glauque de payer pour acheter des êtres vivants. Mais j'adore les animaux, leurs pensées sont très simples et amusantes. Entre les chats et leur complexe de supériorité vis-à-vis des autres, les lapins et leurs pulsions sexuelles parfois trop fortes et les oiseaux qui se disputent toutes les demi-secondes, on avait pas le temps de s'ennuyer dans une animalerie.
Mon patron était un monsieur très gentil, mais apparemment, personne ne voulait de lui comme amoureux. Enfin, c'était ce qu'il répétait à longueur de temps, dans l'espoir qu'un jour je vienne le réconforter. A part ça, c'était un gentil bougre. J'aimais peu de gens dans ce monde, ils se comptaient sur les doigts d'une main : ma « mère », mon « père », et mon chien Iggy. J'adorais mon chien. Il était très con, mais qu'est-ce qu'il était gentil. Un jour, j'ai tenté une expérience sur lui, ça n'a pas fonctionné évidemment, mais j'ai essayé. J'ai posé une friandise au sol, visible, puis l'ai recouvert d'un torchon. Il est resté assis en me regardant et pensant « Manger ? ». Alors j'ai enlevé le torchon. Il s'est exclamé : « Manger !! » et a gobé la friandise. Une autre fois, j'ai posé plusieurs croquettes au sol et ai posé une barrière devant. Il a pensé en se lamentant « Manger... », comme si elle était inaccessible.
Il était vers vingt-deux heures quand une de mes amies m'a appelée, pour avoir de mes nouvelles. Je ne l'avais pas vue depuis le lycée, et elle avait été la seule personne sincère envers moi de toute ma vie. Et j'aimais aussi les conversations au téléphone, car je ne pouvais pas entendre leurs réelles pensées. On s'est raconté nos aventures sur Skyrim, nos épopées maintenant légendaires sur World of Warcraft, et aussi nos gros coups de gueule sur Rocket League... En somme, c'était la quatrième personne que j'aimais dans ce monde. Je me suis couchée à vingt-trois heures, comme à peu près tous les soirs.
« Déjà six heures », c'était ce que je pensais aussi tous les matins. Je me préparais toujours de la même manière pour aller au lycée : je me levais, me lavais, déjeunais, me brossais les dents, petit coup d'anticernes pour pas paraître trop fatiguée, et hop, c'était parti pour ma septième université ! En effet, c'était bel et bien ma septième université. Je me suis faite virée des six autres pour « bagarres excessives », en quelque sorte. Mon « père » était plutôt fier, étant donné que je gagnais à chaque fois. Évidemment, lire dans l'esprit des gens c'était parfois utile. Mais du côté de ma mère, c'était une autre histoire. Je ne vous raconte pas toutes les remarques que je me suis prise, à tel point que maintenant elle ne me dit plus rien.
« J'espère que cette école ne va pas être remplie de gros pervers » me suis-je dis en arrivant. J'avais parlé trop vite. A peine arrivée, deux garçons à l'entrée ont pensé un peu trop fort : « Elle est nouvelle ? Je me la taperais bien. », et ce qui devait être son pote a renchéri : « Au point où j'en suis, je pourrais bien me la faire elle ». Je n'ai pas réagi, ça n'aurait qu'empiré les choses. Néanmoins, je me suis sérieusement demandé ce qu'il était arrivé à ces deux gars pour vouloir forniquer avec moi, parce qu'entre nous, je ne suis pas super canon. La journée se passa sans accrocs, quelques personnes sont venues me demander mon prénom, et c'était à peu près tout.
Le soir, je suis rentrée à pied, je n'aurais pas dû. Au bout de dix minutes de marche, un mec m'a agrippée par le bras et m'a tirée dans un espace entre quatre immeubles, complètement désert. Je trouvais bizarre que je n'aie pas pu l'entendre venir, comme je faisais d'habitude avec les hommes qui me suivent dans la rue. Il s'est mis en position de combat et a foncé vers moi si vite que je n'ai même pas pu réagir. J'avais des frissons d'excitation. Il a encore attaqué avec son poing droit, j'ai esquivé et lui ai filé un uppercut dans le ventre. Il s'est vite relevé et a reculé. On s'est jaugé pendant quelques instants et j'ai foncé vers lui. Il a tendu son poing droit, j'ai fait pareil, on se croirait dans Naruto. Nos poings se sont entrechoqués. J'ai desserré ma main pour tenir son poing et bloquer son autre main avec ma paume gauche.
Il a enfin sorti un mot :
-- Tu te bats bien, pour une fille...
-- C'est la première fois qu'on se rencontre, t'aurais pu trouver mieux comme phrase pour m'accoster...
-- Tu crois vraiment que je veux te draguer ?
Je n'ai pas su comment le prendre. Ce gars dégageait quelque chose de spécial, mais je ne savais pas quoi, mais il restait banal physiquement. Après quoi il m'a dit :
-- Je vais essayer de t'expliquer brièvement pourquoi je suis venu ici, me battre contre toi. Je voulais te prévenir de quelque cho- Ah !
Son téléphone a sonné et l'a coupé dans sa phrase.
-- Désolé, il faut que j'y aille. Je t'ai laissé mon numéro de téléphone dans ta poche, envoie moi un message quand tu es rentrée !
Il m'a fait un clin d'œil, puis est parti en courant, sa capuche sur la tête. Depuis qu'il était parti, j'entendais à nouveau toutes les voix autour de moi. C'était de là que provenait ce sentiment de satisfaction, alors... J'ai pu me battre sans avantage pour moi, un combat réel, au calme, sans toutes les voix parasites dans ma tête. Je me demandais si c'était vraiment grâce à lui, peut-être avait-il une faculté, ou un pouvoir, comme moi...