Chapitre 10 10

Le lendemain matin, Léa se réveilla en sursaut, son esprit tourmenté par la conversation de la veille. Elle n'avait pas dormi, ou si peu, et ses pensées s'étaient entrelacées, créant un enchevêtrement de doutes et de souvenirs. Adrien. Thomas. Leurs visages, leurs voix, leurs gestes. Tout se mélangeait dans son esprit, formant un puzzle qu'elle ne parvenait pas à reconstituer.

Emma, toujours joyeuse et insouciante, entra dans la chambre, les cheveux en bataille et un sourire radieux sur son petit visage. Sa petite main se posa sur le bord du lit, et Léa sentit son cœur se serrer. Emma était son ancre, son tout. Elle se battait chaque jour pour offrir à sa fille un avenir sans les cicatrices de son passé. Elle ne voulait pas que son enfant soit emporté dans cette tourmente. Et pourtant, le passé revenait sans crier gare, avec toute la force d'un ouragan.

- Maman, regarde ! J'ai un dessin ! s'écria Emma en tendant fièrement une feuille de papier crayonnée, pleine de couleurs éclatantes.

Léa sourit, la chaleur envahissant son cœur. Emma n'avait aucune idée de ce qui se passait dans le monde des adultes, et c'était tant mieux. Elle se pencha pour admirer le dessin, lui murmurant des mots tendres.

- Il est magnifique, mon trésor, dit-elle en la serrant dans ses bras. Je vais le mettre sur le frigo, comme d'habitude.

Ce geste, cette petite routine, l'ancrèrent dans le moment présent. Les soucis semblaient s'éloigner, comme balayés par le sourire innocent de sa fille. Mais une partie de Léa savait que cela n'allait pas durer. Adrien allait revenir. Et elle allait devoir faire face à tout ce qu'il avait déclenché en elle.

À l'heure du déjeuner, Thomas arriva, comme chaque jour, avec son sourire chaleureux et ses yeux pleins de tendresse. Il salua Emma, lui offrant un câlin, avant de poser un baiser sur le front de Léa. Il était toujours aussi prévenant, toujours aussi stable, et chaque jour passé à ses côtés renforçait son image d'homme solide et fiable.

Mais aujourd'hui, Léa sentait un décalage. Thomas semblait plus attentif que d'habitude, son regard scrutant son visage, comme s'il pouvait déceler une fissure dans son masque de calme. Elle n'arrivait pas à lui mentir, à lui cacher cette tempête qui grondait en elle. Et il le savait.

- Léa, ça ne va pas, dit-il doucement, en s'asseyant à côté d'elle. Je vois bien que quelque chose te tracasse. Tu sais que je suis là, non ?

Elle hésita, mordillant sa lèvre inférieure, avant de se redresser. Thomas méritait la vérité, au moins en partie. Mais à quel prix ?

- C'est Adrien, murmura-t-elle finalement, la voix brisée. Il est revenu. Il... Il veut revenir dans nos vies, Thomas. Il veut une chance.

Elle détourna le regard, comme si elle avait peur de la réaction de Thomas. Elle savait qu'il serait affecté. Thomas n'était pas aveugle. Il avait vu les changements dans son attitude, les silences qui s'étaient installés entre eux ces derniers temps. Mais la révélation de l'arrivée d'Adrien allait certainement tout bousculer.

Il resta silencieux pendant un instant, puis, lentement, prit sa main dans la sienne. Ses doigts étaient chauds et rassurants, et malgré la tension palpable entre eux, Léa se sentit étrangement apaisée par ce simple geste.

- Tu sais que je t'aime, Léa. Et tu sais aussi que je ferai tout pour te rendre heureuse, dit-il d'une voix calme, mais pleine de gravité. Mais je ne peux pas ignorer ce qui se passe. Si Adrien revient... il faut qu'on parle. Il faut qu'on soit honnêtes l'un envers l'autre. Je ne peux pas te garder avec moi si tu as encore des sentiments pour lui.

Les mots de Thomas frappèrent Léa comme une claque. Elle n'avait jamais voulu lui faire de mal. Elle n'avait jamais voulu qu'il se sente rejeté, qu'il doute de son amour. Mais là, tout à coup, elle comprit que ses sentiments pour Adrien n'étaient pas aussi clairs qu'elle l'aurait souhaité.

- Je ne sais pas ce que je ressens, Thomas, avoua-t-elle, les yeux remplis de larmes. Je ne sais plus... Tout est si compliqué. Adrien est un homme que j'ai aimé. Un homme qui m'a blessée, mais un homme que je n'ai jamais pu oublier, même après tout ce temps. Et maintenant... maintenant il veut que je lui donne une chance.

Le silence s'étira. Thomas regarda Léa avec une intensité qu'elle ne lui avait jamais vue. Il savait que l'amour n'était pas un simple choix, que parfois les sentiments étaient plus puissants que tout. Mais il avait aussi sa fierté, et il n'allait pas accepter d'être pris pour acquis.

- Tu as raison. C'est compliqué, dit-il finalement, son ton devenu plus dur. Mais je n'accepterai pas d'être un second choix. Et je ne veux pas que tu restes avec moi par pitié.

Léa sentit son cœur se briser en mille morceaux. Elle savait que Thomas avait raison. Il méritait d'être aimé pleinement, sans hésitation, sans réserve. Et elle, elle ne pouvait pas se mentir davantage. Elle était perdue, partagée entre son passé et son présent, entre la douleur et le désir de guérison.

- Je... je ne veux pas te perdre, Thomas. Mais je ne peux pas t'offrir ce que tu attends de moi si je ne sais même pas ce que je ressens.

Il se leva lentement, et Léa sentit une bouffée de panique l'envahir. Elle savait qu'il allait partir. Elle savait qu'il allait la laisser seule, comme elle l'avait toujours redouté.

- Je vais te laisser du temps, Léa. Je vais te laisser réfléchir. Mais sache une chose : je ne serai pas là si tu choisis Adrien. Je ne serai pas là pour souffrir dans l'ombre d'un homme qui t'a déjà brisé une fois. Je mérite plus que ça. Nous méritons plus que ça.

Léa ne put retenir une larme qui roula sur sa joue alors qu'il quittait la pièce. Elle était là, figée, les yeux pleins de larmes, se sentant plus seule que jamais. La décision qu'elle devait prendre pesait sur ses épaules, plus lourde que tout le reste. Mais une chose était certaine : elle ne pourrait pas échapper à cette vérité longtemps. Un choix se présentait à elle. Et ce choix changerait sa vie à jamais.

Léa resta là, dans le silence lourd de la pièce, le souffle court et les mains tremblantes. Le bruit de la porte qui se fermait derrière Thomas résonna dans sa tête comme un écho sourd. Elle se sentait étrangère dans sa propre vie, comme si elle était un spectateur observant tout se dérober sous ses pieds. Adrien. Thomas. Deux hommes qui, à leur manière, avaient pris une place dans son cœur, mais qui aujourd'hui semblaient irréconciliables.

Elle se leva lentement, comme si chaque mouvement exigeait un effort surhumain, et alla chercher le dessin d'Emma. Elle en avait besoin pour s'ancrer dans la réalité, pour se rappeler ce pourquoi elle se battait chaque jour. Le dessin de sa fille était maintenant accroché sur le réfrigérateur, en plein centre. Une petite fée volant à travers un ciel étoilé, un sourire innocent sur le visage de la créature, un reflet de la pureté d'Emma. Mais le poids de la décision à prendre se fit encore plus pressant.

Léa prit une grande inspiration, fermant les yeux un instant. Elle savait qu'elle devait affronter la vérité en face. Les regards d'Adrien, ces sourires pleins de promesses brisées, ne devaient pas avoir de prise sur elle cette fois. Elle ne pouvait pas se permettre de retomber dans ce piège. Il était un homme dangereux, un manipulateur né, et même si elle ne l'avait jamais oublié, elle savait qu'elle ne pouvait pas lui accorder une place dans sa vie à nouveau.

Mais... et si c'était une chance de réparer les erreurs du passé ? Et si, cette fois, il était sincère ? Était-ce juste la souffrance de toutes ces années qui parlait en elle, ou un véritable désir de réconciliation ?

Un bruit de voiture au loin la fit sursauter. Adrien. Il était là. Il était revenu. Elle le savait sans même avoir besoin de regarder par la fenêtre. Le battement de son cœur se fit plus rapide, et une vague de chaleur envahit son corps, un mélange d'adrénaline et de peur. Tout était sur le point de se jouer. Elle n'avait plus le luxe de la réflexion.

Elle se dirigea vers la porte, ses pas se faisant de plus en plus lourds à mesure qu'elle s'approchait de l'entrée. Adrien se tenait là, sous le porche, son regard perdu dans le vide, comme s'il attendait le bon moment pour frapper. Il n'avait pas changé. Ses cheveux sombres étaient un peu plus longs, et il avait perdu un peu de son éclat de jeunesse, mais il restait ce même homme charismatique, ce même bad boy dont l'ombre s'était immiscée dans sa vie des années auparavant.

Il tourna la tête, et leurs regards se croisèrent. L'intensité de ce moment fut presque insoutenable. Adrien lui offrit un sourire, mais cette fois-ci, il n'était pas celui qu'elle avait connu. Ce sourire était empreint de vulnérabilité, comme si tout son arrogance s'était évaporée, laissant place à quelque chose de plus... humain.

- Léa, dit-il d'une voix rauque, presque suppliante. J'ai... j'ai besoin de te parler.

Elle se contenta de hocher la tête, ne sachant pas si elle devait l'inviter à entrer ou lui demander de partir immédiatement. Il s'approcha lentement, hésitant, comme s'il avait peur de briser quelque chose qui ne pouvait être réparé. Lorsqu'il entra dans la pièce, elle sentit immédiatement la tension s'élever, comme un fil invisible tiré entre eux deux, prêt à se rompre à tout moment.

- Je sais que tu me détestes, commença-t-il, la voix plus basse maintenant. Et je sais que j'ai tout gâché... Je ne m'attends pas à ce que tu me pardonnes. Mais je veux que tu saches que je suis sincère. Je veux vraiment changer. Je veux être un père pour Emma, si tu me laisses une chance.

Léa le regarda, les bras croisés, le cœur serré. C'était tout ce qu'elle avait attendu pendant des années, n'est-ce pas ? Les mots qu'il prononçait, elle les avait rêvés, espérés. Mais aujourd'hui, ils semblaient vides, comme une promesse qu'il ne pourrait pas tenir. Elle l'observa un instant, cherchant des signes de la sincérité qu'il prétendait avoir, mais ses yeux trahissaient encore cette lueur de doute, cette incapacité à se libérer de ses propres démons.

- Et pourquoi maintenant, Adrien ? demanda-t-elle, sa voix ferme mais brisée. Pourquoi revenir après tout ce temps, après toutes les années que tu m'as laissée dans le néant ? Tu crois que je vais tout effacer d'un coup de baguette magique ? Tu crois que je vais oublier toutes les fois où tu m'as laissée seule ?

Il baissa les yeux, mais elle remarqua qu'une certaine douleur passait dans ses traits. Il n'était pas celui qu'il avait été, cet homme insensible à ses souffrances. Il semblait, pour la première fois, profondément désolé. Mais est-ce que ça suffisait ?

- Je ne peux pas oublier tout ça, Léa, mais je ne veux pas continuer à fuir. Je veux prendre mes responsabilités. Pour toi, pour Emma. Je suis prêt à tout pour ça.

Un silence lourd s'installa entre eux. Léa voulait crier, tout lui dire, mais les mots semblaient coincés dans sa gorge. Elle savait qu'une réponse, une seule, changerait tout. Elle pouvait l'accepter dans sa vie, malgré les risques, malgré la peur, ou le repousser définitivement et garder son monde intact.

Mais, à ce moment précis, une pensée traversa son esprit. La pensée de Thomas, de sa présence stable et rassurante. Il n'était pas comme Adrien. Il n'avait jamais brisé son cœur, ni ses rêves. Il était là, sans promesses vides, sans illusion. Et il l'aimait pour ce qu'elle était. Mais pouvait-elle vraiment le choisir, lui, sans avoir tout réglé avec Adrien ?

Elle prit une grande inspiration, sentant la lourdeur de son choix sur ses épaules.

- Je... je ne peux pas répondre maintenant, Adrien. Pas comme ça, et pas si vite. Je dois réfléchir, et je dois être honnête avec moi-même. Mais je ne veux pas que tu penses que tout est possible entre nous. Ça, je ne peux pas le promettre.

Adrien acquiesça lentement, une lueur de compréhension dans les yeux. Il s'approcha d'elle, mais cette fois, il ne chercha pas à la toucher. Il se contenta de la regarder, de la respecter dans son espace. Et, avant de partir, il murmura une dernière chose.

- Je reviendrai, Léa. Quand tu seras prête.

Il s'éloigna sans un mot de plus, et la porte se ferma derrière lui. Léa se laissa tomber sur le canapé, les mains tremblantes. Elle avait pris une décision, mais elle savait que le chemin ne faisait que commencer.

            
            

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