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Le bruit sourd des gouttes de pluie contre les vitres résonnait dans la petite maison de Léa. La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà, enveloppant le quartier d'un silence paisible, seulement troublé par le vent sifflant entre les volets. Dans la chambre aux murs pastel, un souffle doux et régulier berçait l'obscurité. Emma dormait, paisible, les joues rosies par la chaleur des couvertures.
Léa s'attarda quelques instants à la contempler, laissant une caresse furtive effleurer ses cheveux blonds. Deux ans s'étaient écoulés depuis la naissance de sa fille, et pourtant, chaque jour, elle avait l'impression de redécouvrir ce petit être qui illuminait sa vie. Emma était son ancre, son monde, son plus grand amour.
Elle se détourna avec un soupir et referma la porte en silence avant de descendre au rez-de-chaussée. Thomas était là, assis sur le canapé, un livre ouvert sur ses genoux. Il releva les yeux en entendant Léa entrer et lui offrit un sourire tendre.
- Elle dort ?
- Comme un ange, murmura-t-elle en s'installant à ses côtés.
Il referma son livre et l'attira contre lui, glissant une main réconfortante sur son bras.
- Tu as l'air préoccupée.
Léa hésita. Comment lui dire que, depuis quelques jours, une angoisse sourde la rongeait, comme une ombre tapie au fond d'elle, prête à resurgir ? Elle n'aurait su dire pourquoi. Peut-être était-ce cette impression étrange d'être observée lorsqu'elle sortait d'Emma à la crèche. Ou cette sensation d'oppression qui la saisissait sans raison apparente.
- Juste fatiguée, souffla-t-elle.
Thomas ne sembla pas convaincu, mais il ne chercha pas à insister. À la place, il déposa un baiser sur son front et la serra un peu plus contre lui.
- Tu veux qu'on regarde un film ?
Léa esquissa un sourire et hocha la tête. Mais alors qu'il attrapait la télécommande, une sonnerie brisa le silence. Trois coups secs à la porte.
Léa tressaillit.
Thomas fronça les sourcils et se leva immédiatement.
- Qui ça peut être à cette heure-ci ?
Léa secoua la tête, les muscles tendus. Il était presque vingt-trois heures, et personne ne venait frapper à sa porte à une heure pareille. Un mauvais pressentiment la saisit, glacé et implacable.
Thomas s'approcha de la porte et jeta un coup d'œil par le judas.
- C'est un homme. Grand, brun... il est de dos.
Un frisson parcourut Léa. Elle se leva lentement, son cœur battant plus fort dans sa poitrine.
Thomas ouvrit la porte.
Et elle le vit.
Adrien.
Il était là, debout sous la pluie battante, les mains enfoncées dans les poches de son blouson sombre. Son visage, qu'elle n'avait pas vu depuis plus de deux ans, n'avait rien perdu de son intensité. Ses traits ciselés, sa mâchoire forte, ce regard perçant qu'elle avait tant aimé... et tant redouté.
Léa sentit sa gorge se serrer.
Adrien releva enfin les yeux vers elle.
- Salut, Léa.
Un silence pesant s'abattit sur l'entrée.
Thomas, à côté d'elle, se raidit immédiatement.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? lâcha-t-il d'un ton sec.
Adrien esquissa un sourire en coin, ce sourire irrésistible qu'elle connaissait trop bien.
- Je suis venu voir Léa.
Thomas se plaça instinctivement entre eux, protecteur.
- Il est tard. Ce n'est ni le moment, ni l'endroit.
Adrien ne détourna pas le regard, mais son sourire s'effaça légèrement. Il semblait fatigué, plus marqué par la vie qu'avant.
- J'ai besoin de lui parler, insista-t-il, ignorant la tension grandissante.
Léa sentit son souffle se bloquer. Elle aurait dû le chasser sur-le-champ. Lui dire qu'il n'avait plus sa place ici, qu'il n'était qu'un fantôme du passé. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge.
- Ce n'est pas une bonne idée, Adrien, finit-elle par murmurer.
Il hocha la tête lentement, sans la quitter des yeux.
- Peut-être pas. Mais on sait tous les deux que je ne suis pas du genre à abandonner.
Un éclair traversa son regard. Celui qu'elle connaissait trop bien. Celui qui l'avait autrefois consumée tout entière.
Et au fond d'elle, malgré tout ce qu'elle s'efforçait de croire, un frisson la traversa. Parce qu'elle savait qu'Adrien n'était pas revenu sans raison.
Il était là pour bouleverser sa vie, une fois encore.
Les secondes s'étiraient, lourdes et pesantes. La pluie ruisselait sur les pavés, martelant le silence glacial qui s'était installé entre eux. Léa sentit Thomas se tendre à ses côtés, prêt à refermer la porte au nez d'Adrien. Elle aurait dû le laisser faire. Elle aurait dû tourner la page une bonne fois pour toutes.
Mais au lieu de ça, elle prononça ces mots qui allaient tout changer.
- Entre.
Thomas se figea, et Adrien arqua un sourcil, un éclat d'étonnement traversant brièvement ses prunelles sombres.
- Léa... souffla Thomas, la mâchoire crispée.
Elle ne le regarda pas. Son regard était fixé sur Adrien, cherchant à déceler ce qu'il cachait derrière cette apparente nonchalance. Ce n'était pas un hasard s'il se trouvait là. Et elle devait savoir pourquoi.
Adrien ne se fit pas prier. Il essuya distraitement quelques gouttes de pluie de son visage avant de franchir le seuil de la porte. Lorsqu'il passa près d'elle, elle capta l'odeur familière de son parfum, un mélange de cèdre et de tabac qui réveilla aussitôt des souvenirs qu'elle aurait préféré oublier.
Thomas referma la porte avec une certaine brutalité et croisa les bras sur sa poitrine.
- Dis ce que tu as à dire et pars.
Adrien ne lui accorda qu'un regard indifférent avant de reporter toute son attention sur Léa. Il inclina légèrement la tête, comme pour jauger sa réaction.
- Tu es toujours aussi belle.
Elle aurait voulu rester impassible, mais son cœur s'emballa malgré elle.
- Épargne-moi tes belles phrases, Adrien. Pourquoi es-tu ici ?
Il ne répondit pas tout de suite. Ses yeux parcouraient la pièce, s'attardant sur les petits détails qui racontaient la nouvelle vie de Léa. La photo d'Emma posée sur le buffet. Les jouets en plastique qui traînaient sur le tapis du salon. Et Thomas, cet homme qu'il ne connaissait pas mais qui se tenait près d'elle avec une possessivité évidente.
- Je voulais te voir, dit-il enfin, sa voix plus grave qu'elle ne s'en souvenait.
Léa croisa les bras, se protégeant instinctivement.
- Tu nous as abandonnées il y a deux ans. Tu n'as jamais cherché à savoir comment allait ta fille. Et maintenant, tu débarques en pleine nuit en espérant quoi ?
Adrien soutint son regard.
- J'ai fait des erreurs, Léa. Beaucoup d'erreurs.
Elle eut un ricanement amer.
- C'est le moins qu'on puisse dire.
Il passa une main nerveuse dans ses cheveux humides et soupira.
- Mon mariage est terminé. J'ai tout foutu en l'air. Encore une fois.
Thomas laissa échapper un rire sans joie.
- Quel choc.
Adrien ignora la pique et avança d'un pas vers Léa.
- J'ai compris trop tard ce qui comptait vraiment. Mais maintenant, je suis là. Et je veux connaître ma fille.
Léa sentit un vertige la prendre. C'était la phrase qu'elle avait redoutée.
- Tu crois que tu peux réapparaître après deux ans et exiger d'être dans sa vie ?
- Je ne veux pas exiger quoi que ce soit. Je veux une chance.
Thomas, qui n'avait cessé de bouillir en silence, explosa enfin.
- Et où étais-tu quand Léa se levait toutes les nuits pour s'occuper d'elle ? Quand elle pleurait de fatigue et qu'elle devait tout gérer seule ? Où étais-tu, Adrien ?
Le regard d'Adrien se durcit.
- Je n'ai aucune excuse.
Léa le fixa, cherchant désespérément à voir au-delà des apparences. Avait-il vraiment changé ? Ou n'était-il là que parce qu'il n'avait plus rien d'autre ?
Le silence fut interrompu par un petit gémissement provenant de l'étage.
Emma.
Léa sentit son cœur se serrer. Elle tourna les talons sans un mot et monta rapidement l'escalier. Lorsqu'elle poussa la porte de la chambre, elle trouva sa fille assise dans son lit, ses grands yeux embués de sommeil.
- Maman...
Léa s'approcha et la prit doucement dans ses bras.
- Je suis là, ma chérie. Rendors-toi.
Mais Emma ne se rendormit pas tout de suite. Elle blottit son visage contre le cou de sa mère et soupira.
- Il pleut...
- Oui, ma puce. Mais tu es en sécurité ici.
Léa caressa tendrement ses cheveux, le regard perdu dans l'obscurité de la chambre. Elle voulait croire que tout irait bien.
Mais en bas, dans son salon, un fantôme du passé attendait, prêt à tout bouleverser.
Léa resta un long moment à bercer Emma, espérant naïvement que le simple battement rassurant de son cœur suffirait à calmer le tumulte qui grondait en elle. Mais rien n'y faisait.
Adrien était là.
Le passé qu'elle avait cru définitivement enterré refaisait surface avec une brutalité insupportable. Elle aurait voulu ne ressentir que de l'indifférence, mais la vérité était bien plus cruelle. Son retour réveillait quelque chose d'oublié, un frisson familier qu'elle aurait préféré ne jamais revivre.
Elle déposa un baiser sur le front d'Emma, la coucha délicatement et remonta la couverture jusqu'à son menton. La petite s'apaisa enfin, son souffle devenant plus régulier.
Léa resta quelques secondes à l'observer, puis, d'un pas hésitant, elle quitta la chambre et redescendit.
Dans le salon, l'atmosphère était électrique. Thomas était adossé au mur, les bras croisés, son regard rivé sur Adrien avec une intensité menaçante. Ce dernier, lui, semblait étrangement calme. Trop calme.
Léa se racla la gorge pour rompre le silence pesant.
- Tu veux un café ? demanda-t-elle, sans trop savoir pourquoi elle posait cette question.
Thomas tourna brusquement la tête vers elle, incrédule.
- Tu plaisantes ?
- Non. Je veux juste... parler.
Adrien haussa un sourcil, visiblement surpris, mais il ne dit rien.
Léa soupira et se dirigea vers la cuisine. Elle sentit Thomas derrière elle, tendu comme un arc.
- Qu'est-ce que tu fais, Léa ? souffla-t-il à voix basse.
- Je veux comprendre pourquoi il est là.
- Il veut seulement foutre le bordel dans ta vie, comme il l'a toujours fait.
- Peut-être. Mais je dois l'entendre dire les choses.
Thomas secoua la tête, exaspéré, mais il ne répondit rien. Il savait qu'elle avait pris sa décision.
Lorsqu'elle revint dans le salon avec deux tasses fumantes, Adrien l'observait avec cette intensité troublante qu'elle connaissait trop bien. Il la détaillait, comme s'il tentait d'ancrer chaque détail dans sa mémoire.
- Merci, murmura-t-il en prenant la tasse.
Léa s'assit en face de lui, et Thomas resta debout, une main crispée sur le dossier du canapé.
- Maintenant, parle, dit-elle d'une voix maîtrisée.
Adrien posa sa tasse sur la table basse et s'humidifia les lèvres.
- J'ai tout perdu, Léa. Mon mariage. Mon travail. Mon foutu équilibre.
- Et tu crois que c'est une raison pour revenir vers moi ?
- Non. Je reviens pour Emma.
Son regard ne vacilla pas. Léa sentit un frisson lui parcourir l'échine.
- Tu ne l'as jamais vue. Jamais cherchée.
- Parce que j'avais peur.
Elle écarquilla les yeux.
- Peur ?
- Oui. Peur d'être comme mon père. Peur d'échouer encore.
Léa sentit son cœur se serrer malgré elle. Elle connaissait l'histoire d'Adrien, l'enfance brisée, l'absence de repères. Mais cela n'excusait rien.
- C'est facile de dire ça maintenant, répondit-elle.
Adrien posa ses coudes sur ses genoux et pencha la tête, l'air fatigué.
- Je sais. Je suis arrivé trop tard.
Léa ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne sortit. Car, malgré tout, une partie d'elle savait qu'Adrien disait vrai.
Thomas, lui, ne partageait pas cette indulgence.
- Tu n'as aucun droit sur Emma. Léa l'a élevée seule. J'ai été là quand elle en avait besoin. Pas toi.
Adrien planta son regard sombre dans celui de Thomas.
- C'est vrai. Mais ça ne change rien au fait qu'Emma est ma fille.
Léa sentit la tension atteindre son paroxysme. Elle devait garder le contrôle.
- Je ne sais pas ce que tu attends de moi, Adrien.
Il la fixa longuement avant de murmurer :
- Une chance.
Léa sentit un vertige la prendre.
Elle était consciente d'une chose : quoi qu'elle décide, rien ne serait plus jamais comme avant.