Installé dans un coin sombre du VIP, un verre de whisky à la main, j'observais la foule en contrebas. L'odeur du luxe et du vice m'entourait, familière, presque réconfortante. Autour de moi, mes hommes veillaient, discrets mais prêts à intervenir au moindre signe. Ce monde était le mien, bâti sur le sang et la peur. Rien ne me résistait.
Rien, sauf elle.
Mon regard s'attarda sur la femme qui venait d'entrer. Une vision hors de place dans ce temple de perdition. Une robe noire fendue jusqu'à la cuisse, dévoilant une peau trop parfaite. Des cheveux sombres, ondulant comme une rivière d'encre. Et ce regard... un mélange de défi et d'innocence, comme une proie qui refusait de savoir qu'elle était déjà condamnée.
Je l'avais déjà vue. Plusieurs fois.
Toujours là, à la frontière de mon monde, sans jamais y pénétrer entièrement. Comme si elle jouait avec le feu sans vouloir se brûler.
- Qui est-elle ? demandai-je sans détour.
Ma voix coupa net la conversation à ma gauche. Dmitri, mon bras droit, tourna les yeux vers moi avant de suivre mon regard. Il sourit en coin.
- Elle s'appelle Alina Morozov. Serveuse ici depuis quelques mois. Pas du tout le genre à fricoter avec nos affaires. Une fille droite. Intéressant, non ?
Je ne répondis pas. Je savais déjà que c'était intéressant. Trop intéressant.
- Elle attire ton attention ? reprit Dmitri, un éclat moqueur dans la voix.
Je vidai mon verre avant de poser lentement mes yeux sur lui. Il sut immédiatement qu'il valait mieux ne pas insister.
Je me levai, ajustant ma veste.
- Surveille-la.
Dmitri hocha la tête, comprenant l'ordre derrière les mots.
Je descendis les marches du VIP, m'engouffrant dans la foule comme un prédateur invisible. Les corps s'écartèrent sur mon passage, certains par peur, d'autres par instinct.
Elle ne me vit pas arriver.
Accoudée au bar, elle discutait avec un collègue. Son rire était léger, vrai. Un son qui n'avait pas sa place ici. Je m'arrêtai juste derrière elle, laissant mon ombre la recouvrir.
- Un whisky, ordonnai-je au barman.
Elle se figea.
Je sentis sa respiration ralentir imperceptiblement, comme si son corps avait compris avant son esprit. Lorsqu'elle se tourna enfin, ses yeux rencontrèrent les miens. Un mélange de surprise et d'alerte. Mais pas de peur. Intéressant.
- Vous devriez apprendre à ne pas vous approcher silencieusement des gens, dit-elle en haussant un sourcil.
Sa voix était douce, mais teintée d'assurance. Je souris, amusé.
- Et vous devriez apprendre à ne pas trop attirer l'attention, répliquai-je en levant mon verre.
Elle pinça légèrement les lèvres, comme si elle hésitait entre partir et répondre. Finalement, elle choisit de rester.
- Et en quoi je vous attire, exactement ? demanda-t-elle d'un ton presque défiant.
J'adorais ce genre de provocation. Je me penchai légèrement vers elle, réduisant la distance entre nous.
- Mauvaise question, murmurai-je. Vous ne devriez pas vouloir connaître la réponse.
Elle soutint mon regard. Pas de rougeur, pas de recul. Juste une analyse rapide, comme si elle essayait de me percer à jour.
- Vous êtes du genre dangereux, n'est-ce pas ?
Je laissai échapper un léger rire.
- Je suis le genre d'homme que vous feriez mieux d'éviter.
- Et pourtant, c'est vous qui êtes venu me parler.
Un sourire en coin étira mes lèvres. Elle était intelligente. Elle ne jouait pas la carte de la fille effrayée ou impressionnée.
- Parce que je voulais voir si la lumière qui brille en vous est aussi réelle que ce qu'elle laisse paraître.
Elle cligna des yeux, surprise par mes mots. Pendant un instant, elle parut vulnérable. C'était une erreur.
Car dans mon monde, la vulnérabilité se payait toujours.
- Je n'ai rien à voir avec votre monde, dit-elle après un silence.
- Peut-être pas. Mais mon monde a déjà quelque chose à voir avec vous.
Elle fronça les sourcils, confuse. J'aimais ça. J'aimais la façon dont elle ne réalisait pas encore qu'elle venait d'entrer dans un jeu dont elle ignorait les règles. Et moi, Nikolaï Volkov, j'étais le seul maître de ce jeu.
Le problème ?
Pour la première fois, je ne savais pas si je voulais la posséder...
... ou la protéger.
LE Point de vue d'Alina Morozov
L'homme qui se tenait devant moi n'était pas simplement dangereux. Il était l'incarnation même du pouvoir brut, d'une noirceur envoûtante qui attirait autant qu'elle effrayait.
Nikolaï Volkov.
Tout le monde connaissait son nom, murmuré dans les ruelles sombres, dans les conversations qu'on évitait d'avoir trop fort. Il était intouchable. Intolérant à la faiblesse. Un homme que personne ne contrariait sans en payer le prix. Et pourtant, à cet instant, il était là, ses yeux acier rivés aux miens, jouant à un jeu que je ne comprenais pas encore.
- Je ne fais pas partie de votre monde, répétai-je, plus pour me convaincre que pour lui.
Il sourit, un sourire presque amusé, mais qui n'atteignait pas son regard.
- C'est ce que vous croyez.
Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. Pas de peur. Pas encore. Plutôt une mise en garde silencieuse, une intuition que je ne devais pas ignorer. Je pouvais encore partir. Rompre ce contact visuel troublant, reprendre mon plateau et retourner à ma vie normale. Mais je ne le fis pas. Au lieu de ça, je soutins son regard, défiant cette aura suffocante qu'il dégageait.
- Et que croyez-vous savoir de moi ? demandai-je doucement.
Son sourire s'élargit à peine.
- Suffisamment pour savoir que vous êtes différente.
Il se redressa lentement, comme un fauve qui s'étire avant d'attaquer.
- Je vais vous laisser, Alina. Pour ce soir.
Je sentis un vertige me prendre. Comment connaissait-il mon prénom ? Il se pencha légèrement vers moi, assez près pour que je sente la chaleur de son souffle.
- Mais nous nous reverrons.
Ce n'était pas une supposition. C'était une certitude. Puis, sans attendre de réponse, il pivota et disparut dans la foule, me laissant plantée là, incapable de bouger.
Il avait prononcé mon prénom comme une promesse.
Ou une condamnation. Je repris mon service, tentant d'ignorer la sensation persistante de son regard sur moi, même en son absence. Mais chaque client, chaque bruit ambiant me semblait soudain fade en comparaison de sa présence écrasante.
- Ça va, Alina ?
Je sursautai légèrement en reconnaissant la voix de Sofia, ma collègue et amie.
- Oui... pourquoi ?
Elle haussa un sourcil.
- Parce que t'as l'air d'avoir vu un fantôme. Ou pire...
Son regard se posa sur l'endroit où Nikolaï Volkov se tenait quelques instants plus tôt.
- Oh non, ne me dis pas que...
Je soupirai, posant mon plateau sur le comptoir.
- Il est venu me parler.
Sofia écarquilla les yeux, puis jeta un regard inquiet autour de nous.
- Et tu es toujours vivante ? ironisa-t-elle.
Je lui lançai un regard noir.
- Ce n'est pas drôle.
- Si tu le dis... Mais, Alina, fais attention. Ce type n'est pas juste riche et influent. Il est...
Elle s'arrêta, cherchant ses mots.
- Dangereux, terminai-je pour elle.
Elle hocha la tête.
- Et quand Nikolaï Volkov s'intéresse à quelqu'un, ce n'est jamais anodin.
Je n'avais pas besoin qu'on me le dise. Mais alors, pourquoi une partie de moi était-elle fascinée ?
Je rentrai tard, une fatigue pesante alourdissant mes membres. Mon appartement était modeste, un simple studio suffisant à mes besoins. Je poussai la porte, soupirai de soulagement en retirant mes chaussures, puis me laissai tomber sur mon lit. Mais alors que je fermais les yeux, une étrange sensation s'empara de moi.
Une impression d'être observée. Je me redressai brusquement, tendant l'oreille. Rien. Secouant la tête, je me levai pour aller vérifier la porte d'entrée. Fermée. Verrouillée. Je devais être paranoïaque.
Soupirant, je retournai me coucher. Mais avant que le sommeil ne me prenne, une pensée me traversa l'esprit.
Nikolaï Volkov ne laisse jamais ce qu'il veut lui échapper.
Et cette nuit-là, j'avais le sentiment inquiétant que j'étais devenue sa prochaine obsession.