Le peuple libre
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Chapitre 5 Chapitre 5

Il nous faut une bonne demie heure avant d'arriver chez moi et dès qu'on passe le pas de la porte, il fait comme chez lui en retirant ces chaussures qu'il laisse traîner dans l'entrée ainsi que son sac à dos. Aussi étrange que ça puisse paraître, le mien s'y trouve aussi, contenant toujours les mêmes vêtements que lorsque j'ai déboulé ici. Peut-être qu'au fond de moi, je veux être prête, au cas où il changerait d'avis. Au cas où ces deux ans soient trop longues pour lui.

Alors que je reste à scruter ce sac, James se rappelle à moi.

- T'as prévu un truc à manger ou je vais mourir de faim?

- On va se faire une salade. Si je te rends à ta mère avec ne serait ce qu'un gramme de moins, je vais me faire trucider et j'avoue que je suis bien trop jeune pour mourir, dis-je en riant.

- Une salade? Vraiment? T'aurais pu faire un effort et m'offrir un Hamburger. Des frites, un truc bien gras quoi.

- J'aurais pu, mais ta baby-sitter a eu le bon sens de tomber malade et de n'informer ta mère qu'à la dernière minute. J'ai pas eu le temps de prévoir autre chose votre altesse.

- T'as de la chance que je t'aime bien. Je vais donc faire une croix sur le gras et me contenter d'une salade.

- Tu m'en vois honorée très cher, dis-je en riant un peu plus.

Il vient m'aider en cuisine. Si sa mère voyait ça, elle lui ferait sûrement la leçon, chez lui et comme pour ainsi dire tout les ados, il ne fait pas grand chose. Mais comme on dit, c'est toujours mieux chez les autres. Une fois notre petite salade prête, on s'installe devant la télé pour manger.

- Profites en, si ta mère sait que je te laisse manger devant la télé, elle va m'étriper.

- Je dirais rien. J'aurais trop peur de plus pouvoir revenir ici.

- T'inquiètes, ça, c'est pas près d'arriver.

- Tant mieux, j'adore venir ici, ajoute t-il en me souriant.

Nous mangeons dans un silence relatif. Son portable ne cesse de sonner toutes les trente secondes, ce qui, au bout d'un moment, commence à me taper sur les nerfs.

- T'en as pas marre d'être pendu à ce truc H24?

- Tu rigoles ou quoi. Je te rappelle que c'est les grandes vacances, comment tu veux que je garde un minimum de vie sociale sans mon portable, dit-il presque outré comme si je venais de die quelque chose de contre nature.

- Et qu'est ce que vous avez de si important à vous dire?

à son sourire, j'ai l'impression qu'il manigance quelque chose. Je fronce les sourcils, légèrement suspicieuse avant qu'il ne me réponde.

- Le grand frère de mon copain Chad t'a vue toute à l'heure. Il l'attendait sur le parking de la piscine.

- Et? dis-je en sentant le coup foireux arriver à des kilomètres à la ronde.

- Il te trouve jolie, il voulait savoir comment tu t'appelles.

- Un grand merci à toi mon preux chevalier de te préoccuper de ma vie sentimentale, mais je ne suis pas intéressée. Désolée pour le frère de Chad.

- Mathieu, il s'appelle Mathieu. Et puis quelle vie sentimentale? C'est vrai, t'es jolie. Tu devrais sortir, avoir un mec quoi.

- Un mec? Non merci. J'ai pas besoin d'un mec si tu veux tout savoir. Je suis très bien comme je suis.

- Ouais, j'en suis pas si sûr, répond t-il en souriant un peu plus. Moi je crois que si tu continues comme ça, tu vas finir comme ces vieilles qu'on voit dans les films. Avec une centaine de chats et complètement barge.

- Sympas comme vision de l'avenir, dis-je en éclatant de rire.

- Non mais c'est vrai quoi. Je vais quand même pas te faire la leçon. Je te rappelle que c'est toi l'adulte ici. Tu devrais le savoir. Parfois, c'est bien de ne pas être seule.

Je ne sais pas pourquoi mais une légère douleur me traverse le cœur. Il ne comprend pas, je ne peux pas me laisser aller à ce genre de frivolité. Je ne peux pas m'intéresser à un garçon, qu'importe de qui il s'agit. Je me suis battue pour obtenir cette vie. Je me suis battue pour découvrir ce monde.

- Finis ta salade, dis-je en cherchant à esquiver cette conversation qui de toute façon n'est pas de son âge.

- C'est dingue, répond-il en levant au ciel. Dès qu'un adulte ne veut pas parler, ou répondre à une question, il donne des ordres.

- Désolée, dis-je sincèrement. C'est juste que j'ai vraiment pas envie de penser à ça maintenant. C'est peut-être difficile à comprendre à ton âge mais tu sais, toutes les femmes n'ont pas besoin d'un homme dans leur vie pour avancer.

- Mouais, mais comme dis ma mère, être seule ça ne tient pas chaud les longues soirées d'hiver.

- Heureusement pour moi on est en été, dis-je avec un clin d'œil.

C'est à son tour de rire. Il envoie un dernier message et repose son portable.

- Promis, j'y touche plus jusqu'à la fin du repas.

- Géniale. De toute façon, après tu auras tout le temps pour être dessus. J'ai du boulot et tu vas devoir te débrouiller.

- Je sais me débrouiller. Ma mère est une trouillarde c'est tout, je suis largement capable de m'occuper de moi même. Je n'ai pas besoin de baby-sitter.

Il a raison, pourtant, plus je passe de temps dans cette ville et plus je comprends sa mère. Il y a des agressions tout les jours. Des meurtres, des viols et je ne parle même pas des gosses, enlevés par des cinglés, qu'on ne revoit jamais.

- Laisses ta mère te couver encore un peu. Elle, elle est heureuse et toi, tu peux me croire, quand tu seras adulte, tu seras heureux également d'avoir ces souvenirs en mémoire.

- Tu parles jamais de tes parents. Ils sont comment? Du genre stricte, ou plutôt cool?

Ma respiration se coupe une seconde. Mes parents. Encore un sujet auquel j'évite soigneusement de penser. Je soupire en reposant ma fourchette.

- Ma mère est morte il y a quelques années. Elle était malade depuis longtemps, dis-je en la revoyant sur son lit, aussi blanche que ces draps. Mon père n'arrive pas à s'en remettre. Il vit avec son souvenir comme un fantôme si on peut dire.

- Tu ne le vois plus?

- C'est pas tout a fait ça. Disons que quand ma mère est morte, j'étais très malheureuse. J'aurais aimé qu'il me prenne dans ces bras pour me dire que tout allait bien se passer. Que la douleur allait passer, mais il était trop triste lui même pour le faire. La vie est étrange, on vivait sous le même toit et pourtant, c'est à peine si on se voyait quand on se croisait. Peut-être qu'on avait simplement trop mal tout les deux pour nous regarder dans les yeux.

- C'est triste je trouve. Tu devrais lui dire ce que tu ressens.

- Et toi, tu parles de ce que tu ressens à ta mère?

- Pas vraiment, répond t-il en posant à son tour sa fourchette.

Je sens qu'il a envie de parler mais il semble hésiter. Même si je suis plus jeune que sa mère, il me voit surtout comme sa meilleure amie et il a probablement peur que je raconte tout, une fois notre conversation terminée.

- Je suis là moi si tu veux parler. Tu sais, personne ne m'avait posé de questions sur mes parents. Tu es le premier à qui j'en parle.

- Sérieux, demande t-il avec plus d'intérêt.

- Sérieux, même ta mère n'est pas au courant. Si tu gardes mon secret, je pourrais garder le tient.

- OK, dit-il en me tendant sa main pour conclure une sorte de pacte. Ma mère n'en parle jamais tu sais.

- De quoi?

- De mon père. Je ne sais rien de lui. Sauf qu'il a croisé la route de ma mère un jour, sinon je ne serais pas là.

- Tu lui as posé des questions à son sujet?

- J'ai essayé. Tu sais à l'école, en début d'année, on te demande toujours de remplir une fiche sur toi et ta famille, le nom de tes parents, leurs métiers, leurs numéros de portables. Ma fiche est plus courte que les autres. Je lui ai demandé comment il s'appelait il y un moment déjà. Mais elle a changé de conversation. Alors, un jour ou j'étais seul, j'ai fouillé partout dans sa chambre, dans tout les placards, pour trouver une photo, une vieille lettre d'amour ou un truc dans le genre, mais j'ai rien trouvé. C'est comme si il n'avait jamais existé. Si encore je savais comment il s'appelle, je pourrais le chercher sur les réseaux, mais c'est comme si il avait juste disparut, du jour au lendemain.

Je comprends que derrière les sourires qu'il affiche en général, il souffre de cette absence, de ce vide qu'a laissé son père. D'un certain sens, je peux le comprendre, même si moi, j'ai au moins connu ma mère. Je ne sais pas grand chose sur son père. Et je ne suis pas certaine de pouvoir lui annoncer que son géniteur est un enfoiré qui une fois avoir mit sa mère enceinte s'est barré, la queue entre les jambes.

- Tu sais, tout n'est jamais noir ou blanc James. Il y a plus de nuances de gris qu'on peut l'espérer. Je ne sais pas qui est ton père, mais il est possible, que ta mère se taise pour ton bien. Parfois, on pense connaître une personne mais il n'en n'est rien. On ne connaît pas l'histoire qu'ils ont eu.

- J'y ai pensé, je suis plus un gamin. J'ai imaginé pleins d'histoires, de situations. Je crois que c'est le pire. Quand on sait pas, on invente. On se fait des films.

- Je pense que tu devrais en reparler avec ta mère. Profiter d'un moment où elle est détendue et ou vous n'êtes que tout les deux.

- Tu vas lui en parler?

- Absolument pas. Je te l'ai dis, je garderais ça pour moi.

Le silence retombe alors qu'il reporte son attention sur la télé. Par moment, je me collerais des gifles. Je suis tellement auto centrée sur ma propre vie que j'en oublie de regarder ce qu'il m'entours. Pour moi, James est un ado comme les autres, je n'ai pas remarqué qu'il pouvait souffrir. Je regarde ma salade sans véritable envie de la terminer, si bien que je me lève pour lui faire face avant de lui dire,

- Qu'est ce que tu dirais d'abandonner cette salade pour aller manger une glace?

- Toi tu sais comment me parler, dit-il en retrouvant son sourire et en se levant à son tour.

- Allez viens jeune homme, allons chercher cette glace.

En sortant de mon appartement, je ne peux m'empêcher de regarder mon sac à dos. Je ne devrais pas, je le sais. Car à chaque fois, les mêmes doutes, les mêmes craintes ne cessent de revenir. Je sais qu'il est mon compagnon mais je ne ressens rien pour lui. Pour moi, il est un parfait inconnu, mais un inconnu qui viendra me récupérer que je le veuille ou non. Je sais que je pourrais, fuir, partir aussi loin que je peux, mais je sais aussi que ça ne servirait à rien. Un Roi aussi puissant que lui a des relations dans tout le pays et même au delà. Il me retrouvera, qu'importe où je vais, il me trouvera et à cet instant, je n'aurais plus d'autre choix que de le suivre.

                         

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