« Le rapport d'autopsie sommaire... » commença le vieux Guérisseur, ses mains parcheminées tremblant légèrement sur le dossier. « Avant de préparer le corps pour l'inhumation... j'ai découvert autre chose, Alpha. »
Mathieu laissa échapper un soupir excédé, faisant tourner son stylo en or entre ses doigts impatients. « Quoi encore ? »
« Elle était enceinte, Alpha. »
Le monde, ou du moins ce qu'il restait de ma perception de celui-ci, se figea.
Enceinte.
Je portais son enfant. Notre enfant.
Une douleur fantôme, aiguë et dévastatrice, me déchira le ventre. Je n'avais pas seulement perdu ma vie ; j'avais perdu celle d'un être innocent qui n'avait jamais vu la lumière du jour.
La tristesse fit place à une rage froide, absolue, glaciale.
Mathieu se figea. Son visage perdit un peu de sa superbe, pâlissant légèrement.
Mais ce ne fut pas du chagrin qui traversa ses traits. C'était un calcul rapide, froid et mathématique.
« Est-ce que quelqu'un d'autre est au courant ? » trancha-t-il sèchement.
« Non, Alpha. Juste moi. »
« Bien. Que cela ne sorte pas d'ici. Cet enfant... aurait été aussi faible qu'elle. C'est mieux comme ça. »
Mieux comme ça.
Il venait de balayer la mort de son propre fils comme on époussette une saleté sur sa veste.
« Quelle tragédie, » déclara-t-il ensuite aux Anciens, sa voix reprenant ce ton officiel, vide de toute humanité. « Nous organiserons une minute de silence. »
Je voulais hurler, faire exploser les vitres, l'étrangler de mes mains invisibles jusqu'à ce que ses yeux sortent de leurs orbites.
Mais je ne pouvais rien faire. Juste regarder, impuissante.
Plus tard, dans l'intimité de ses appartements, Aurélie le félicitait.
« Tu as parfaitement géré les vieux, » ronronna-t-elle en glissant ses mains sur ses épaules pour le masser. « Maintenant, la place est libre. La Meute Fontaine ne pourra plus refuser notre union. »
Mathieu sourit. Un vrai sourire, cette fois. Il semblait soulagé, libéré d'un fardeau.
« Tu as raison. Léna était un boulet, un poids mort. Maintenant, je peux avoir une vraie Luna. Une louve forte, digne de moi. »
Il l'embrassa avec fougue, et je dus détourner mon regard inexistant, l'âme soulevée de dégoût par leur intimité obscène.
Cependant, le destin - ou peut-être la Déesse de la Lune elle-même - n'avait pas dit son dernier mot.
Soudain, une alerte rouge clignota violemment sur l'écran de l'ordinateur de Mathieu, accompagnée d'un bip strident.
Un message prioritaire.
L'identité de l'expéditeur fit écarquiller les yeux de Mathieu : Famille Link - Royauté Lycan.
Les Lycans. L'aristocratie suprême de notre espèce, des êtres plus grands, plus forts, plus proches de l'essence divine de la Déesse. Ils régnaient en maîtres absolus sur tous les Packs d'Europe.
Mathieu ouvrit le message, ses mains devenues soudainement moites.
« À l'attention de l'Alpha Mathieu Delaunay. Nous exigeons un rapport immédiat et complet concernant la disparition et le décès présumé de Léna, pupille de la famille Fontaine. La famille Link revendique un intérêt personnel dans cette affaire. Nos émissaires sont en route. »
Je sentis une onde de choc traverser mon être spirituel.
La famille Link ?
Un souvenir flou remonta à la surface. Un couple élégant visitant l'orphelinat, juste avant que je ne sois envoyée chez les Fontaine. Ils m'avaient souri. Ils m'avaient donné un bonbon au miel.
Une odeur familière, chaude et rassurante, évoquant le miel doré et le soleil d'été, envahit soudain la pièce, bien qu'ils ne soient pas encore là.
C'était l'odeur de ceux qui m'aimaient.
Pour la première fois depuis ma mort, une lueur d'espoir perça les ténèbres.
Mathieu, lui, était terrifié.
« Pourquoi les Link s'intéressent-ils à une Oméga ? » murmura-t-il, la panique fissurant son masque d'Alpha.
Il ne savait pas.
Il ne savait pas qui j'étais vraiment.
Et il allait bientôt découvrir que le « boulet » qu'il avait jeté aux ordures possédait des alliés capables d'écraser sa petite meute d'un simple claquement de doigts.