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Un homme sinistre
Les croyances des habitants de Pretanie étaient quelque peu différentes de celles de Roan. Et si chez Soren, le mariage ne nécessitait aucun intervenant et qu'une simple fête liait deux êtres, il préféra tout de même se soumettre à la culture de sa femme.
Pas par faiblesse ou pour lui faire plaisir, non. S'il l'épousait selon les rites de son pays, c'était pour l'astreindre à respecter le serment qu'elle prendrait devant Dieu et les hommes. Cela donnait aussi une légitimité supplémentaire à leur union devant le peuple.
Quand arriva le moment de l'échange des vœux Soren sentit de l'hésitation dans la voix d'Izia. En se tournant vers elle, il fut surpris de voir des larmes rouler sur ses joues rougies par le froid. Ce qu'il avait pris pour de l'hésitation, n'était en fait que des temps d'arrêt qui lui servait à contrôler son trop-plein d'émotions.
Le cœur du jeune souverain avait perdu toute empathie et depuis longtemps. S'il comprenait la difficulté qu'éprouvait cette fille, il ne ressentait aucun remord pour ce qu'il lui faisait endurer.
Même s'il voulait essayer, il se rappelait des forfaits que le roi de Roan et ses troupes avaient perpétré sur leurs terres.
Après réflexion, Soren se dit qu'il avait insisté pour épouser la princesse au plus vite, et il ne s'était pas posé de questions concernant ses histoires de cœur.
À son âge, elle devait sûrement avoir un prétendant caché ou déclaré, un garçon dont elle devait être follement amoureuse et auquel elle devait renoncer en l'épousant.
_ Vous voyez ma reine, lui dit le jeune roi, une fois qu'ils furent déclarés mariés, ce ne fut pas si insurmontable en fin de compte. Il suffisait d'un peu de volonté.
_ À présent que vous avez obtenu ce que vous vouliez, permettez-moi de me retirer parmi les miens, déclara sa femme encore bouleversée par les évènements.
_ Nous nous rendrons ensemble au palais, lui notifia Soren. N'oubliez pas, ma chère femme, que dorénavant, je suis le dirigeant légitime de ce pays. D'ailleurs, j'ai déjà envoyé des émissaires au quatre coins de Roan pour en avertir ses habitants.
_ Je vois que vous n'avez pas perdu de temps...
_ Je savais que votre réponse ne pouvait aller à l'encontre des intérêts de votre peuple, alors je me suis permis de prendre les devants.
_ Vous êtes un odieux personnage, lâcha sa jeune épouse qui débordait de rage intérieurement.
_ Pas plus que votre cher père, ma reine.
_ Arrêtez donc de cacher vos ambitions et vos convoitises derrière ce que mon père vous aurait fait. Si l'ancien roi de cette nation vous avait tellement tourmenté, vous n'auriez pas pu lever une si grande armée et vous retourner contre nous.
_ Vous oubliez que Pretanie a été vassalisée durant une bonne décennie, madame. Et d'après vous comment est-ce que l'on traite les petits pays inféodés ?
Sa femme voulut ouvrir la bouche pour répondre, mais elle se ravisa. Elle avait peut-être lu dans le regard sombre de l'homme, que le sujet risquerait de lui attirer ses foudres. Ou plutôt que des vérités, qu'elle n'était pas prête à entendre, lui tomberait dessus.
***
Izia voulut répondre quelque chose à ce sinistre personnage, mais elle se contenta de le fusiller de son regard noir.
C'était fou comment cet homme était imbu de lui-même. Et quant à l'empathie, il en était totalement dépourvu. Elle ne savait pas vers quoi allait tendre la mainmise de Soren sur son royaume, mais elle craignait le pire.
Les portes de la ville fortifiée furent ouvertes à la demande d'Izia, et elle et son époux entrèrent, suivi d'un régiment de soldats.
La populace semblait aussi sidérée que leur reine à cet instant. Les gens l'accueillirent dans le silence le plus complet.
En regardant autour d'elle, la jeune femme put lire sur leurs visages toutes les craintes qui les habitaient, ainsi qu'une espèce de commisération mêlée de gratitude à son égard.
Et alors que les larmes menaçaient à nouveau de ressurgir, un homme, lança une acclamation et d'autres suivirent.
Petit à petit, c'est toute la ville qui scandait son nom. Izia qui avait commencé à se noyer dans un désespoir profond, sentit sa poitrine se desserrer un peu. À cet instant, elle fut emplie de fierté pour son peuple, et les remercia intérieurement pour l'amour qu'ils lui vouaient.
_ Je vois que vous êtes aimée de vos gens, remarqua son époux dont le cheval marchait aux côtés du sien. J'aurais cru qu'après la mort du tyran qui leur servait de roi, ils auraient été plus enclins à se retourner contre sa descendance.
_ Je vous prierai de ne point insulter la mémoire de mon père, monsieur. Il n'était pas un tyran et son peuple l'appréciait sincèrement.
_ Vous pouvez vous bercer d'autant d'illusions que vous voulez, vous ne changerez pas la réalité. Enfin, c'est le jour de nos noces, laissons ce sujet pour plus tard.
À l'arrivée au château, Soren Daskar prit rapidement des libertés et s'installa dans la salle du trône.
Ce roi était là en tant que conquérant et il n'allait pas permettre que qui que ce soit ne lui tienne tête ou le contredit.
Aussi tôt que ses hommes avaient désarmé la garde de Guive ainsi que la garde royale, il ordonna qu'on lui apporte le prince héritier sur le champ.
_ Sire, bredouilla Izia qui était restée silencieuse jusque-là, mon jeune frère ne sait rien de l'issue de cette guerre, permettez-moi de lui parler avant que vous ne le rencontriez...
Loin de revenir sur son ordre, Soren Daskar fit signe à son épouse de rester à sa place.
Les visages des courtisans présents étaient tendus par la crainte. S'ils n'avaient pas rechigné à prêter allégeance à leur nouveau roi, ce ne fut pas de gaité de cœur. Et ses moindres faits et gestes étaient scrutés avec inquiétude.
Quand l'un de ses gardes amena Garance Falcon, alors âgé de dix ans, Izia se précipita à ses côtés et entoura son épaule de son bras.
Elle aurait voulu avoir le temps de lui expliquer ce qui se passait, et surtout qui était cet homme qui avait pris la place de leur père, mais son époux ne lui en laissa pas le temps.
_ Prince Garance Falcon de Roan ? demanda très solennellement Soren, en se levant du siège royal et en s'avançant vers l'enfant.
En entendant cet homme l'interpeler avec froideur et autorité, Garance se tourna vers sa sœur, le regard perdu.
_ Sire, mon frère est intimidé, tenta-t-elle d'expliquer. Il n'a pas pour habitude de...
_ En tant qu'héritier de la couronne de Roan et fils de mon ennemi, continua Soren sans prêter la moindre attention à la jeune femme, je vous déchois de votre titre de dauphin, et vous condamne à la peine capitale...