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Jeanne posa sa fourchette, les lèvres pincées. La règle tacite voulait que personne ne mange avant Alexandre. Elle venait de briser ce code.
Avant qu'il ne l'agresse verbalement, elle dit :
- Si on parle de bâtards, il y en a plein à cette table.
Alexandre tressaillit.
- Jasmine et Joshua. Ce sont les enfants illégitimes de ta liaison, non ?
Joshua bondit de sa chaise.
- Qu'as-tu dit ?!
- Si tu cries sur ta sœur aînée, c'est que la famille n'a pas su t'éduquer. Pitoyable.
- Toi !
Jasmine intervint doucement :
- Ma sœur, tu nous en veux toujours à Eden et à moi ? C'est pour ça que tu fais ça ?
Jeanne la regarda fixement. Jasmine, la reine des hypocrites, savait pleurer avec grâce.
- Si tu es fâchée, je suis désolée. J'aurais pas dû sortir avec Eden à l'époque. Mais il m'a dit qu'il ne t'aimait plus, alors j'ai... fauté. C'est ma faute.
Jeanne éclata de rire.
- C'est la première fois que j'entends une maîtresse aussi innocente.
Jasmine resta figée.
- D'ailleurs, ça s'hérite ? Tu tiens ça de ta mère ?
- JEANNE ! rugit Alexandre en frappant la table.
Jasmine tremblait. Jeanne, impassible, le fixa.
- J'en ai assez. Bon appétit.
Elle prit la main de George et quitta la table.
- JEANNE ! REVIENS ICI ! hurla Alexandre.
Elle se retourna, le regard de feu.
- C'est moi qui décide si j'épouse Thédus. Même si tu me bats encore, comme il y a sept ans, tu ne m'imposeras plus rien.
Et elle partit sans se retourner.
Alexandre était resté enragé à table, mais à cause de ce que Jeanne avait dit, il était incapable de s'en prendre à elle.
La tension dans la pièce aurait pu faire éclater les vitres. Même l'air semblait chargé d'électricité. Chaque membre de la famille était figé, comme paralysé par les paroles de Jeanne, cette femme que personne n'osait contredire. Il ne s'agissait plus d'un simple dîner, mais d'un champ de bataille dissimulé sous la nappe immaculée et les plats raffinés.
Jenifer, Jasmine, Joshua, et même Eden, restés pour partager ce repas empoisonné, durent ravaler leur fureur. Ils savaient que s'ils osaient l'ouvrir, Jeanne les pulvériserait sans effort.
Jeanne, toujours aussi intrépide, avait désormais troqué son impulsivité contre une précision chirurgicale. Elle ne lançait plus des attaques à l'aveugle ; chaque mot était une flèche décochée avec une précision glaciale. Et le pire ? Tout ce qu'elle disait était implacablement vrai. On ne pouvait pas l'accuser, car elle ne laissait aucune faille.
Jenifer la fusilla du regard.
Autrefois, elle manipulait l'image de Jeanne pour paraître douce et vulnérable, attirant ainsi la sympathie et les regards compatissants. Mais cette époque était révolue.
Aujourd'hui, Jeanne était une menace. Une menace brillante.
Jenifer tenta un sourire. Aussi intelligente que Jeanne puisse être, elle n'était qu'une mère célibataire contrainte d'épouser un paria. Sa vie, en somme, était fichue.
Jeanne revint dans la pièce, tenant George par la main. Elle n'avait ni l'envie ni l'énergie de deviner leurs intentions. Elle savait que ces gens étaient sans cœur, capables de tout.
Elle se pencha vers George. « Tu en as assez ? »
Le garçon hocha la tête. « Pendant que vous vous disputiez, je mangeais. »
« Bon garçon », dit Jeanne avec un sourire d'approbation.
Avant même leur retour dans ce nid de serpents, Jeanne avait préparé son fils à ces jeux de pouvoir, et l'enfant montrait déjà des signes d'une intelligence troublante.
Le lendemain, Jeanne descendit déjeuner avec George, comme si rien ne s'était passé. Ensuite, ils firent une promenade paisible dans le jardin, défiant l'agitation invisible qui bouillonnait autour d'eux.
Ce soir-là, Alexandre, de retour du travail, ordonna : « Tu viens dîner avec la famille Locke. »
Sans discuter, Jeanne s'habilla et emmena George.
Alexandre fronça les sourcils. « Pourquoi l'amènes-tu ? »
« C'est mon fils. Évidemment qu'il vient avec moi. »
« Tu sais où tu vas ? »
« Lorsque tu allais à des événements importants, tu emmenais Joshua. »
La colère d'Alexandre monta d'un cran. « Tu fais ça maintenant ? »
« Si j'étais en opposition avec toi, crois-tu que je serais encore ici ? Pourquoi es-tu nerveux ? Tu as peur que la famille Locke rejette l'alliance ? Pourtant tu as bien dit que j'avais un fils lors des négociations, non ? »
L'argument fut si logique qu'Alexandre ne trouva rien à répliquer.
Jenifer intervint, calmement, avec ce ton mielleux qu'elle maîtrisait à la perfection. « Alex, Jeanne a raison. La famille Locke sait qu'elle a un enfant. Autant le présenter dès maintenant, cela facilitera leur acceptation. »
« Peu importe ! » hurla Alexandre en claquant la portière de la voiture.
Jenifer monta avec lui, tandis que Jeanne, George, Jasmine et Eden prenaient les autres véhicules.
Les trois voitures s'arrêtèrent devant le restaurant le plus prestigieux de South Hampton.
Des voituriers vinrent ouvrir les portières avec révérence.
Guidant sa famille d'un pas lourd, Alexandre se dirigea vers la salle VIP, où les Locke les attendaient déjà.
Autour de la grande table circulaire, Damien et Octavie, Hugues et sa femme Naomi, leur fils Jérémie, ainsi que Thédus, se levèrent pour accueillir les arrivants.
Thédus, bien que réticent à épouser une mère célibataire, perdit ses préjugés à l'instant où ses yeux rencontrèrent Jeanne. Elle était époustouflante. Une chevelure ondulée encadrant un visage fin, un corps sculpté, un port altier. Un ange, si ce n'est cet enfant à ses côtés.
Ses yeux s'élargirent, stupéfaits. Sa mère le poussa discrètement du coude pour qu'il reprenne contenance.
Il se leva, les salua avec une chaleur feinte.
Une fois assis, les chefs de famille entamèrent les présentations. Le dîner débuta dans une ambiance pesante. Peu de mots furent échangés, seuls les patriarches conversaient.
À mi-repas, Thédus quitta la salle sous prétexte d'un appel téléphonique.
Peu après, un serveur entra. « Madame, le Second Maître Locke souhaite vous voir dehors. »
Jeanne s'essuya les lèvres, se leva, et sortit avec George.
Thédus l'attendait dans le couloir, impassible.
Elle s'approcha sans franchir la distance qu'elle savait dangereuse.
« Le mariage est prévu pour le mois prochain », annonça-t-il abruptement. « C'est rapide, je sais. Mais il faut que je te dise quelque chose. »
« Allez-y, Second Maître Locke », répondit-elle avec un sourire poli.
Ce sourire lui transperça le cœur, mais il se ressaisit. Malgré sa beauté envoûtante, elle restait une femme avec un passé. L'épouser ternirait sa réputation.
« J'ai entendu dire que tu étais colérique. Mais souviens-toi : si ce n'était pas pour ta famille, jamais ce mariage n'aurait eu lieu. Alors ne te donne pas de faux airs. »
Son regard s'assombrit. « Tu me traiteras comme un roi. Tu m'obéiras. Pas d'esclandres. Si j'ai une autre femme dehors, tu fermes les yeux. C'est clair ? »
Jeanne resta de marbre.
Exaspéré par son silence, il gronda : « Tu m'écoutes ? »
Elle répondit calmement : « Avez-vous autre chose à ajouter ? »
Il désigna George. « Ton fils devra m'appeler "papa". »
Avant que Jeanne ne réagisse, une voix puissante et séduisante retentit : « Qui donc doit appeler le Second Maître Locke "papa" ? »
Thédus se retourna, pétrifié. C'était Edward, le Quatrième fils de la famille Swan.