Je n'en savais rien, mais à 13 h précises, je me retrouvais devant La Serre, un établissement chic où je n'aurais jamais mis les pieds de moi-même.
Daniel m'attendait déjà à une table près des grandes baies vitrées, vêtu d'un costume parfaitement ajusté. Il se leva à mon approche, tirant ma chaise avant de s'asseoir en face de moi.
- Merci d'être venue, Émilie, dit-il d'un ton plus doux que d'habitude.
- Je suppose que je n'avais pas vraiment le choix, répondis-je en ajustant nerveusement la manche de mon chemisier.
Il esquissa un léger sourire, comme s'il trouvait ma franchise divertissante.
***
Le serveur nous apporta les menus, et pendant quelques instants, le silence s'installa. Mais Daniel ne tarda pas à le briser.
- J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit l'autre jour, commença-t-il. Vous avez raison. Je n'ai pas été... transparent.
Je levai les yeux, surprise par cet aveu.
- Et c'est maintenant que vous décidez de l'être ?
- Oui, répondit-il simplement. Parce que je pense que vous méritez des réponses.
Je l'observai attentivement, cherchant la moindre trace de duplicité dans son expression. Mais pour la première fois, il semblait sincère.
- Très bien, dis-je en posant mon menu. Je vous écoute.
Il prit une inspiration profonde, comme s'il cherchait ses mots, puis se lança.
- Caroline et moi, c'était une relation compliquée. Pas parce que nous étions incompatibles, mais parce qu'elle voulait toujours plus. Plus d'attention, plus de pouvoir, plus de contrôle.
- Et vous ? demandai-je, incapable de cacher ma curiosité.
- Moi, je voulais juste faire mon travail, répondit-il avec un sourire amer. Mais elle ne voyait pas les choses de cette façon.
Il détourna les yeux un instant, fixant la rue animée à travers la vitre.
- Elle a utilisé ce qu'elle savait de moi pour manipuler des situations, continua-t-il. Et quand elle n'a plus obtenu ce qu'elle voulait, elle a décidé de s'attaquer à tout ce qui m'entoure.
- Y compris moi, murmurai-je.
Il hocha la tête, ses yeux retrouvant les miens.
- C'est pourquoi je voulais vous mettre en garde. Caroline n'est pas quelqu'un qui abandonne facilement.
- Vous auriez pu le dire plus tôt, rétorquai-je, piquée.
- Je sais, admit-il. Mais vous n'êtes pas la seule à avoir des secrets, Émilie.
Son regard se fit plus intense, comme s'il cherchait à lire en moi.
- Parlez-moi de vous, dit-il soudain.
- De moi ? répondis-je, prise au dépourvu.
- Oui. Vous êtes... une énigme.
Je ris nerveusement, jouant avec la serviette en papier posée sur mes genoux.
- Je ne suis pas une énigme, Daniel. Je suis une femme qui essaie de jongler avec un travail exigeant, des attentes irréalistes, et...
Je m'arrêtai, hésitant à en dire plus.
- Et ?
- Des relations ratées, avouai-je enfin.
Un silence s'installa, mais cette fois, il n'était pas lourd. C'était un silence presque confortable, comme si nous nous comprenions d'une manière étrange.
- Ce n'est pas facile, n'est-ce pas ? dit-il doucement.
- Non, ça ne l'est pas, répondis-je. Et vous ?
Il se redressa légèrement, croisant les bras.
- Mes responsabilités me définissent, répondit-il. Je n'ai pas le luxe de m'attacher ou de faillir.
- Ça semble... solitaire, dis-je, regrettant presque mes mots.
- Ça l'est, admit-il, son regard se perdant à nouveau à travers la vitre.
***
Le déjeuner se poursuivit dans une atmosphère plus légère, mais quelque chose avait changé. Nous avions abaissé nos défenses, ne serait-ce qu'un peu. C'était étrange, presque déroutant, mais aussi étrangement agréable.
Alors que nous quittions le restaurant, un éclat de lumière attira mon attention. Je me retournai juste à temps pour voir un homme disparaître derrière une voiture, un appareil photo à la main.
- C'était quoi, ça ? demandai-je, alarmée.
Daniel plissa les yeux, scrutant la rue.
- Un paparazzi, répondit-il, visiblement agacé.
- Un paparazzi ? Pourquoi ?
Il haussa les épaules, mais je pouvais voir qu'il était contrarié.
- Parce que mon nom fait vendre, j'imagine.
Je sentis mon estomac se nouer. Si ces photos étaient publiées, mon nom risquait d'être mêlé au sien de manière très publique, et je n'étais pas prête à gérer ce genre d'attention.
- Daniel, si ces photos sortent...
- Je m'en occupe, dit-il fermement.
- Et comment ?
Il ne répondit pas, se contentant de sortir son téléphone pour passer un appel.
***
Quand je rentrai enfin chez moi, je me sentais épuisée. Entre le déjeuner, la conversation, et ce fichu paparazzi, ma tête était un véritable champ de bataille.
Mais le pire m'attendait encore.
En ouvrant la porte de mon appartement, je remarquai immédiatement l'enveloppe blanche posée sur le sol, juste à l'intérieur. Mon cœur se mit à battre à toute vitesse.
Je ramassai l'enveloppe, les mains légèrement tremblantes, et l'ouvris avec précaution. À l'intérieur, je trouvai plusieurs photos de Daniel et moi au restaurant, prises sous différents angles.
Mais ce n'était pas tout. Une note était jointe, écrite à la main :
*"Ce n'est que le début."*
Je m'effondrai sur le canapé, la note serrée entre mes doigts, tandis qu'une vague de panique m'envahissait.
Qui faisait ça ? Et pourquoi ?
Les rayons du soleil traversaient à peine les rideaux de mon salon, mais je n'avais pas dormi. La lettre et les photos trouvées la veille tournaient en boucle dans mon esprit, me laissant dans un état de nervosité constant. Clara était censée passer, et j'espérais qu'elle pourrait m'aider à faire un peu de lumière sur cette histoire.
- Sérieusement, Émilie, ça devient flippant, dit Clara en déposant son café sur la table basse.
Je hochai la tête, les mains serrées autour de ma propre tasse.
- Et tu penses que ça pourrait être Caroline ? demandai-je doucement.
Clara fronça les sourcils, réfléchissant.
- Honnêtement, c'est plausible. Cette femme a l'air d'avoir une obsession malsaine pour Daniel, et maintenant tu es...
Elle s'arrêta, cherchant ses mots.
- Je suis quoi, Clara ?
- Eh bien, disons que tu es dans son champ de vision, termina-t-elle prudemment.
Je soupirai, exaspérée par l'idée même d'être mêlée à un tel jeu.
- Et qu'est-ce qu'on fait ? continuai-je. Je ne peux pas juste ignorer ça.
Clara se redressa, visiblement animée par une idée soudaine.
- On va jouer son jeu. Si c'est Caroline, elle fera forcément une erreur.
Je la regardai, perplexe.
- Jouer son jeu ?
- Oui ! répondit-elle avec enthousiasme. On va lui montrer qu'on n'est pas aussi faciles à intimider.
Son plan semblait aussi excitant qu'effrayant, mais je n'avais pas d'autre option.
Plus tard dans la journée, au bureau, les choses prirent une tournure encore plus étrange.
- Émilie, dans mon bureau, tout de suite, lança Daniel depuis l'autre bout de l'open space.
Tous les regards se tournèrent vers moi. Je me levai, ajustant mon blazer, tentant de ne pas montrer ma gêne.
Quand j'entrai dans son bureau, il était debout près de la fenêtre, les bras croisés.
- J'ai besoin que vous restiez ce soir pour finaliser le projet Baxter, dit-il sans préambule.
- Ce soir ? répétai-je, étonnée.
- Oui, ce soir, confirma-t-il en me regardant enfin. Vous êtes la seule en qui j'ai assez confiance pour gérer ça correctement.
Sa remarque me prit au dépourvu. Depuis quand avait-il confiance en moi ?
- Très bien, dis-je après un moment. Mais je préviens, je ne suis pas d'humeur à supporter vos sarcasmes aujourd'hui.
Un sourire en coin apparut sur ses lèvres.
- Je serai sage, promit-il, presque moqueur.
La nuit tombait doucement sur la ville, et les bureaux vides prenaient une atmosphère presque intime. Je m'installai à la table de conférence avec mon ordinateur, Daniel prenant place en face de moi.
- Vous devriez prendre une pause, dit-il après un moment.
Je levai les yeux vers lui, surprise par son ton presque concerné.
- Et vous ? Vous ne vous arrêtez jamais non plus, répondis-je, un peu piquée.
Il haussa les épaules, un léger sourire adoucissant ses traits.
- Peut-être que je devrais apprendre.
Le silence qui suivit n'était pas désagréable, mais il était chargé d'une tension que je ne pouvais pas ignorer.
- Vous savez, dit-il doucement, je ne voulais pas que vous soyez mêlée à tout ça.
Je relevai la tête, croisant son regard.
- À quoi, exactement ?
- À Caroline. À mes problèmes. Vous ne méritez pas ça.
Son honnêteté me déstabilisa, mais avant que je puisse répondre, son téléphone vibra sur la table. Il jeta un œil à l'écran, son visage se durcissant instantanément.
- Désolé, je dois prendre ça, dit-il en se levant.
Je n'eus pas besoin de demander qui appelait. Je savais que c'était Caroline.
Quand je quittai enfin les bureaux, la lune brillait haut dans le ciel, et les rues étaient presque désertes. Alors que j'approchais de mon immeuble, une ombre attira mon attention.
Une voiture noire était garée de l'autre côté de la rue, ses vitres teintées dissimulant son intérieur. Mon cœur s'accéléra, un frisson glacé courant le long de ma colonne vertébrale.
Je m'arrêtai net, observant la voiture avec suspicion. Était-ce une coïncidence, ou était-ce lié aux lettres, aux photos ?
Rassemblant mon courage, je traversai rapidement la rue pour rentrer chez moi, mais je ne pus m'empêcher de jeter un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule.
La voiture était toujours là, silencieuse, comme un prédateur patient.