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Le lendemain matin, Élodie ouvrit les yeux au son d'un léger tambourinement contre sa porte.
- Debout, ma fille, lança la voix grave de Marthe. Il y a du travail qui t'attend.
Encore ensommeillée, Élodie s'extirpa de son lit, frictionna ses bras pour chasser le froid et enfila rapidement son uniforme. Une nouvelle journée commençait, et elle n'avait pas le luxe de traîner.
En descendant dans la cuisine, elle trouva Marthe affairée à préparer le petit-déjeuner de la famille. L'odeur du pain chaud et du café embaumait la pièce.
- Mange un morceau avant de commencer, lui dit la cuisinière en lui tendant une tartine. Tu vas en avoir besoin.
Élodie accepta avec reconnaissance.
- Aujourd'hui, tu seras encore dans la bibliothèque avec Monsieur Beaumont, ajouta Marthe d'un ton neutre.
Elle s'arrêta net en mâchant son pain.
- Déjà ?
- Il a demandé à ce que tu continues le tri des documents et que tu prennes quelques notes pour lui.
Une drôle de sensation noua le ventre d'Élodie. Elle n'était pas certaine d'être prête à passer autant de temps auprès de cet homme aussi imprévisible que silencieux.
Mais elle n'avait pas le choix.
Un peu plus tard, elle se retrouva de nouveau face à la grande porte en bois massif de la bibliothèque.
Elle hésita un instant, inspira profondément et frappa doucement avant d'entrer.
Arthur Beaumont était assis derrière son bureau, impeccablement vêtu d'un costume sombre. Il ne leva même pas les yeux lorsqu'elle s'annonça.
- Approchez, ordonna-t-il simplement.
Elle obéit et attendit qu'il lui donne des instructions.
Il fit glisser vers elle une feuille couverte de notes manuscrites.
- Tapez ce texte à la machine. Pas d'erreurs.
Elle hocha la tête et s'approcha du bureau où une antique machine à écrire l'attendait.
Ses doigts tremblaient légèrement lorsqu'elle commença à taper les premiers mots. Elle n'avait pas l'habitude de ce genre d'appareil, mais elle ne pouvait pas se permettre de paraître incompétente.
Le silence s'étira.
Elle sentait la présence d'Arthur derrière elle, son regard perçant qui semblait peser sur sa nuque.
- Vous tapez trop lentement, commenta-t-il finalement.
Élodie serra les dents.
- Je vais accélérer, monsieur.
Elle fit de son mieux pour suivre un rythme plus soutenu, refusant de lui donner une raison de la rabaisser.
Après plusieurs minutes, elle tendit la feuille tapée à la machine. Il la prit sans un mot, la parcourut rapidement du regard, puis la posa sur le côté.
- Correct.
Elle sentit une légère fierté l'envahir, mais elle la réprima aussitôt.
- Autre chose, dit-il après un instant de silence.
Il posa son regard sur elle, un éclat indéchiffrable dans les yeux.
- Pourquoi avez-vous accepté ce travail, Mademoiselle ?
Elle cligna des yeux, prise au dépourvu.
- Je... J'avais besoin d'un emploi, répondit-elle prudemment.
Arthur pencha légèrement la tête, comme s'il analysait la moindre de ses réactions.
- C'est tout ?
Élodie sentit son cœur s'accélérer. Que cherchait-il à savoir ?
- Oui, monsieur.
Un silence pesant s'installa.
Puis, aussi soudainement qu'il l'avait questionnée, il détourna le regard.
- Vous pouvez disposer.
Elle s'inclina légèrement avant de quitter la pièce, le cœur battant.
Arthur Beaumont était un mystère.
Un mystère dangereux.
Et elle avait le sentiment qu'il s'intéressait à elle d'une manière qu'elle ne comprenait pas encore.
Élodie s'éloigna de la bibliothèque, sentant encore le poids du regard d'Arthur sur elle. Elle s'efforça de ne pas y penser, mais une partie d'elle restait troublée. Pourquoi cette question ? Pourquoi semblait-il vouloir comprendre ce qui l'avait menée ici ?
Perdue dans ses pensées, elle manqua de percuter une autre domestique qui portait un plateau d'argent.
- Fais attention ! s'exclama la jeune femme en rattrapant de justesse une tasse de porcelaine.
- Oh, excuse-moi, s'empressa de dire Élodie, embarrassée.
La domestique, une brune aux yeux perçants, la toisa un instant avant de relâcher un soupir.
- T'es la nouvelle, c'est ça ?
- Oui, Élodie.
- Moi, c'est Pauline. Un conseil : ne traîne pas trop autour de Monsieur Beaumont.
Élodie haussa les sourcils.
- Pourquoi ?
Pauline hésita une seconde, puis haussa les épaules.
- Disons qu'il n'aime pas qu'on pose trop de questions sur lui... et que ceux qui attirent son attention finissent souvent par regretter d'être venus ici.
Sur ces mots énigmatiques, Pauline s'éloigna, la laissant troublée.
Arthur Beaumont suscitait visiblement bien des rumeurs au sein du personnel.
Mais lesquelles étaient vraies ?
Et surtout... pourquoi cette impression persistante qu'elle s'était déjà trop approchée de quelque chose qu'elle ne maîtrisait pas ?
Le reste de la journée se déroula dans une routine plus familière. Elle se chargea du linge, aida Marthe à la cuisine et assista une autre domestique dans l'entretien des couloirs du manoir.
Mais peu importe ses occupations, une question restait ancrée dans son esprit.
Que cachait Arthur Beaumont ?
Et pourquoi avait-elle la sensation que, d'une façon ou d'une autre, elle allait le découvrir bien malgré elle ?
Alors qu'elle pliait les draps fraîchement lavés dans la buanderie, Élodie entendit des éclats de voix en provenance du hall principal. Elle échangea un regard avec Jeanne, une domestique plus âgée qui travaillait ici depuis des années.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle à voix basse.
- Un invité de Monsieur Beaumont, répondit Jeanne en secouant la tête. Ce n'est jamais bon signe quand il élève la voix.
Curieuse malgré elle, Élodie posa discrètement un drap sur le tas et s'approcha du couloir, prenant soin de rester hors de vue.
- Je t'ai déjà dit que cette discussion était close, Grégoire, lança la voix grave d'Arthur.
- Tu ne peux pas ignorer ça, Arthur. Ce dossier...
- Ce dossier ne te concerne pas.
Un silence pesant s'installa. Élodie retint son souffle.
- Tu joues à un jeu dangereux, reprit Grégoire, dont la voix était plus calme mais tout aussi lourde de sous-entendus.
- C'est mon problème, pas le tien.
Puis, des bruits de pas résonnèrent dans le hall. Élodie se recula précipitamment et retourna vers le linge, feignant de plier une serviette avec application.
Une ombre passa près de l'entrée de la buanderie, et elle sentit un regard peser sur elle. Elle releva légèrement la tête et croisa un instant les yeux d'Arthur.
Un regard bref. Fugace. Mais suffisant pour lui faire comprendre qu'il l'avait remarquée.
Sans un mot, il continua son chemin et disparut à l'étage.
Élodie déglutit, son cœur battant un peu plus vite que nécessaire.
De quoi parlaient-ils ? Quel était ce "jeu dangereux" dont il était question ?
Elle aurait sans doute dû chasser ces pensées et se concentrer sur son travail.
Mais elle savait déjà que ce serait impossible.
Élodie tenta de se concentrer sur sa tâche, mais son esprit restait englué dans cette conversation troublante. Quelque chose, chez Arthur Beaumont, l'intriguait et l'inquiétait à la fois. Il y avait ce mystère autour de lui, cette tension palpable dans sa voix lorsqu'il s'était adressé à cet homme, Grégoire.
Un frisson lui parcourut l'échine.
- Tu es encore là, Élodie ? lança Marthe en entrant dans la buanderie.
- Oui, je... je terminais de plier les draps, répondit-elle rapidement en attrapant un autre morceau de tissu.
Marthe la scruta un instant avant de hocher la tête.
- Dépêche-toi, on a besoin d'un coup de main pour préparer le dîner.
Élodie obéit immédiatement, rangea le linge et suivit Marthe jusqu'à la cuisine.
Le repas du soir était un moment toujours particulier au manoir. Tandis que les domestiques s'activaient en cuisine, la famille Beaumont et leurs invités dînaient dans la grande salle à manger. Élodie n'avait jamais mis les pieds dans cette pièce, mais elle s'imaginait sans mal l'atmosphère qui devait y régner : un silence élégant, ponctué de conversations feutrées, de bruits d'argenterie sur la porcelaine, et bien sûr, de cette froideur qu'Arthur semblait transporter avec lui partout où il allait.
Elle s'occupait d'éplucher des légumes lorsqu'une voix la fit sursauter.
- C'est toi, la nouvelle ?
Elle releva la tête et se retrouva face à une femme brune aux traits sévères, vêtue d'une robe élégante, mais dont l'attitude trahissait un mépris évident.
- Oui, madame, répondit-elle en baissant légèrement les yeux.
La femme l'observa un instant, les bras croisés.
- Je suis Clarisse Beaumont, la sœur d'Arthur.
Élodie sentit un picotement d'angoisse dans sa poitrine. Cette femme respirait l'autorité et semblait déjà la juger sans même la connaître.
- Tu travailles ici depuis combien de temps ?
- Depuis peu, madame.
- Hm.
Clarisse la toisa une dernière fois, puis esquissa un sourire froid.
- Sois prudente, jeune fille. Ce manoir a englouti bien des âmes naïves.
Puis elle tourna les talons et quitta la cuisine.
Élodie resta figée, les doigts crispés autour du couteau qu'elle tenait.
Que voulait-elle dire par là ?
Et pourquoi sentait-elle que, depuis qu'elle était entrée dans cette maison, chaque mot, chaque regard, portait un avertissement caché ?
Élodie sentit un frisson parcourir son dos alors que les paroles de Clarisse résonnaient encore dans son esprit. "Ce manoir a englouti bien des âmes naïves." Que voulait-elle dire par là ? Était-ce une menace déguisée ? Un simple avertissement ?
Elle inspira profondément et secoua la tête. Ce n'était pas le moment de se laisser envahir par la peur.
- Tout va bien ? lui demanda Marthe en s'approchant, les sourcils froncés.
- Oui... enfin, je crois, murmura Élodie.
- Ne fais pas attention à Clarisse. Elle aime rappeler à tout le monde qu'elle est la sœur de Monsieur, comme si ça lui donnait un droit divin sur cette maison.
- Elle avait l'air de vouloir me prévenir de quelque chose...
Marthe soupira en essuyant ses mains sur son tablier.
- Ici, tout le monde a ses secrets. Même nous, les domestiques, on ne sait pas tout. Mais un conseil, Élodie : fais ton travail, garde la tête baissée et ne pose pas de questions.
Élodie hocha lentement la tête, mais au fond d'elle, elle savait qu'elle ne pourrait pas juste ignorer tout ça.
Après le dîner, alors que tout le monde s'affairait au nettoyage, Élodie profita d'un moment de répit pour sortir quelques instants dans la cour arrière. L'air frais de la nuit lui fit du bien.
Elle leva les yeux vers les fenêtres du manoir, observant les lumières vacillantes derrière les rideaux tirés.
Soudain, une ombre bougea à l'étage. Une silhouette fine, élancée.
Arthur.
Il était là, debout près de la fenêtre, observant quelque chose dans la nuit.
Ou quelqu'un.
Élodie sentit son cœur s'emballer lorsqu'elle réalisa qu'il la regardait.
Elle resta figée sous son regard intense, incapable de détourner les yeux. Il n'avait pas l'air en colère, ni surpris. Juste... curieux.
Puis, lentement, il recula et disparut dans l'obscurité de la pièce.
Élodie expira enfin, les nerfs en feu.
Qu'est-ce qui n'allait pas avec cet homme ?
Et pourquoi avait-elle le sentiment que, malgré tous les avertissements, elle était irrémédiablement attirée vers lui ?