Chapitre 2 Premières épreuves

Le lendemain matin, Élodie se réveilla avec une sensation de lourdeur dans les membres. Son corps protestait déjà contre les efforts de la veille, mais elle n'avait pas le choix : ici, personne ne se plaignait.

Elle se leva avant l'aube, enfila rapidement son uniforme et rejoignit la cuisine, où Marthe était déjà en train de pétrir une pâte à pain.

- Debout à l'heure, c'est bien, commenta-t-elle sans lever les yeux.

Élodie répondit par un sourire discret et se mit immédiatement au travail.

- Aujourd'hui, tu vas aider à préparer les chambres. Une gouvernante va t'expliquer ce qu'il faut faire.

La jeune femme hocha la tête et essuya ses mains sur son tablier avant de quitter la cuisine.

Sous la supervision de Madame Fournier, Élodie passa la matinée à nettoyer et ranger les chambres. Le manoir comptait plusieurs suites luxueuses, chacune plus grande que son propre appartement avant son arrivée ici.

Les règles étaient strictes : chaque coussin devait être parfaitement aligné, les draps tirés sans aucun pli, et aucun objet ne devait être déplacé de son emplacement d'origine.

Mais alors qu'elle achevait la chambre d'amis située près de l'aile principale, une voix glaciale résonna derrière elle.

- Que faites-vous ici ?

Élodie sursauta et se retourna pour faire face à une femme qu'elle n'avait jamais vue auparavant.

Grande, élancée, et vêtue d'une robe d'intérieur élégante, elle dégageait une beauté froide et autoritaire.

- Je... je fais le ménage, madame, balbutia Élodie.

La femme haussa un sourcil.

- Vous êtes nouvelle.

- Oui, madame.

Un silence pesant s'installa avant qu'elle ne croise les bras.

- Je suis Victoria Beaumont.

Élodie sentit un frisson la parcourir. La sœur d'Arthur.

On lui avait parlé d'elle en cuisine. On disait qu'elle était aussi impitoyable que son frère, si ce n'est plus.

- La prochaine fois, assurez-vous que cette chambre soit nettoyée plus tôt, lança Victoria avant de s'éloigner sans un regard de plus.

Élodie relâcha lentement l'air qu'elle avait retenu.

Elle venait de comprendre une chose essentielle : dans cette maison, chaque faux pas se paierait cher.

L'après-midi fut plus éprouvant encore.

Alors qu'elle finissait de ranger le grand salon, Madame Fournier l'appela d'un ton sec.

- Venez avec moi.

Élodie la suivit jusqu'à une pièce qu'elle n'avait pas encore explorée : une immense bibliothèque aux murs recouverts de livres anciens.

Et au centre, assis dans un fauteuil en cuir, Arthur Beaumont lisait en silence.

- Monsieur, la nouvelle domestique est là, annonça la gouvernante.

Arthur leva à peine les yeux.

- Bien.

Madame Fournier se tourna vers Élodie.

- Monsieur Beaumont a besoin de quelqu'un pour ranger quelques documents et s'occuper de certaines tâches dans cette bibliothèque. Vous allez l'aider quand il en aura besoin.

Élodie sentit son estomac se nouer.

Aider... Arthur Beaumont ?

Elle ne s'attendait pas à travailler directement pour lui.

- Faites en sorte qu'elle ne soit pas un problème, lâcha-t-il simplement.

Un ordre.

Madame Fournier acquiesça et se retira, laissant Élodie seule avec lui.

Arthur referma lentement son livre et posa son regard sur elle.

- Vous savez lire, j'imagine.

La question, posée sur un ton neutre, lui fit presque froncer les sourcils.

- Oui, monsieur.

Il fit un geste vague vers un bureau couvert de papiers.

- Classez ça. Alphabétiquement. Ne perdez rien.

Puis il retourna à sa lecture, comme si elle n'existait déjà plus.

Élodie inspira profondément et s'approcha du bureau.

Il n'avait pas l'air de s'inquiéter de savoir si elle était compétente ou non. Il attendait simplement qu'elle exécute sa tâche sans poser de questions.

Elle retroussa ses manches et se mit au travail.

Loin d'imaginer que cet homme froid et distant allait, sans le vouloir, chambouler sa vie entière.

Élodie prit une profonde inspiration et observa le chaos de papiers sur le bureau. Des contrats, des notes manuscrites, des documents juridiques... Tous entassés sans ordre apparent. Elle se mordit la lèvre et entreprit de trier méthodiquement les feuilles en catégories distinctes avant de les ranger par ordre alphabétique, comme demandé.

Le silence de la pièce n'était brisé que par le froissement du papier et le léger crépitement du feu dans la cheminée. Arthur Beaumont, assis dans son fauteuil, ne lui prêtait aucune attention visible. Pourtant, elle avait la nette impression d'être sous surveillance.

Chaque fois qu'elle levait discrètement les yeux vers lui, elle le trouvait plongé dans son livre, impassible. Mais était-ce vraiment le cas ?

Le temps passa lentement.

Après un long moment, Élodie acheva enfin son classement et recula d'un pas pour s'assurer que tout était en ordre.

- C'est fait, monsieur, annonça-t-elle d'une voix mesurée.

Arthur tourna une page de son livre avant de répondre, sans la regarder :

- Hm.

Elle attendit un instant, incertaine. Devait-elle partir ? Attendre d'autres instructions ?

Finalement, il posa son livre sur l'accoudoir et se leva. D'un pas lent, il s'approcha du bureau et parcourut du regard les piles de documents soigneusement triées.

Élodie sentit son cœur s'accélérer. S'il trouvait une seule erreur...

Mais au lieu de critiquer, Arthur se contenta de faire glisser une main sur le bord du bureau, comme pour tester la propreté du bois.

- Correct, murmura-t-il avant de reporter son attention sur elle.

Le simple poids de son regard la rendit nerveuse.

- Vous avez mis combien de temps ?

Elle hésita.

- Un peu plus d'une heure, monsieur.

Il hocha la tête, comme si cette information avait une importance capitale.

- Bien. Vous viendrez chaque jour à la même heure pour entretenir cette pièce et classer les nouveaux documents.

Encore un ordre.

- Oui, monsieur.

Arthur ne dit rien de plus et retourna s'asseoir, reprenant sa lecture comme si elle n'était plus là.

Élodie comprit le message.

Sans demander son reste, elle s'inclina légèrement et quitta la bibliothèque en silence.

Lorsqu'elle revint dans les couloirs du manoir, elle croisa Marthe, qui transportait une assiette de pâtisseries.

- Alors ? Tu as survécu à la bête ? lança la cuisinière avec un sourire en coin.

Élodie poussa un léger soupir.

- Disons qu'il est... exigeant.

- Et encore, tu n'as rien vu. Il peut être bien pire.

Marthe déposa l'assiette sur un guéridon et laissa échapper un petit rire avant d'ajouter :

- Mais s'il t'a demandé de revenir, c'est qu'il n'a pas été insatisfait. Crois-moi, c'est déjà un exploit.

Élodie haussa un sourcil.

- Il renvoie souvent les domestiques ?

- Aussi souvent qu'il change de costume, ma petite.

Elle secoua la tête, amusée.

- Fais attention avec lui. Il est imprévisible.

Ces mots résonnèrent longtemps dans l'esprit d'Élodie.

Elle n'avait pas encore passé vingt-quatre heures chez les Beaumont, et pourtant, elle sentait déjà que sa vie allait basculer d'une manière ou d'une autre.

Mais comment ?

Elle était encore loin d'imaginer à quel point cet homme allait bouleverser son existence.

Après avoir quitté la bibliothèque, Élodie retourna dans les quartiers des domestiques. Son cœur battait encore fort, non pas de peur, mais d'un mélange étrange de soulagement et d'appréhension. Arthur Beaumont n'avait pas exprimé de mécontentement, ce qui était apparemment un exploit, mais elle n'arrivait pas à cerner cet homme.

Distant. Imposant. Glacial.

Et pourtant, quelque chose dans son regard l'intriguait.

- Arrête d'y penser, Élodie, murmura-t-elle en secouant la tête.

Elle n'était pas là pour analyser son employeur mais pour faire son travail et garder sa place.

Le reste de la journée se déroula sans incident majeur, mais la fatigue s'accumulait dans son corps.

Le soir venu, après avoir terminé ses dernières corvées, elle regagna enfin sa petite chambre sous les combles. Rien à voir avec le luxe du manoir, mais au moins, c'était son espace. Une petite pièce mansardée avec un lit simple, une armoire et une petite table sur laquelle reposait une bougie presque consumée.

Élodie s'assit sur le lit et défit son tablier avec un soupir.

Son regard erra vers la petite fenêtre qui donnait sur le jardin éclairé par la lune. C'était étrange d'être ici, dans ce monde qui n'était pas le sien.

Elle pensa à sa mère, qui lui répétait toujours de ne jamais baisser les bras.

- Tu es forte, ma fille, lui disait-elle autrefois. Peu importe où la vie te mène, n'oublie jamais qui tu es.

Un sourire triste effleura ses lèvres.

Si seulement elle était encore là pour la rassurer...

Elle se coucha sur le dos et fixa le plafond, laissant ses pensées divaguer.

Puis, sans prévenir, une image lui revint en tête : le regard perçant d'Arthur Beaumont lorsqu'il l'avait observée dans la bibliothèque.

Un frisson parcourut son échine.

Elle se retourna brusquement sur le côté et tira la couverture sur elle.

Il fallait vraiment qu'elle arrête d'y penser.

Demain serait une nouvelle journée. Une autre épreuve à surmonter.

Et une nouvelle occasion d'en apprendre davantage sur cet homme énigmatique qui, malgré elle, occupait déjà trop de place dans son esprit.

            
            

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