La domestique fronça légèrement les sourcils, comme si la question la surprenait. « Cela fait trois ans, madame. »
« Et... comment est-ce de vivre dans ce manoir ? » continua Maya, tentant d'aborder le sujet avec précaution.
Eva jeta un coup d'œil furtif autour d'elle, comme si elle craignait d'être entendue, même dans cette pièce où elles étaient seules. Puis, après un bref silence, elle murmura : « Le manoir Castellano est un endroit... particulier, madame. Il a ses règles, et il vaut mieux les suivre. »
Cette réponse sibylline ne fit qu'accroître la curiosité de Maya, mais elle comprit qu'Eva ne dirait rien de plus. Peut-être était-elle liée à un code de silence, ou peut-être craignait-elle les conséquences. Mais dans son regard, Maya décelait une forme d'avertissement, une réticence à dire plus qu'il ne le fallait.
« Merci, Eva, » dit Maya doucement, consciente qu'insister ne servirait à rien pour l'instant.
La domestique s'inclina à nouveau avant de quitter la pièce, laissant Maya à ses pensées. Elle se demandait jusqu'où ce silence s'étendait. Tous les employés du manoir étaient-ils soumis à ces mêmes non-dits ? Que se passait-il derrière ces murs ?
Une heure plus tard, Maya descendit pour le dîner, son cœur battant plus vite à l'idée de revoir Adrian. Le souvenir de la conversation qu'elle avait surprise la veille la hantait encore. « Elle n'est pas un problème », avait-il dit, comme si elle n'était qu'un pion dans un jeu qu'elle ne comprenait pas.
En entrant dans la salle à manger, elle fut immédiatement frappée par l'atmosphère froide et formelle. Adrian était déjà assis à l'une des extrémités de la longue table, lisant des documents sans même lever les yeux vers elle. Le chandelier en cristal projetait des ombres dansantes sur les murs, mais la pièce elle-même semblait dénuée de chaleur.
« Bonsoir », dit Maya en prenant place.
« Bonsoir, » répondit Adrian sans lever la tête.
Le silence qui s'installa entre eux était lourd et pesant. Maya n'était pas habituée à ce genre de relations. Dans sa famille, les dîners étaient des moments de partage, de conversations animées. Ici, c'était tout le contraire. Elle se sentait comme une étrangère dans sa propre maison.
Après plusieurs minutes de silence, elle décida de briser la glace. « Adrian, je suis allée dans le jardin aujourd'hui. C'est un endroit magnifique. »
Il leva enfin les yeux vers elle, son regard perçant l'observant comme s'il tentait de déceler ses véritables intentions. « Le jardin est un héritage de mes ancêtres. Il a été conçu pour refléter l'ordre et la discipline. »
« Clara m'a parlé d'une partie plus sauvage du jardin, près de la fontaine. Elle dit que c'est son coin secret. »
Un éclair de surprise traversa brièvement les yeux d'Adrian, mais il disparut aussi vite qu'il était apparu. « Clara est ici depuis des décennies. Elle a vu beaucoup de choses dans cette maison. Mais je vous conseille de ne pas prêter trop d'attention à ses histoires. Elle a tendance à... exagérer. »
Maya haussa un sourcil, intriguée. « Vous pensez qu'elle ment ? »
Adrian posa calmement ses couverts avant de la fixer de son regard glacial. « Ce que je pense, c'est que cette maison a une histoire riche, parfois trouble. Mais certaines choses appartiennent au passé et doivent y rester. Vous feriez mieux de ne pas trop fouiller dans des affaires qui ne vous concernent pas. »
Le ton d'Adrian était ferme, mais pas menaçant. Pourtant, ses mots résonnèrent dans l'esprit de Maya comme un avertissement. Il y avait clairement des choses qu'il ne voulait pas qu'elle découvre. Mais cela ne faisait qu'attiser sa curiosité.
Elle baissa les yeux vers son assiette, tentant de calmer son esprit. « Je n'ai pas l'intention de causer de problèmes. Je voulais juste... en savoir plus sur cette maison. Après tout, c'est là que je vis maintenant. »
Adrian ne répondit pas immédiatement. Il l'observa en silence, comme s'il pesait soigneusement ses mots. « Maya, ce mariage... je ne vous demande pas d'aimer cette maison. Je vous demande simplement de respecter certaines limites. »
Maya sentit une pointe d'amertume monter en elle. « Des limites ? Comme ne pas entrer dans certaines pièces, ne pas poser de questions ? »
Adrian se pencha légèrement en avant, son regard devenant plus intense. « Exactement. Il y a des règles dans cette maison. Tant que vous les respectez, tout ira bien. »
Elle serra discrètement ses poings sous la table. L'idée de vivre selon ces règles rigides, sans la moindre liberté, la révoltait. Mais que pouvait-elle faire ? Pour l'instant, elle n'avait ni le pouvoir, ni les moyens de contester. Cependant, elle était déterminée à découvrir ce qui se cachait vraiment derrière ces murs.
Le reste du dîner se passa dans un silence tendu, chaque son de vaisselle entrechoquée résonnant dans la pièce comme un écho sinistre. Maya se leva après avoir fini son repas, adressant un léger signe de tête à Adrian avant de quitter la salle.
Alors qu'elle montait les escaliers pour regagner ses appartements, une pensée persistante l'envahissait : elle ne resterait pas passive dans cette maison. Même si elle devait y aller doucement, elle trouverait un moyen de percer les mystères qui entouraient Adrian et le manoir Castellano.
Cette maison avait des secrets, des ombres qui murmuraient derrière chaque porte. Et Maya comptait bien découvrir ce qu'elles disaient.
Après une nuit sans sommeil, Maya se réveilla avec une nouvelle détermination. La conversation avec Adrian résonnait encore dans son esprit, le ton de ses mots lui rappelant qu'elle n'était qu'une invitée dans cette maison... une invitée qui devait suivre des règles qu'elle n'avait pas choisies. Mais elle sentait au fond d'elle que quelque chose ne tournait pas rond. Il était impossible de vivre ici sans découvrir ce qui se tramait réellement derrière ces murs. Si Adrian lui imposait des limites, c'était pour une raison, et elle comptait bien la découvrir.
Elle décida de ne pas rester enfermée dans ses appartements ce jour-là. Cette maison était immense, et elle n'avait exploré qu'une petite partie. Il devait y avoir des indices disséminés quelque part. Des réponses à ces questions qui la tourmentaient.
Après avoir pris un léger déjeuner dans sa chambre, elle enfila une robe simple et sortit en silence. Elle évita soigneusement les domestiques, consciente que leurs yeux et leurs oreilles pouvaient rapporter chacun de ses mouvements à Adrian.
En longeant les couloirs interminables du manoir, Maya eut soudain l'impression d'être dans un labyrinthe. Chaque porte ressemblait à la précédente, chaque couloir menait à un autre, encore plus froid, encore plus silencieux. Mais elle était déterminée à trouver quelque chose.