J'entends mes chaussures claquer sur le sol en marbre. J'ai comme l'impression de marcher vers ma mort imminente. J'appuie sur le bouton de l'ascenseur et lorsque les portes s'ouvrent, j'entre à l'intérieur d'un pas hésitant. Je suis seule, heureusement pour moi. Je m'adosse sur les parois et je ferme les yeux. En ce moment, je me sens vraiment misérable. Je me sens comme une pauvre fille, bien plus que je ne le suis. Je n'arrive pas à croire que je sois là. Je suis dans un ascenseur pour aller voir l'homme qui m'a manqué de respect en m'insultant ouvertement devant mon amie. Mais qu'est-ce que je fous ici ? Ah ouais, ma mère m'a donné comme ultimatum de me réconcilier avec lui sinon, je ne pourrais plus mettre les pieds chez elle. Comment une mère peu faire ça à sa propre fille ? Je lui ai pourtant tout dit, il m'a trompé avec ma meilleure amie, m'a traité de grosse. Ai-je vraiment envie de rester avec une ordure pareille ? D'accord, je ne suis pas très belle, mais tout de même. Je ne suis pas non plus la plus moche du monde. L'ai-je réellement aimé un jour ? Je veux dire quelle est la dernière fois qu'il m'a fait ressentir des papillons dans le ventre. À vrai dire jamais, je me sentais juste flattée d'être courtisée par un homme tel que lui. Avec autant de charisme et de prestance que Marc. Une seule personne m'a fait perdre tous mes moyens au cours de ma petite vie et il s'agit sans aucun doute de lui. Par lui j'entends le grand frère de Sue. Il avait quinze ans et moi j'en avais neuf. J'admirais la façon dont il prenait de Sue, ils étaient pauvres, mais mon amie était bien plus heureuse que moi qui avait beaucoup plus d'argent qu'elle. Son frère et sa mère la couvrait d'amour, pas comme chez nous où les disputes pleuvaient tout le temps. Et puis il avait ce sourire qui me faisait fondre, tellement que je ne parvenais jamais à le regarder dans les yeux. À chaque fois que je croisais son regard, je devenais toute rouge.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent et je sursaute en levant la tête. Je réajuste les lunettes que j'ai sur le nez et je sors. Mon cœur bat, ma température augmente. J'arrive devant le bureau de Marc pendant de longues minutes. Il me suffit juste de tourner la poignée de la porte pour entrer dans son bureau. Mais est-ce que je le veux réellement ? J'ai l'impression de l'entendre encore dire sur moi toutes ces atrocités. En somme, il veut juste se servir de moi. Il n'est même pas encore maire qu'il manipule déjà les gens qui voudront voter pour lui. Après tout, ils sont certainement tous comme ça. Aussi bien lui que l'autre type. Un regain de conscience me gagne. Non mais qu'est-ce que je fais ici ? J'en suis donc réduite à ça ? Non, je refuse de perdre mon amour propre au profil d'une relation qui n'a jamais existé. Je retire ma main de la poignée, puis je me dirige vers l'ascenseur, je refuse de rester ici une minute de plus. Je me dirige vers la sortie d'un pas rapide, puis je prends un taxi pour aller dans le parc. Je descends et je m'assois sur un banc, je regarde les gens défiler devant moi. Je me rends la tête entre les mains et je pousse un soupir. Non mais comment est-ce que j'ai fait pour en arriver là ? Quand est-ce que ma vie s'est trompée de direction et est devenue aussi chaotique ? Un homme passe devant moi et je plisse les yeux pour mieux l'apercevoir, il ressemble étrangement à l'homme avec qui j'ai passé la nuit, l'homme qui m'a rendu folle parce qu'il a deviné quel genre de femme se cache derrière cette façade, avec des fantasmes dont je ne pourrais jamais parler à quelqu'un. Lorsqu'il tourne la tête vers moi, ce n'est pas lui. Je secoue mes boucles rousses vigoureusement. Et maintenant, je suis devenue folle ! Je le vois partout et surtout dans mes rêves, il ne se passe pas un seul instant sans que je ne pense à lui, ses mains sur ma peau, ses tendres baisers. Est-ce qu'il pense à moi autant que je pense à lui ? C'est peu probable, un homme comme lui doit avoir des tas de conquêtes. Je n'en étais qu'une parmi tant d'autres.
" Puis-je m'asseoir un instant ? " Me demande une voix grave.
Je sursaute et j'ouvre les yeux, comme si le fait de penser à lui l'avait fait apparaître devant moi. Je reste pétrifié sur ce banc à le regarder comme s'il était un fantôme. Je baisse les yeux pour regarder mes chaussures, peut-être que si je n'affronte pas son regard, je ne serais pas troublée. J'essaye discrètement d'essuyer mes larmes avant de demander.
" Vous me suivez ? "
Il ne répond pas et se contente de s'asseoir près de moi. Il reste un moment silencieux. Le regard rivé droit devant lui, je regarde son profil, si droit et fier.
" Tu as pleuré. "
Je secoue la tête et je me lève, je n'ai pas besoin qu'on me répète à quel point je suis pathétique. Je n'ai pas envie d'entendre ça. Il me retint d'un geste doux et ferme à la fois et me fait asseoir sur le banc.
" Tu es toujours comme ça ? Tu fuis à la moindre difficulté et encore là je n'ai rien fait de mal, je faisais juste un simple constat. "
" Je ne vous ai rien demandé ! Vous pensez que je ne sais pas à quel point je fais pitié à voir ? Je suis grosse, moche et en plus de ça ma meilleure amie se fou de moi avec mon fiancé. Ma mère veut que je me remette avec l'homme qui m'a humilié, mon père n'est pas fichu de défendre sa propre fille et ma sœur quant à elle, je ne sais même pas si elle se soucie de moi. Et mon travail, ne m'en parlez même pas, je travaille pour une femme tyrannique et même pas fichu de faire son travail, sa renommée, c'est à moi qu'elle la doit. Mais ça personne ne le sait, je suis la pauvre petite assistante, bonne à aller chercher du café. "
Je m'effondre à nouveau et cette fois-ci dans ses bras, il me caresse doucement l'épaule et me laisse m'épancher sans jamais me couper la parole.
" J'ai l'impression d'avoir échoué sur tout, j'ai une vie misérable. "
Je pleure pendant de longues minutes, lorsque je me suis enfin calmée, il me prend par les épaules et me secoue doucement. Ses yeux sont remplis de colère.
" Pourquoi est-ce que tu as une si piètre opinion de toi-même ? Ce que les autres disent ou pensent de toi n'a aucune espèce d'importance tant que tu as de l'estime pour toi-même. Mais à t'entendre, ce n'est pas du tout le cas. "
" Mais c'est ce que je ressens, je suis une moins que rien, même pas fichue de prendre soin d'elle-même. "
" Tu veux savoir ce que moi je vois quand je te regarde ? Je voix une magnifique jeune femme. D'accord, tu n'es pas habillée à la dernière mode. Tes cheveux sont horribles. " Dit-il il en posant la tête sur mes cheveux. " Tes chaussures dates clairement du siècle dernier et mon Dieu ne parlons pas de tes vêtements. "
" C'est comme cela que tu comptes me remonter le moral ? En me dénigrant encore plus ? " Dis-je en baissant la tête, encore plus humiliée.
Il pose son pouce et son index sous mon menton et me lève la tête. Ses yeux brillent d'une lueur que j'ai du mal à nommer.
" Mais, derrière tous ces haillons se trouve une magnifique jeune femme. Tu as une peau magnifique, dénuée de toute imperfection et ces yeux. " Dit-il en retirant mes lunettes. " On dirait du jade, tu es doté d'une beauté naturelle, sans artifices. Tu n'as pas besoin de ça pour être mise en valeur. "
Je me sens totalement fondre, j'ai l'impression que j'avais un morceau de glace dans le cœur et il est entrain de fondre sous la chaleur de ses mots rassurants. C'est la première fois qu'une personne me dit des paroles aussi belles. À vrai dire, je désespérais de pouvoir les entendre un jour et maintenant que c'est fait, je me sens nulle, parce que j'aimerais tellement être la femme qu'il désire.
" Laisse-moi t'aider à devenir la femme que tu veux devenir. "
Je plisse les yeux sans vraiment comprendre le sens de sa phrase.
" Pourquoi feriez-vous ça ? "
Il se tait et détourne les yeux pour regarder devant lui, comme s'il voulait éviter mon regard.
" Tu me rappelles beaucoup une personne que j'aime. Te voir réussir serait un peu comme de la voir réussir elle. " Dit-il le regard soudain adoucit.
Je serre le tissu de ma jupe prise de rage à l'idée que ce soit pour une femme qu'il veut m'aider.
" Et qu'est-ce que vous gagnez dans cette histoire ? Vous comptez aussi vous servir de moi pour gagner les élections c'est ça ? "
Il pousse un soupir indigné.
" Je n'oserais jamais me servir d'une personne pour gagner les élections. Si je le fais, c'est pour que tu puisses prendre ta revanche sur toi et enfin sur qui tu veux et même si je le faisais, toi aussi tu t'es servie de moi pas vrai ? Pour te venger de ton fiancé. "
Je baisse la tête honteuse.
" Je vais juste te demander une seule chose. "
" Je le savais de toute façon, rien n'est gratuit. Que voulez-vous. "
" Tu devras te faire passer pour ma fiancée. "
Je pense que s'il n'avait pas de banc sur lequel je suis assise, je me serais sans aucun doute déjà évanouie.
" Comment ? Mais pourquoi ? Je veux récupérer Marc, pas le faire fuir. "
" Je ne peux pas te donner la raison, tout ce que je te demande, c'est de me faire confiance. Il reviendra vers toi en rampant je te le promets. "
Faire confiance à un homme que je ne connais pas ? Est-ce réellement raisonnable? Toutefois, il a cette lueur dans le regard qui me semble si familière, comme si je le connaissais depuis des années. Je vais sans doute faire une bêtise en acceptant son offre, mais j'en meurs d'envie.
" Dans ce cas, moi aussi J'aurais une condition. " Il se contente de hausser un sourcil pour m'inviter à continuer. " J'accepte de jouer la comédie à condition que ce qui s'est passé l'autre nuit, ne se reproduise plus jamais. "
" Tu veux me faire croire que RH ne meurs pas d'envie de sentir mes mains sur ton corps ? Parce que moi je ne rêve que d'une chose depuis que je suis arrivé ici, te prendre violemment sur ce banc et voir tes seins magnifiques balancer dans tous les sens. " Termine t'il en chuchotant dans mon oreille. " Mais on fera comme tu voudras, je ne te toucherais pas, à moins que tu ne me le demande. Marche conclut ? "
Il me tend la main et je le regarde pendant de longues secondes. Cet accord tourne plutôt à mon avantage. J'aurais une nouvelle vie, je pourrais enfin devenir la femme que j'ai toujours rêvé d'être. Tout ce que je devrais faire, c'est de faire semblant d'être sa fiancée. Rien de bien trop compliqué. Alors pourquoi lorsque je serre sa main, j'ai l'impression d'avoir signé un pacte avec le diable ?