Je plisse les yeux sans savoir quoi répondre et je dépose ma sœur par terre. J'ai envie de lui dire qu'il est tard, mais je n'ai pas encore cuisiné et si Sue reste ici avec moi, elle se plaindra sans cesse qu'elle a faim.
" Elle va venir te chercher ? "
" Oui, avec sa sœur. "
Alicia McKane est une gamine qui habite à quelques rues d'ici, j'ai bien pris la peine de m'informer sur elle avant d'accepter que ma petite sœur et elle puissent jouer ensemble. Elle est timide, et ses longs cheveux roux lui recouvrent tout le visage, lorsqu'elle me voit, la plupart du temps elle devient toute rouge, presque comme une tomate. Ça me fait toujours rire.
" Line est déjà partie ? "
" Ouais et elle m'a demandé de dire à maman de lui verser tout son fric. "
Je dépose mon sac sur la table et je secoue la tête, non mais quelle conne ! Quelle idée de dire des choses pareilles à une petite fille qui n'a rien demandé. On frappe à la porte et je vais ouvrir. La petite fille timide qui accompagne toujours ma sœur partout est là sur le pas de ma porte. Elle n'ose même pas me regarder.
" Bonsoir, je suis venue chercher Sue. "
J'avoue que j'aimerais bien la voir sourire beaucoup plus. Elle est plutôt mignonne pour une gosse de neuf ans. Je rougis en pensant mes cheveux, comment puis-je penser ainsi d'une petite fille ?
" Sue ton amie à la porte pour toi. "
Sue sort comme une fusée et vient rejoindre son amie. Je vais à la cuisine regarder ce que je peux faire à manger avant le retour de maman, elle travaille déjà si dur. La dernière chose que je veux, c'est qu'elle rentre du travail épuisée et qu'elle se mette encore à travailler. J'ouvre les tiroirs et je prends des spaghettis. Après deux heures, je parviens enfin à faire des spaghettis à la sauce bolognaise. J'entends des pas dans le salon et je devine tout de suite que c'est maman. Elle pousse la porte de la cuisine et pousse un soupir.
" Mon petit garçon, qu'est-ce que je ferais sans toi ? " Dit-elle en venant parsemer mon visage de baisers.
" Oh arrête maman, je déteste ça. "
Je m'essuie le visage en mimant une expression de dégoût et je pose le plat sur la table.
" J'ai honte tu sais. Tu n'as que quatorze ans, ça devrait être à moi de m'occuper de vous. C'est mon rôle ! "
Ma mère s'assit et se prit la tête entre les mains. Des larmes se mettent à couler de ses yeux et je me sens tellement mal. J'aimerais tellement être en âge de travailler pour venir en aide à ma mère. Comme ça, elle n'aurait plus à travailler tous ces riches qui le traite comme un objet. Elle travaille jour et nuit pour une misère et ça commence à bien faire.
" Line a dit que tu lui devais de l'argent. "
Les larmes de ma mère redoublent d'intensité, elle pleure sans ne plus pouvoir s'arrêter.
" Maman, dis-moi ce qui se passe. Nous avons des problèmes, n'est-ce pas ? "
" Je ne pourrais plus me payer les services de Line, entre ton école, l'école de Sue, la maison et les factures, j'ai du mal à m'en sortir. "
" Mais comment est-ce que Sue va faire ? Je refuse qu'elle rentre toute seule de l'école et qu'elle se retrouve ici toute seule. "
" J'ai pensé à tout, j'irais la chercher à l'école, nous irons toutes les deux chez monsieur Gallagher, il est déjà d'accord, je lui en ai parlé. "
Dan Gallagher fait partie des familles les plus riches de Portland, il a un fils Marc qui est un sale con. Cet idiot s'imagine que parce qu'il est plein aux as, il peut se permettre de faire ce qu'il veut des gens. Sauf que moi je ne me laisse pas faire, voilà pourquoi à quatorze ans, je suis déjà au lycée, je veux travailler dur pour pouvoir sortir de la pauvreté. Ma sœur et ma mère méritent une belle vie. Mais ça ne m'enchante pas que ma sœur doive aller rester chez ce type, il me fait peur.
" Tu es sûre que c'est une bonne idée ? Qu'est-ce qu'elle fera là-bas toute seule ? "
" Elle restera dans la chambre des employés. Moi non plus, ça ne me plaît pas qu'elle reste là-bas toute seule. Elle sera exposée sans cesse à la tentation ou même pourrait casser un vase coûteux . Mais nous n'avons pas le choix mon cœur, tu restes tard à l'école pour travailler et c'est ce que je veux pour toi. Je veux que tu aies und bourse pour aller à la fac. "
Je ne dis rien et je me lève pour aller enfin garder mon sac à dos dans ma chambre. Sue et maman dorment dans une chambre et moi dans l'autre. J'entends à porte s'ouvrir et je comprends que Sue est rentrée. Je cours me laver les mains et je les rejoins au salon. Je les trouve en pleine séance de câlins. Ma sœur raconte sa journée à ma mère et les deux sont mortes de rire. Je les regarde et un sentiment d'amour et de fierté me gonfle le cœur, on a pas besoin d'être riche pour être heureux. Nous terminons de manger, puis je vais vider les poubelles. Sur le chemin, je me dis qu'après tout, ma mère a eu une bonne idée. Il vaut mieux que Sue aille rester avec elle plutôt que de traîner dehors avec des espèces de tarés. Ce que j'étais loin de savoir était que cette décision allait nous coûter tout ce que nous avions.
***
" Monsieur Wright ? "
Je sursaute lorsque la main de mon chauffeur se pose sur mon épaule, je le regarde perplexe.
" Nous sommes arrivés." Me dit-il.
Je regarde autour de moi et je remarque effectivement que nous sommes arrivés sur le plateau de télévision dans lequel je vais avoir un débat télévisé avec Marc. Un débat durant lequel nous nous affronterons sur nos opinions politiques. Je passe par derrière point éviter les journalistes qui doivent m'attendre devant. Ce n'est pas le cas de Marc qui a le plus grand plaisir à se pavaner devant ceux-ci. Je lève les yeux au ciel et je pousse la porte pour entrer. Le présentateur s'approche de moi et me salue d'une poignet de main ferme et d'un sourire.
" Monsieur Wright, je suis heureux de vous recevoir sur mon plateau. Comment allez-vous ? "
" Je vais bien merci et vous ? Merci pour votre invitation. "
" Merci à vous de l'avoir honoré. "
" Eh bien ! J'ai enfin le plaisir de vous rencontrer personnellement. " Dit une voix derrière nous.
Je n'ai pas besoin de me tourner pour savoir à qui appartient cette voix. J'inspire et j'expire plusieurs fois afin de calmer la colère que je sens monter en moi. J'ai appris à canaliser mes émotions pour ne plus rien laisser paraître.
" Monsieur Gallagher. " Dis-je avec un sourire sur le visage.
Je lui tends poliment la main et il la regarde pendant de longues secondes, je vois bien dans ses yeux qu'il ne peut pas me sentir. Ça tombe bien moi aussi. Je trouve qu'il ressemble beaucoup trop à son père et rien que pour cette raison, je ne peux pas me le sentir. Le regard que nous nous lançons démontre clairement l'animosité que nous ressentons l'un pour l'autre, enfin surtout lui. Le présentateur nous explique ce qui va se passer et les questions qu'il va nous poser. Je l'écoute attentivement tandis qu'une maquilleuse me retouche le visage. Lorsque nous terminons, le présentateur va s'asseoir et lance le début de l'émission.
" Mesdames et messieurs, nous avons le plaisir d'avoir avec nous les têtes de listes pour la course à la mairie. Veuillez s'il vous plaît accueillir monsieur Wright et monsieur Gallagher. "
Le public se lève et applaudit, je fais mon enter suivi de Marc, nous saluons à nouveau et nous nous asseyons chacun de chaque côté du présentateur.
" Alors messieurs, qu'est-ce que ça fait d'être candidat à la mairie et de surcroît, tête de liste. " Me demande ce dernier.
Je n'ai pas le temps de répondre que Marc me vole la parole.
" Eh bien je dirais que c'est assez grisant. J'ai toujours voulu suivre les traces de mon père dans la politique. "
Le présentateur hausse un sourcil et sourit avant de dire.
" Je ne sais pas pour vous mais ce débat promet d'être les plus palpitants. "
Le public éclate de rire et moi je souris. Marc a donné le rythme du jeu, alors c'est à lui d'en subir les conséquences.
" Monsieur Gallagher, nous vous connaissons à travers votre père, vous êtes connu dans toute la ville, vos succès ne sont plus à présenter. Tandis que vous Monsieur Wright, vous êtes sorti de nulle part et avez gagner le respect et le cœur de vos électeurs en l'espace de quelques mois. La question que les téléspectateurs et moi nous posons est qui est Oliver Wright ? "
" Eh bien, je suis quelqu'un d'assez simple, qui n'aime pas trop parler de lui. "
" Dans ce cas, comment voulez-vous que les électeurs vous connaissent ? Avez-vous des secrets dans vos placards ? " Me demande Marc.
Je le regarde pendant de longues secondes, ce n'est pas lui le journaliste, il n'a pas de question à me poser. Mais s'il veut conduire le débat dans ce sens, je vais entrer dans son jeu.
" Des secrets ? Je pense qu'on a tous plus au moins des choses qu'on aimerait garder pour nous. Comme par exemple une maîtresse avec laquelle on trompe sa fiancée. "
Marc devient livide et arrange sa cravate en gesticulant dans tous les sens. Je souris, diabolique. L'ambiance dans le plateau devient électrique, Marc cesse de me poser des questions et se contente uniquement de répondre aux questions que lui pose le journaliste. L'interview se termine une heure plus tard. Alors que je rejoins le parking pour aller rejoindre ma voiture, Marc m'aborde en posant une main sur mon épaule.
" Je n'ai pas trop apprécié votre sous-entendu sur de soit disantes maîtresses à l'intérieur. "
Je fais un signe à mon chauffeur de ne pas s'approcher, puis je me tourne pour regarder Marc.
" C'était un exemple parmi tant d'autres et je m'en vois navré si je vous ai quelque peu froissé. "
" À d'autres ! " Dit-il en plissant les yeux. " Je connais des personnes telles que vous, vous essayez de bien vous faire connaître des autres. Mais j'arrive à voir d'ici sur vous êtes pourri jusqu'à la moelle. "
" Pourquoi ? Parce que vous reconnaissez en moi l'être fourbe et manipulateur que vous êtes ? "
Il sourit les mains dans les poches et s'approche de moi.
" Savez-vous juste ce que je pourrais vous faire ? Je pourrais vous détruire. "
" C'est une menace ? " Demandais-je en plissant les yeux.
" Prends ça comme tu veux mec, mais tu devrais te méfier des personnes que vous ne connaissez pas. " Dit-il avant de disparaître aussi rapidement qu'il était apparu.
Je mets les mains dans les poches de mon manteau et je le regarde partir le sourire aux lèvres. Au final, lui non plus ne me connais pas.