- Jambo, Habari? (Bonjour, comment ça va?)
- Muzuri (Ça va bien.) Tonton Faustin, que se passe-t-il? M'enquiers-je
Tonton Faustin jette un regard furtif vers ses compagnons avant de reporter son attention sur moi.
- Ce ne sont pas des choses que tu dois savoir. D'ailleurs, ce n'est rien de grave, dit-il
Hum! Tu mens.
- Niya, il faut rentrer à la maison, vas-y! Me dit un autre tonton du groupe.
Je fais semblant de m'éloigner lentement en jouant avec les lanières de mon sac à dos, je repère du coin de l'œil tantine Lucie qui a arrêté de piler son pondu s'approcher du petit mur, intriguée. Je vais rester là pour glaner des infos, je ne rate rien. Je m'accroupis et fais semblant d'attacher les lacets de mes perpètes, les oreilles tendues au maximum.
- Chéri, qu'y a-t-il? Demande tantine Lucie à son époux
- On est dans l'insécurité. Dans la nuit d'hier, des unités armées avec des tenues militaires qui ne sont pas celles de notre armée ont été repérées près de la frontière Ougandaise.
- Ah bon! Mais qui sont-ils? S'exclame tantine Lucie
- Peut-être que c'est encore une autre milice financée par l'occident ou les pays voisins pour causer le trouble, dit le tonton qui m'a dit de m'en aller.
- Seigneur des anges! Je me demande ce que ces gens ont tout le temps à vouloir agresser ce pays. On leur a fait quoi?
- Maman, la richesse. Sous-sol trop riche, tas des problèmes. Une vraie malédiction je te dis. C'est comme quand on épouse une femme trop belle, on n'a pas la paix, répond un autre tonton.
- Et là, il y a à peine deux heures, trois gardes forestiers et deux chasseurs ont été retrouvés sauvagement décapités. Leurs corps ont été jeté le long de la forêt de l'Ituri, renchérit tonton Faustin
- QUOI? ON A RETROUVÉ QUOI? Demandé-je, horrifiée
Ils se tournent tous vers moi.
- Niya, on t'avait dit de t'en aller, s'énerve tonton Faustin
J'en ai assez entendu. Je traverse la rue en courant presque. Seigneur, j'aurais préféré ne pas entendre tout ça. La personne qui a dit que "l'ignorance, c'est le bonheur" avait un peu raison.
- Niya, ne dis rien à Mamie hein! Elle risque de paniquer, me crie Tantine Lucie pendant que j'ouvre le portillon.
Ma chère, qui ne paniquerait pas à l'écoute d'une telle nouvelle ? Surtout que les horreurs qui viennent d'être énoncées ont pris place à seulement quelques kilomètres d'ici. Il y a de quoi foutre la trouille à n'importe qui. J'entre dans la parcelle et me dirige vers l'arrière-cour où je trouve Mamie entrain de défricher notre petit potager.
- Bonjour Mamie.
- Oh, Niya, de retour?
- Oui mamie, fais-je en allant prendre place sur une des chaises sur la petite véranda après m'être débarrassé de mon sac.
Les sons de la télé depuis le salon m'indique que Divin y est et regarde ses dessins animés. Mon cœur n'a pas arrêté de battre depuis. J'observe un moment ma grand-mère qui place les mauvaises herbes qu'elle vient de déraciner dans un grand sac poubelle.
Décapités. Quelle horrible manière de mourir! Et si les gens qui ont perpétré de telles barbaries arrivaient ici et nous faisaient subir le même sort? Je me sens parcourue d'un tremblement incontrôlable. Eternel, veille sur nous.
- La nourriture est déjà prête hein si tu as faim, me dit Mamie, me tirant de mes pensées.
- Merci mamie, je mangerai plus tard. Je vais d'abord faire mes devoirs.
Je ramasse mon sac et entre dans la maison, les pas lourds. Je traverse la cuisine et vais trouver Divin qui regarde "les trois petits cochons" debout à seulement quelques centimètres de l'écran tout en mangeant son yaourt (Je me demande pourquoi les enfants aiment se tenir si près de la télé). Son visage badigeonné de yaourt s'illumine lorsqu'il me voit. Il dépose le petit pot et court se jeter dans mes bras. C'est ce qu'il fait chaque jour à mon retour de l'école. Un vrai petit amour. Je le prends plus pour mon enfant que mon petit-frère. Je l'embrasse en faisant attention à ma chemise, je trouve rapidement un papier mouchoir dans la poche externe de mon sac et lui essuie le visage.
- Comment va mon petit cœur?
- Très bien, répond-il en souriant de toutes ses petites dents blanches.
Il s'exprime déjà bien, même s'il y a encore des mots qui lui sont un peu difficiles à prononcer.
- Tu étais sage en mon absence? Vraiment? fais-je, l'air faussement sévère, en commençant à le chatouiller
Il rit en se tortillant, me jurant qu'il était sage. Le voir aussi heureux et entendre son rire cristallin emplir la pièce me font un moment oublier les infos lugubres de tout à l'heure.
- Tu n'es pas allé sautiller sur mon lit?
Il fait non de la tête sans arrêter de s'esclaffer. Je sais qu'il est allé sautiller dans mon lit et faire sa petite exploration dans ma chambre, un vrai petit fouineur. Et ça, il le fait tous les jours. Il y a des jours où je le trouve endormi dans mon lit, c'est pour montrer à quel point ce petit adore ma chambre. Je vais rapidement me changer, troquant mon uniforme contre une robe tube orange près du corps avant d'aller prendre place sur la grande table à manger avec ma double feuille quadrillée, mes trois stylos et quelques cahiers. Je compte enlever cette punition de mon chemin le plus vite possible. Divin va chercher ses crayons de couleur et son livre de coloriage et vient se joindre à moi. À chaque fois qu'il finit de colorier un dessin, il me le montre pour avoir mon approbation sur ses talents.
Eish, Delta. C'est sûr que cette formule, je ne l'oublierai plus jamais après l'avoir écrit autant des fois. J'ai les doigts endoloris quand j'arrive enfin au dernier b carré moins quatre ac! Ouuuuf! Je fais ensuite une rapide révision, m'occupe de mes quelques devoirs à domicile avant d'aller tout ranger avec Divin à mes trousses. Celui-là, il sait coller les gens.
- Dada! (Grande sœur), appelle-t-il
- Oui Vinvin, dis-je en préparant ma tenue de demain.
- Mi shi pende Dada (Je ne veux pas), fait-il en croisant ses petits bras, l'air mécontent.
Il déteste quand je l'appelle Vinvin. Je le fais quand je veux le taquiner.
- Pardon hein! Que veux-tu? dis-je, hilare, en l'attirant dans mes bras.
- Niko na Nzala Dada (J'ai faim).
- Ok, on va manger. Attends un peu.
Je finis rapidement ce que je fais, le prends et nous allons à la cuisine. Je soulève le couvercle de l'une des marmites posées sur la cuisinière et suis agréablement surprise d'y trouver de la viande de brousse fumée à la mwambe, Miam! Je vais me ré-ga-ler! Dans les deux autres marmites, il y a du riz et des plantains mûrs bouillis.
Pendant que je nous sers, j'entends la voix de maman depuis la véranda.
- ...Oui maman, on leur a coupé leurs têtes comme des moutons. On a emmené les corps à la morgue de l'hôpital où je travaille, chuchote-t-elle, voulant sûrement n'être entendue que par mamie.
Eish, encore cette histoire! Je l'avais presqu'oublié. Mon cœur s'alourdit, tout mon appétit me quitte. Je sers rapidement Divin en faisant le moins de bruit possible et vais rapidement l'installer sur sa petite chaise et sa tablette en plastique devant la télé avant de d'aller me placer près de la fenêtre de la cuisine qui donne sur la véranda.
- ...Pardon, c'est encore quoi ça, entends-je Mamie dire
- J'ai appris que les FARDC (armée congolaise) viennent d'être déployées dans la partie où les militaires non-identifiés ont été aperçus et dans la forêt de l'Ituri.
Ouf! J'espère que l'armée va vite se charger de cette bande des criminels. Je suis un peu soulagée.
- Salut Maman, karibu! (Bienvenue), fais-je en sortant les rejoindre
- Salut ma fille, Aksanti (Merci)
Je prends son sac à main et ses chaussures que je vais rapidement déposer dans sa chambre et lui ramène ses pantoufles. Je vais ensuite m'asseoir sur le banc près de mamie qui grille des maïs sur notre petit brasero.
- Où est ton frère? Me demande Maman
- Il est en train de manger au salon.
- Va le chercher, il risque d'en mettre partout. Tu sais comment il aime parfois jouer avec sa bouffe.
Je vais le chercher et l'emmène à la véranda avec sa chaise et sa tablette. Il va faire un câlin à maman avant d'aller continuer à assassiner son plat.
- Niya ?
- Maman ?
- Hortense m'a dit qu'il t'a vu descendre d'une voiture bleue aujourd'hui. C'était qui l'homme au volant?
Non! Il y a trop des reporteurs en herbe dans ce quartier. Songi songi!
- C'est....c'était l'oncle de Rika. Il est passé la chercher....
- Ne t'ai-je pas dit de ne plus côtoyer cette fille? Niya, tu es têtue comme ça pourquoi? me coupe-t-elle en colère
- ...
- Cette fille n'est pas bien, tonne-t-elle
- Oh! Lydie, la pauvre fille t'a fait quoi? Cette Rika, ce n'est pas la fille claire qui vient parfois ici? Intervient Mamie
- Celle-là même. J'ai appris qu'elle connait déjà les hommes et le pire ce qu'elle n'a pas qu'un seul homme hein maman! Elle en a six!
Eeeeeeh! Regardez comment les gens déforment les infos. Elle en a juste trois. Mais ce n'est pas moi qui le dirais à maman.
- Je ne veux pas qu'elle vienne pourrir ma fille maman. Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs. Même sa mère n'a pas une vie bien. Il y a comme une semence d'impudicité dans leur famille et Niya c'est à une fille comme ça qu'elle a choisi de s'attacher.
- Ooh! Mungu wangu! (Mon Dieu!) c'est comme ça que cette fille-là est? Niya, il faut te détacher d'elle. Elle risque de te corrompre, fait Mamie en tapant dans ses mains
- Il faut lui dire maman. Niya, si je te vois encore avec cette fille, tu vas me sentir. Tu coupes le pont avec elle, tu m'entends?
- Oui maman, fais-je, ne le pensant pas.
Je ne compte pas adopter les pratiques de Rika, elle est ce qu'elle est mais je l'aime bien et j'adore notre amitié. Je ne vois pas pourquoi je devrais l'interrompre. On se connait depuis deux et je ne vois pas où elle a déteint sur moi. Je vais débarrasser la tablette de Divin qui a fini de manger et vais rapidement laver son assiette.
- Niya, retiens qu'une bonne orange placée près de celle qui est pourrie devient aussi pourrie après seulement quelques temps, me dit Maman quand je reviens m'asseoir près de mamie.
- C'est la vérité. Lydie, donc sa mère est celle qui lui apprend des vilaines choses comme ça? Renchérit Mamie
- Oui oh! J'ai même appris la vraie raison de sa mutation ici à Bunia.
Huuuuum! Mamaaaaan!
- Ah bon! Et c'est quoi la raison?
- À Goma là-bas, elle sortait avec son chef qui est un homme marié. L'épouse du chef a tout découvert et lui a déclaré la guerre. Pour la protèger, son chef a rapidement arrangé qu'elle soit mutée ici.
- Eeeh! Mutoto wa nioka! (Enfant de serpent!)
- Vraiment! Je ne veux pas que ma......
Elles sont encore en train de parler lorsqu'il y a une coupure de courant.
- Rhooo! Mais la compagnie d'électricité là est comment? Avec l'insécurité qui règne, ils coupent encore le courant aux gens? Sérieux? Niya, va déjà préparer les lampes tempêtes avant qu'il ne commence à faire sombre. Est-ce qu'il y a encore du pétrole? Se plaint ma mère
- Il en reste seulement un peu.
Mamie détache un nœud qu'elle a fait au bout de son pagne d'où elle sort deux billets de 200 Frcs.
- Tiens, tu en achètes pour 400 Frcs comme ça on en aura aussi en réserve, dit maman en m'ajoutant de l'argent
Je vois Divin qui est déjà prêt à m'accompagner, il aime trop se promener celui-là.
Il lâche ma main lorsque nous sortons tous les deux de la parcelle et va marcher en sautillant à quelques pas devant moi tout en regardant partout comme à son habitude. Nous allons dans la rue qui suit la nôtre chez Maman Evo qui vend le pétrole et qui a aussi une petite buvette où elle vend le Lotoko (liqueur forte locale) que fabrique son époux, papa Ngi. Pendant qu'elle me verse mon pétrole, j'écoute d'une oreille distraite un groupe des vieux messieurs déjà à moitié ivres parler de leurs glorieuses jeunesses.
- Ma fille, tu as dit que tu en voulais pour 400 Frcs, c'est ça? Me demande Maman Evo
- Oui maman.
- Ok, ça c'est le matabiche (le bonus), dit-elle en me versant une boîte de plus avant de retirer l'entonnoir.
Je paie, la remercie avant de quitter le lieu. Divin va encore se placer devant pour sautiller comme à l'aller. Lorsque nous arrivons devant la buvette du quartier, il va percuter un jeune homme qui en sort. Dieu merci, le jeune homme le rattrape avant qu'il ne s'étale complètement au sol et salisse sa salopette. Je cours le tirer des bras du gars
- Divin, combien des fois dois-je te dire de toujours regarder où tu vas? Tu as vu comment tu as cogné le tonton d'autrui?
Il me regarde juste avec des gros yeux de quelqu'un qui va bientôt pleurer.
- Ce n'est pas grave, dit le jeune homme avec un sourire.
Il ne m'a pas l'air d'être d'ici, je ne l'ai jamais croisé avant. Grand et athlétique, beau, le regard franc, belle bouche bien dessinée, cheveux coupés ras, teint noir propre, les vêtements frais de chez frais, parfum subtil mais puissant, les ... rhoo! Je le détaille même pourquoi? Ça me regarde s'il est beau. Des distractions stupides!
Je détourne rapidement mes yeux de lui, prends la main de Divin et me mets à avancer.
- Désolée pour ce petit accident, lui lancé-je par-dessus mon épaule.
- C'est très impoli de vous excuser comme vous faîtes. Je n'accepte pas ces excuses-là.
Quoi?
- Pardon? Demandé-je en faisant volte-face
- Vous m'avez entendu! D'ailleurs ce n'est pas à vous de me présenter des excuses mais à lui, dit-il en s'approchant de nous, le visage bien amarré.
Ah! C'est sérieux ? N'a-t-il pas dit il y a à peine une minute que ce n'était pas grave?
Il s'accroupit devant Divin sans attendre ma réponse.
- Mon petit, tu m'as fait très mal à la cuisse, je crois que je boiterai pendant toute une semaine, dit-il en faisant une grimace de douleur
- Désolé monsieur, fait mon petit frère tout penaud, tout en lui tapotant doucement l'épaule comme pour le réconforter.
- Tu es vraiment très poli, petit bonhomme. Appelle-moi tonton Rap dit le jeune home, le rire dans la voix
- D'accord tonton Raph, fait Divin avec un grand sourire
- Comment t'appelles-tu?
- Je m'appelle Divin.
- Divin. J'aime beaucoup ton nom, il te va bien, dit-il en lui pinçant légèrement la joue, un geste qui le fait rire.
Oh! Ces excuses-là vont prendre combien de temps?
- Et la tantine méchante qui tient ta main s'appelle comment?
Hein?
- C'est Niya, ma shœur!
- Oh, ta shoeur? dit-il, imitant Divin
- Oui oui, et on vit dans la maison bleue là-bas avec ma maman et ma mamie! Piaille le moineau que j'appelle mon frere
Il va même jusqu'à pointer vers notre maison qui se voit au loin.
Eeeeh Cet enfant! Bouche trouée!
- DIVIN! Monsieur, vos excuses, vous les avez eues. Viens, on s'en va Divin.
J'entraîne mon frère avec moi et nous traçons notre route.
- Bye bye tonton Raph! Chantonne mon moineau de frère
- Bye Divin, répond le fameux tonton Raph, le rire dans la voix.
Pfff!
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