J'avais également une famille sur laquelle je pouvais compter en toute occasion : chez nous, on ne connaissait ni la souffrance ni l'incompréhension. Tout était limpide, que ce soit dans nos conversations comme dans nos actes. Les informations entre nous circulaient à merveille, toute situation un tant soit peu compliquée trouvait forcément solution grâce à l'écoute que nous avions les uns envers les autres et l'aide mutuelle tenait une place prépondérante dans nos relations. Moi qui aimais la simplicité en tout, ça tombait pile poil.
J'étais aussi un grand passionné de sport, parcourant avec ardeur tous les types de parcours de santé et privilégiant la marche à la voiture pour les petits déplacements ; sinon j'utilisais les transports bien que parfois, ceux-ci me pénalisent quand il arrivait, pour une cause inexplicable, que le train s'arrête un temps indéfini sur les voies. J'étais d'un naturel calme et serein mais j'avoue qu'en de telles circonstances, toute notion de sagesse me quittait illico et me faisait, dans des cas extrêmes, des nœuds à l'estomac.
Autrement, j'adorais les voyages. Pour le plaisir certes, mais pas uniquement : quand d'autres partaient à la mer faire le lézard toute la sainte journée, moi j'optais pour crapahuter dans des paysages hostiles avec un strict nécessaire de survie, où on ne trouvait pas un chat. Pousser son esprit et son corps dans ses retranchements, dormir à la belle étoile et vivre un temps en parfaite harmonie avec la nature me revitalisait chaque été.
Comme quoi, on peut avoir de gros moyens et n'avoir pas besoin de grand-chose pour être épanoui.
13 janvier
Chausse-pied, cheik, conservation, étain, étalage, homme, matin, monter, montre, pyramidal, pupille, tauromachie, vaccination, zélé, imprimerie, éplucheur, copie, capitale, escrime, falloir, imprécis, mousseux, pêcher, reliquaire, sérieux
Je suis un inconditionnel des brocantes. J'adore partir très tôt le matin, arpenter les rues chargées d'étalages où se côtoient des objets aussi hétéroclites qu'un chausse-pied en étain d'une époque révolue ou qu'un éplucheur à légumes les sculptant en spirales ou qu'une montre pyramidale gravée de hiéroglyphes dont la conservation était optimale.
Je n'étais pas un homme zélé, mais j'aimais les belles choses. Je m'étais arrêté devant un nécessaire d'imprimerie qui faisait briller mes pupilles et le propriétaire me montrait avec fierté les copies qu'il avait fait avec. Le vide-greniers comptait beaucoup d'exposants. Il allait me falloir monter et descendre pas mal de rues et ruelles. Quelques mètres plus haut, je tombais sur un beau livre sur la tauromachie bien que je n'approuve pas la pratique. Je préféraiset repartai pêcher, reliquaire, sérieux;falloir, eriegeait de couleur. Unede loin l'escrime, sport que je trouvais beaucoup plus noble ou bien la pêche pour la détente.
Une lumière attira mon regard : une Tour Eiffel de presque un mètre quatre-vingts qui faisait office de lampe et qui changeait de couleur ; une belle façon d'honorer notre capitale. Et puis il y avait un tas de très vieilles cartes postales, aux contours imprécis, comme grignotés par le temps, ainsi qu'une reproduction à l'identique du reliquaire contenant les ossements de Saint-Louis. Sauf qu'il était marqué « Made in China » derrière et qu'il faisait royalement quinze centimètres de haut.Saint-Louis. Sauf qu'temps.changeait de couleur. UneJe me disais que ça ne faisait pas sérieux mais bon, mon carnet de vaccination contre les choses bizarres et de mauvais goût était à jour !
Je continuais ma petite balade. Ça rigolait bien là-bas. J'entendais des « Bon Anniversaire ! » Je m'approchais et vis un de mes voisins qui tenait un stand de matériel pour pêcher les poissons d'eau douce. « Hey, Fred, vient donc là ! On fête les douze ans de mon petit dernier ! Pas de champagne mais du mousseux au menu ! »
Et c'est ainsi que je passais le reste de l'après-midi en leur compagnie, à rire, à boire, à parler de la pêche et repartais même avec une boîte entière de mouches synthétiques de toutes les couleurs. Cadeau de mon sympathique voisin. Une belle balade, une rencontre imprévue et une bonne tranche de rire : je n'avais pas de fortune mais cette journée m'avait rendu riche comme un cheik.mais cette journée m' mouches de changeait de couleur. Une
14 janvier
Terreur, cauchemar, engagement, solitude, eugénisme, respect, nuit, amour, addiction, rédemption, mort, anémie, animal, certitude, blessure, rejet, trahison, amitié, ésotérisme, musique, nature, noir, gothique, empathie, excès
J'étais le résultat de la nuit d'amour déjantée de deux êtres lors d'une soirée gothique. Toutes sortes d'addictions y sévissaient, tous les excès y résidaient, avec une empathie démesurée pour les substances illicites.
J'avais dix-sept ans et quand je me regardais dans le miroir, j'y voyais le reflet de mon père au même âge : un type qui se complaisait dans le rejet de la société à son égard, qui n'écoutait que de la musique Dark Wave, ne s'habillait qu'en noir, avait les yeux charbonneux, s'adonnait à l'ésotérisme et était aussi livide que s'il souffrait d'anémie. En clair, j'arborais une tête de mort, symbole visible de blessures profondes et certitude d'une solitude non désirée, selon le psychologue que mes parents me forçaient à aller consulter.
C'est vrai que je ne pouvais pas me targuer de crouler sous l'amitié : les mecs m'attribuaient un genre trop différent pour intégrer leur cercle et visiblement j'étais synonyme de l'union de la terreur et du cauchemar pour les nanas. Donc, aucun engagement de quelque nature que ce soit ne semblait envisageable. Et quand bien même s'eut été possible, je ne voulais pas risquer une trahison future.
Je scrutais mes parents, qui apparemment s'étaient plongés dans l'eugénisme une fois qu'ils s'étaient rendu compte qu'ils ne seraient désormais plus deux. Comme ils devaient être déçus les pauvres ! Cela dit, je n'étais que le reflet de leur jeunesse passée : ils devaient donc autant me comprendre que moi leur devoir le respect. Je n'étais pas un animal malfaisant, tous crocs dehors après tout ; j'étais leur fils, avec ses qualités, ses défauts, ses abus et qui, un jour comme eux, obtiendrait la rédemption pour enfin mener une vie rangée et fonder à son tour une famille
15 janvier
Commémoration, duodénum, druide, effarouché, extra-conjugal, financement, gérontologie, gisement, glaçage, sac à main, bouffer, hideuse, insidieusement, salissure, Saint-Esprit, sénat, sémitique, vouer, vrille, vulgarisation, week-end, zigouiller, zoo.
Un druide, éminent membre du sénat et grand spécialiste des langues sémitiques avait décidé, du jour au lendemain de tout plaquer et de vouer sa vie aux vieillards. Un choix de carrière tardive qui lui apparaissait comme une évidence depuis qu'il avait vu s'éteindre devant lui des compatriotes, certains morts d'une infection qui s'était insidieusement installée dans leur duodénum, d'autres d'une variante hideuse de la lèpre qui leur avait bouffé tout le visage, d'autres encore qui s'étaient fait zigouiller par des bestioles qui couraient plus vite qu'eux. n vieil illuminéétanat etlantesrationsillage gauloisIl se voyait bien inaugurer le premier service de gérontologie du village gaulois pour éviter à l'avenir de participer aux commémorations narrant les exploits des futurs décédés.
Notre druide était aussi un auteur avant-gardiste. Il avait eu recours à la vulgarisation pour écrire son almanach prônant les vertus médicinales de plantes aux noms latins. Il lui était primordial que ses connaissances soient comprises par le commun des mortels.
Mais revenons-en à nos moutons. Ou plutôt à nos sangliers ! Il lui fallait un plan de financement s'il voulait un jour voir naître son service. À moins d'avoir une chance de cocu et de tomber sur un gisement d'or. Le problème étant qu'il n'avait pas de femme et donc qu'elle ne pouvait pas avoir de relation extra-conjugale. Eh merde ! Aucune salissure dans le contrat. Pour une fois qu'un homme aurait bien voulu ! Alors, il ne lui restait plus qu'à trouver un jeune homme qui ne soit pas effarouché par le travail ou bien implorer le Saint-Esprit pour faire aboutir son projet.
« Cette histoire de druide part en vrille mon chéri, c'est'e historireutir son projet... Staintleonnaissancessationtrop drôle ! » dit maman. « Bon, tu sais quoi ? Le gâteau est presque cuit, manque plus que le glaçage que je ferai demain. Va mettre ton manteau, je prends mon sac à main et on va prendre l'air dans cinq minutes. C'est le week-end, faut en profiter ! Je t'emmène promener au zoo. Et demain, nous irons faire une balade en forêt. Sait-on jamais si on y verra des sangliers qui parlent avec un druide ! »