Un jour où le temps était gris mais que le soleil passait quand même entre les nuages, un gigantesque barbu, aussi grand qu'une horloge comtoise, mettait de la crème solaire à sa petite fille. Elle était allongée sur une carpette en paille tressée, sous un parasol car elle était rouge comme une pivoine. Son coup de soleil lui faisait mal, mais heureusement, sur un barème de zéro à dix, la douleur était à trois. C'était impressionnant mais pas grave.
Son père l'éventait avec un morceau de carton trouvé sur le sable. Sûrement quelqu'un qui l'avait rapporté du marché car il y avait des images de radis dessus. Un éventail rustique qui était très efficace. La gamine s'était amusée tout l'après-midi à jacqueter comme une pie, faire des farandoles avec ses amis et jouer au mime. Ses copains devaient trouver qu'un moustique la piquait. C'était pas facile !
Mais ce qu'elle aimait par-dessus tout, c'étaient ces moments de partage avec son papa qu'elle ne voyait que rapidement le soir à cause de son métier. Il travaillait aux pompes funèbres, accompagnant les décédés qui allaient désormais manger les pissenlits par la racine. Et en parallèle, allait faire des haltères à la salle de sport trois soirs par semaine.
Le téléphone portable sonna. Maman nous disait de rentrer dîner. Je demandais ce qu'il y avait à manger : encore de la soupe ! Soi-disant c'était pour me faire grandir, mais moi je me serai bien contentée du marchepied pour me grandir...
Mon père rassembla les affaires de plage et me lança : « Hey, petit singe, oublie pas ta paire de tongs » !
4 janvier
Sortie, montagne, évasion, cime, sentier, rosée, froid, soleil, chaleur, attitude, repos, pique-nique, vin, saucisson, sieste, tendresse, seul, abandon, sourire, plaisir, retour, routine, déprime, espoir, prochaine
J'en avais marre d'être seul, de toujours céder à la déprime, me conforter dans l'idée que je n'avais plus aucun espoir d'un jour retrouver un quelconque plaisir avec une femme. Et ça depuis l'abandon dont j'avais fait l'objet un jour de chaleur intense où je l'avais attendue des heures durant, en plein soleil, assis sur le bord de la fontaine du village, guettant son sourire qui ne devait jamais venir.
Je manquais cruellement de tendresse et même mon attitude avec mes amis les plus proches s'en ressentait : j'étais tendu. Je ne connaissais que la routine du lever tôt, où la rosée recouvre encore l'herbe grasse, pour aller bosser et le retour parfois tardif se faisait régulièrement dans le froid. Faut dire aussi que c'était une situation des plus normales, puisque j'habitais en montagne, à la lisière des cimes enneigées.
J'étais fatigué, le repos me faisait défaut car je cogitais au lieu de me laisser couler vers une sieste réparatrice quand j'en avais l'occasion. Je pensais à mon ex et me disais « Bah, la prochaine sera peut-être mieux ». Et puis un week-end que j'étais de sortie avec mes potes, faire quelques descentes vivifiantes à ski, j'ai fait la connaissance d'une charmante personne qui logeait dans un chalet en contre-bas, près d'un sentier. Nous nous sommes plu instantanément et avons convenu de nous revoir le week-end d'après.
La semaine m'a paru dix ans, tellement j'étais avide de la revoir. Nous avons fait un pique-nique au bord d'un lac, elle avait apporté du vin et moi un saucisson fait maison et nous avons parlé longuement de nos projets respectifs. Visiblement, nous étions faits pour nous entendre car nous avions énormément de points communs ; dont un essentiel qui à deux prenait tout son intérêt : le besoin d'évasion.
5 janvier
Troglodyte, cactus, fractale, spatule, requin, mulot, hyperbole, limace, cosmos, électron, canapé, tabac, slip, télé, omelette, symptôme, réglisse, clé, grand-mère, oursin, parapluie, béton, flan, phacochère, éclipse
J'avais juste l'impression d'avoir des oursins dans le slip ce matin. Mes testicules étaient gonflés, violacés presque couleur réglisse, avec des picots partout. Je me demandais comment j'avais attrapé çà : était-ce à cause de les tripoter tout le temps devant la télé, affalé sur le canapé comme une limace en chiquant mon tabac, ou bien et là ce serait plus grave, avais-je eu une réaction de folie aux salmonelles présentes dans mon omelette d'hier soir ? Allez savoir...
Toujours est-il que les symptômes n'étaient pas beaux à voir et je ne détenais pas la clé miraculeuse qui me sauverait de cet état plus que gênant. J'aurais bien été voir mon médecin, mais c'était une femme, j'avais quelque appréhension même si elle avait dû en voir de toutes les couleurs. Alors, j'ai allumé mon ordi qui datait de la guerre de 14/18 et cherché des remèdes de grand-mère. Sait-on jamais si je pouvais me débrouiller seul et ne pas avoir à user d'hyperbole quand j'aurai la secrétaire médicale au téléphone. Je me voyais très mal lui expliquer que mes coucougnettes ressemblaient à des boules de fléaux d'armes !
J'ai écumé la toile tel un requin le fond des océans pour trouver la manne providentielle, mais rien. Par contre, je suis tombé sur des images de cactus qui me rappelaient mon état, des photos de fractales qui formaient des piques acérées, ainsi que celles du VIH. On a coutume de dire que lorsque l'on se casse un bras, on voit plein de gens plâtrés, et bien moi c'était pareil. Je me demandais jusqu'à quel point si je regardais attentivement le cosmos, je n'y verrai pas des étoiles avec des pointes !
Et ainsi je zappais, passant d'une page à l'autre, une image de parapluie précédant le schéma explicatif du mode de fonctionnement des électrons, jusqu'à atterrir subrepticement sur un site de poupées de chair, aux corps sculptés dans l'airain. À côté de ceux de ces métisses aux muscles de béton, mon ventre ressemblait à du flan.
Je n'étais pas un beau mec, le genre dont les nanas rêvent seules au fond de leurs draps. Je n'avais pas non plus un faciès de phacochère ni une dentition de mulot, Dieu merci. Mais j'avais quelques problèmes avec la gent féminine. Je n'attirais personne, j'étais le type passe-partout, qu'on remarque pas, le truc qui se pose là et qui en devient invisible d'immobilité. J'aurais voulu être un cador, le gars qui décoiffe tout sur son passage, celui que les femmes s'arrachent. J'aurais voulu être la spatule du désir qui étale la mousse sur la génoise de l'amour. J'aurais adoré.
Mais au lieu de ça, j'étais terré dans mon appartement, en mode troglodyte, à me lorgner les parties dans le miroir de la salle de bains et c'était franchement moche. Il fallait vraiment que j'en passe par l'auscultation, ça ne pouvait plus durer. Et puis, je disais tout à l'heure que ma doctoresse avait tout vu, peut-être pas après tout. Et si je m'éclatais à lui faire le coup de l'éclipse de Lune au moment de me défroquer hein ?