Je m'appelle Bernard et on me surnomme Bernard-l'hermite. Sûrement parce que je suis le genre d'homme qui vit replié sur lui-même, bien que je ne sois ni triste ni pauvre. Ni que j'ai loupé ma vie, ni que je me cache comme un proscrit à cause de quelque histoire salace, ou que j'habite dans un endroit poussiéreux. Au contraire ! J'aime chanter, prendre ma plume pour écrire des poèmes et des citations au fil de mon imagination. J'en ai même fait un carnet.
Je ne suis pas non plus du style à me morfondre dans mon coin. Je suis sobre et seul la majeure partie de mon temps par choix. Mais il m'arrive d'apprécier la visite de mes congénères et de boire un coup en bonne compagnie. Ma sœur, une rousse incendiaire, qui est l'antithèse de moi, me traite de « sorte de mammifère bizarre ». Elle dit que c'est étrange de vivre reclus dans un terrain rocailleux, à la manière des troglodytes, avec seule lumière celle qui rentre par l'ouverture de la grotte.
Elle exagère ! Je dors quand même sur un tapis épais et moelleux, j'ai trouvé un grand carré de laine bien chaud lors d'une de mes balades, certainement oublié là par un berger ; quelques fois, ma sœur m'apporte des rôtis, que je fais réchauffer sur des feux improvisés et j'écris assis sur un rocher sous un gros arbre qui me protège du soleil. J'ai une bonne constitution, je suis fort, et même s'il m'arrive de buter contre l'adversité, je m'en sors toujours. J'ai un emploi du temps bien rempli entre me trouver à manger, écrire, lézarder et prier parfois.
Je suis peut-être différent des autres, un marginal comme ils appellent, mais moi au moins, je vis sans tension. Une vie parfaite pour moi. Une vie que j'ai choisie.
7 janvier
Écharpe, reproduire, personnel, hurler, pliure, panda, punition, polystyrène, salopette, mimosa, branche, canard, logis, enveloppe, ration, pourri, marmotte, cérémonie, rustique, chausson, parcimonie, extincteur, chantier, pelouse, callosité
Hurler pendant une cérémonie funèbre, je savais déjà pas si c'était autorisé mais le faire à un mariage, alors là... Et pourtant c'est ce qui s'est passé. Mais on pourra me pardonner sans doute car à l'époque j'étais dans les bras de ma grand-mère, une femme d'aspect assez rustique, qui pour l'évènement portait une écharpe très colorée sur une robe mimosa.
Quant à moi, j'étais en grande tenue, dans une ravissante salopette avec des canards et une chemisette décorée de petites branches. J'avais des supers petits chaussons aux pieds et mon panda en peluche dans les mains. J'aurais dû nager dans le bonheur mais il se trouve que pendant que mes parents échangeaient leurs anneaux, je faisais un truc très personnel dans ma couche et ça irritait les pliures de mes petites fesses. Alors, vous pensez bien que j'étais pas aux anges !
Et puis, j'avais faim ! C'était quoi ce chantier en vrai ? Aucun biberon à l'horizon, pas l'ombre d'une ration de petit pot et ma couche sale au derrière. Juste la main de grand-mère, pleine de callosités, qui me caressait la tête. J'étais en mode punition ou quoi ?
Alors, je criais de plus belle, espérant que ça ferait activer les choses. Sait-on jamais si mes parents décidaient de quitter la fête et de rentrer dans notre chaleureux logis ! Eh beh non ! J'avais beau m'appliquer à reproduire à l'infini le même pleur strident, et Dieu sait que je le faisais pas avec parcimonie, mais l'effet fut nul. Tout le monde riait, dansait sur la pelouse et mangeait des petits fours. J'aurais aimé qu'ils aient un goût de polystyrène, comme çà on serait partis.
Eh beh pas de chance, encore une fois ! Qu'est-ce que je pouvais bien inventer pour qu'on m'emmène loin de ce coin pourri et sans intérêt pour moi ? Et puis, ce fut le début du miracle : Maman me voyant tout rouge d'avoir tant pleuré m'a pris dans ses bras, a senti ma bonne odeur et on s'est éclipsés tous les deux pour un change en bonne et due forme.
Quand elle a ouvert ma couche, elle a compris pourquoi j'étais dans cet état : des fesses rouge vif ! Même un extincteur n'aurait pas pu éteindre un tel feu ! Et pendant que Maman me nettoyait en me couvrant de bisous, l'enveloppe du mariage se remplissait. Ils pourraient se faire une belle lune de miel ! Mais pour l'heure, fallait penser à moi, me donner mon repas et ensuite j'irai dormir comme une marmotte !
8 janvier
Bizarre, sceptique, heureux, boisson, usure, pachyderme, variable, dynamique, ballon, ovation, meurtre, vénérer, hanté, magicien, paperasse, langoureux, hideux, usurpateur, transmettre, concrétiser, oublier, ternir, déguster, mitrailleuse, clown
Depuis quelque temps, moi qui d'ordinaire étais dynamique et créateur, j'étais bizarre ; j'étais hanté par des questions existentielles, du moins pour moi. Par exemple, moi qui avais une peur panique des obèses, je me demandais comment les pachydermes pouvaient être heureux avec leur cinq tonnes à trimballer. Ou bien, j'étais sceptique à l'idée que les couples résistent à l'usure de la vie à deux quand la boisson vient ternir les relations. Ou encore, comment un usurpateur pouvait impunément commettre ses méfaits et concrétiser ses funestes projets sans être inquiété. Ça me taraudait bien que je n'y puisse rien faire.
J'aurais aimé être magicien pour transformer la réalité en une vision plus belle. Çà devait être merveilleux que de pouvoir, d'un coup de baguette magique, faire oublier le temps variable en faisant apparaître un soleil radieux, changer un meurtre hideux en une fête fantastique menée tambour battant par des clowns devant un parterre d'enfants tenant des ballons multicolores, bannir les mots cruels sortis à l'encontre de l'être aimé et les muter en papillons pour finir en baiser langoureux.
Mais la vie n'est malheureusement pas faite de citrouilles qui se métamorphosent en carrosses : elle est juste horriblement courte ; alors à mon sens, il fallait la déguster et transmettre des valeurs positives, faire une ovation à l'amour plutôt que de vénérer les guerres et leurs mitrailleuses. Il fallait abandonner toute paperasse inutile et libérer son esprit vers des cieux plus jouissifs, profiter de l'existence, et apprécier l'instant présent
Carpe Diem.