« Un malentendu ? » Le rire d'Adèle était sec et cassant. « Appellerais-tu ça un malentendu s'ils te jetaient des pierres à la tête, Chloé ? »
Le visage de Chloé rougit. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais Cédric la coupa.
« Ça suffit ! » aboya-t-il à la foule. « Tout le monde, dispersez-vous ! Retournez au travail ! »
Il essaya de reprendre le contrôle de la situation, mais Adèle n'avait pas fini.
« Non, » dit-elle, sa voix tranchant la sienne. « Ils ne vont nulle part tant que la police n'est pas arrivée. »
Éric hocha la tête d'un air sombre et sortit son téléphone.
Adèle, s'appuyant sur Éric pour se soutenir, s'éloigna de la scène, laissant Cédric et Chloé faire face aux conséquences de la foule qu'ils avaient créée.
À la petite infirmerie de l'entreprise, une infirmière nettoya et pansa la coupure sur son front. Éric était assis à côté d'elle, son expression sinistre.
« Cet homme est un imbécile, » dit Éric en secouant la tête. « Je ne comprends pas pourquoi tu ne dis pas simplement la vérité à tout le monde. Que tu étais sa femme avant. »
Adèle soupira. « À quoi bon, Éric ? Mon certificat de mariage est un faux. Les registres de l'état civil ont été modifiés. Ce serait ma parole contre la leur. Ils me feraient juste passer pour une ex-collègue encore plus folle et obsessionnelle. »
Elle regarda par la fenêtre. « Il n'est plus mon mari. Ça n'a plus d'importance. »
Éric soupira, reconnaissant la finalité dans son ton. « Eh bien, votre nouvelle affectation est prête. Le transport que j'ai organisé sera là dans une heure. Il vous emmènera directement au site de Chimère. Vos affaires ont déjà été emballées et envoyées depuis votre maison. »
« Merci, Éric, » dit-elle, une vague de gratitude l'envahissant. « Pour tout. »
Pour la première fois depuis des mois, elle sentit une lueur d'espoir. Elle s'échappait.
Plus tard, alors qu'elle attendait à l'infirmerie, Cédric entra seul. Il avait l'air fatigué et vaincu.
« Comment va ta tête ? » demanda-t-il, la voix basse.
« Ça va, » dit-elle sans le regarder. Sa fausse sollicitude lui donnait la nausée.
« Adèle, je suis désolé pour ce qui s'est passé, » dit-il en s'asseyant sur la chaise à côté d'elle. « Je ne savais pas qu'ils iraient aussi loin. »
Il soupira. « Cette promotion, mon retour à Paris... c'est si important. J'ai juste besoin que tu sois patiente. Je sais que je t'ai beaucoup demandé... »
Il jouait toujours la même chanson. Demandant toujours son sacrifice, son silence.
« Chloé est désolée, aussi, » ajouta-t-il.
« Tu t'excuses en son nom ? » demanda Adèle, sa voix dangereusement douce. « En tant que son mari ? »
Il tressaillit. « Ce n'est pas ce que je voulais dire. »
« Garde ça pour toi, Cédric, » dit-elle en se levant. « J'en ai marre de tes mensonges. »
Il se leva aussi, un regard désespéré sur le visage. « Juste... juste une dernière chose. Tes carnets. Ceux avec toutes tes notes d'architecture et tes algorithmes pour le nouveau système. »
Adèle le fixa, horrifiée.
« Chloé essaie de se mettre à niveau, » expliqua-t-il, une rougeur honteuse montant à son cou. « Elle a besoin de montrer qu'elle est compétente. Si elle avait tes notes, ça l'aiderait beaucoup. Ça m'aiderait beaucoup. »
L'audace de la chose. Le culot pur et simple, parasitaire. Il avait pris sa vie, sa réputation, et maintenant il voulait prendre les fruits de son travail, son intellect même, et les donner à la femme qui l'avait remplacée.
Elle le regarda, son visage désespéré et suppliant, et une décision froide et dure se forma dans son esprit.
« Très bien, » dit-elle. « Tu peux les avoir. »
Un immense soulagement envahit son visage. « Merci, Adèle. Merci. Je passerai les prendre chez toi ce soir. »
« Non, » dit-elle. « Je les laisserai sur la table de chevet. Tu pourras les prendre demain. »
Il hocha la tête avec empressement, comme un chien à qui on promet une friandise, et s'éloigna en hâte, sans doute pour annoncer la bonne nouvelle à Chloé.
Adèle s'adossa au mur, son cœur une pierre froide et lourde.
Une heure plus tard, la voiture envoyée par Éric arriva. C'était une berline noire discrète. Elle monta sans se retourner.
Alors que la voiture s'éloignait de l'infirmerie, de l'entreprise, de la ville qui contenait tant de douleur, elle s'autorisa enfin une seule larme. Ce n'était pas une larme de tristesse. C'était une larme de libération.
Elle était libre.
Pendant ce temps, Cédric, exultant de sa victoire, se rendit à l'hôpital pour annoncer la bonne nouvelle des carnets à Chloé. Il trouva sa chambre vide.
Il se précipita au poste des infirmières. « Où est la patiente de cette chambre ? Chloé Morin ? »
« Oh, elle ? » dit l'infirmière d'un ton dédaigneux. « Elle est partie il y a des heures. Elle n'avait rien du tout. »