La promotion de Cédric reposait sur son dernier projet à elle. Il avait dirigé l'équipe, mais c'était elle l'architecte principale, celle qui résolvait les problèmes impossibles et travaillait des nuits entières. Il s'en était attribué le mérite, et elle l'avait laissé faire avec plaisir. Son succès était leur succès. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.
Elle avait refusé la direction du Projet Chimère, un contrat gouvernemental crucial, à trois reprises. Chaque fois, Éric Perrin avait personnellement tenté de la persuader. Chaque fois, elle avait dit non. Elle voulait se concentrer sur le soutien à Cédric et la préparation de leur retour à Paris.
Maintenant, cette loyauté lui semblait une blague. Le projet n'était plus une opportunité qu'elle sacrifiait ; c'était une bouée de sauvetage qu'elle attrapait à deux mains.
« Vous êtes sûre de vous, Adèle ? » La voix d'Éric Perrin était sérieuse au téléphone. « C'est un projet de haute sécurité. C'est un engagement d'un an minimum, sur site, dans un lieu isolé. »
« J'en suis sûre, » dit Adèle.
« Je suis ravi de l'entendre, » dit Éric, son ton se réchauffant. « Franchement, vous êtes la seule personne en qui j'ai confiance pour mener ce projet à bien. »
« Merci, Éric. »
« Dois-je en informer Cédric ? En tant que votre manager actuel, il devra signer votre transfert. »
Une froide détermination s'empara d'Adèle. « Non. Ne lui dites rien. C'est un transfert direct de votre part. Je veux que cela reste totalement confidentiel jusqu'à mon départ. »
Il y eut un bref silence. Éric était perspicace ; il savait que quelque chose n'allait pas. « Compris. Le transport viendra vous chercher demain matin. Soyez prête. »
« Je le serai. »
Elle raccrocha et sortit du bureau vide de Cédric. La décision lui sembla être la première bouffée d'air pur qu'elle prenait de la journée.
Elle retourna à son propre espace de travail pour rassembler quelques affaires personnelles. En tournant au coin du couloir, elle vit une petite foule rassemblée près du service de Cédric.
Au centre se tenait Chloé Morin. Elle tenait une boîte d'effets personnels, un sourire éclatant et doux sur le visage tandis que Cédric la présentait à l'équipe.
« Tout le monde, voici ma merveilleuse épouse, Chloé. Elle nous rejoindra en tant que ma nouvelle assistante administrative. »
Les collègues applaudirent et offrirent leurs félicitations. L'air était lourd de leurs louanges obséquieuses.
Adèle se figea. Elle se souvint de toutes les fois où Cédric avait insisté pour qu'ils gardent leur propre mariage secret.
« C'est mieux pour nos carrières, Adèle, » avait-il dit. « Nous ne voulons pas que les gens pensent que je te favorise. Laissons notre travail parler de lui-même. »
Elle avait été d'accord. Elle avait cru qu'il s'agissait d'intégrité professionnelle. Elle avait pensé que leur amour était une chose privée et précieuse qui n'avait pas besoin de validation publique.
Maintenant, en le voyant parader avec Chloé comme un trophée, elle comprit la vraie raison. Il ne protégeait pas sa carrière. Il gardait ses options ouvertes.
La douleur était un acide amer dans son estomac. Tous ces anniversaires discrets, les vacances passées juste tous les deux parce qu'il ne voulait pas « compliquer les choses avec le bureau ». Tout n'était qu'un mensonge.
Les yeux de Chloé croisèrent les siens à travers la pièce. Un lent sourire triomphant s'étala sur son visage parfaitement maquillé. C'était un regard de victoire absolue.
Quelque chose se brisa en Adèle. L'humiliation, la trahison, l'injustice pure et simple de tout cela la firent déborder. Elle marcha droit vers eux.
Les bavardages s'éteignirent à son approche.
« Cédric, » dit Adèle, sa voix d'un calme menaçant.
Il se tourna, son sourire vacillant en voyant son expression. « Adèle. Qu'est-ce qu'il y a ? »
Elle l'ignora et regarda directement Chloé. « Qui êtes-vous ? »
Les collègues échangèrent des regards confus. La façade douce de Chloé se crispa. Elle s'agrippa au bras de Cédric.
« Je... je suis Chloé, » balbutia-t-elle, les yeux grands ouverts d'une innocence feinte. « La femme de Cédric. »
« C'est drôle, » dit Adèle, sa voix s'élevant. « Parce que je suis la femme de Cédric. »
Un hoquet collectif parcourut le bureau. Les gens la dévisageaient, leurs yeux allant de l'une à l'autre.
Les yeux de Chloé s'emplirent de larmes. Elle enfouit son visage dans l'épaule de Cédric. « Cédric, de quoi parle-t-elle ? Elle me fait peur. »
« Adèle, arrête ça, » siffla Cédric, son visage un masque de fureur. « Tu fais une scène. »
« C'est une menteuse ! » La voix d'Adèle tremblait de rage. « Nous sommes mariés ! Ce sont vous deux les adultères ! »
« C'est une accusation grave, Adèle, » dit l'un des cadres supérieurs en s'avançant. « Avez-vous des preuves ? »
Des preuves. Le mot flottait dans l'air. Le faux certificat dans son coffre. Les registres officiels qui montraient maintenant Chloé comme son épouse légale. Elle n'avait rien.
« Il m'a piégée ! » s'écria-t-elle, le désespoir s'insinuant dans sa voix. « Il m'a fait signer des papiers de divorce ! »
La foule la regardait avec pitié et suspicion. Elle avait l'air déséquilibrée. Une femme bafouée.
Chloé sanglota plus fort. « Je ne comprends pas. Cédric, pourquoi dit-elle ces choses horribles ? »
À ce moment précis, Cédric apparut à l'entrée du service. Il embrassa la scène du regard, ses yeux se posant sur Adèle.
Chloé le vit et son jeu d'actrice s'intensifia. Elle fit un pas vers Adèle, la main tendue comme pour la raisonner.
« S'il vous plaît, calmez-vous, » murmura Chloé.
Puis, elle attrapa soudainement la main d'Adèle, sa prise étonnamment forte. Adèle essaya instinctivement de se dégager.
« Lâchez-moi ! »
« Tu me fais mal, » siffla Chloé, sa voix un venin que seule Adèle pouvait entendre. « Tu vas le regretter. »
Avec un cri théâtral, Chloé trébucha en arrière et se jeta au sol, comme si Adèle l'avait violemment poussée.
« Chloé ! » hurla Cédric.
Il se précipita devant Adèle, sans même la regarder, et s'agenouilla à côté de sa nouvelle femme. Il la berça dans ses bras, levant vers Adèle un regard d'une haine si pure et si froide qu'il lui coupa le souffle.
Pour tout le monde dans la pièce, c'était clair. Adèle Fournier était la méchante.