Chapitre 3 Les murs retiennent les sons

Le matin était gris, mais doux. Un de ces ciels cotonneux où le temps semble suspendu.

Inès ouvrit les volets de sa chambre avec lenteur, comme si la lumière pouvait la heurter. Le jardin en bas était encore humide de rosée. Un figuier en bordure balançait ses branches comme s'il saluait quelqu'un. Peut-être elle.

Elle s'habilla sans bruit, choisit un pull trop large, des chaussettes dépareillées, et attacha ses cheveux sans y penser. Ce n'était pas un jour pour séduire. C'était un jour pour respirer.

Dans la cuisine, le silence régnait.

Pas de radio, pas de tic-tac, juste la machine à café qui clignotait en veille.

Elle y trouva un bol en céramique ébréchée, le remplit de céréales sans lait, et s'installa à la table.

Adam n'était pas là.

Ou plus là.

Elle vit son carnet de croquis fermé, posé à l'exacte diagonale du rebord.

Un crayon graphite taillé à la perfection y reposait comme une signature.

Tout chez lui semblait ordonné jusqu'à la respiration.

Elle pensa à ce qu'il avait dit la veille :

« Sois juste discrète. »

Elle l'avait été. Et elle le serait encore.

Elle passa la matinée à ranger sa chambre.

Plier, classer, suspendre.

Elle installa quelques photos, mais pas trop. Juste une d'elle et son père. Il souriait, stéthoscope autour du cou, les yeux rieurs.

Elle ne l'avait jamais entendu jouer d'un instrument.

Mais il avait aimé la façon dont elle, elle les faisait vibrer.

Vers midi, elle poussa timidement la porte du salon partagé.

Personne.

Un vieux canapé, une table basse griffée, des livres épars sur les étagères : architecture, romans, quelques BD fatiguées.

Elle s'approcha d'une pile et trouva, entre deux revues de design, un livre qu'elle connaissait :

"Le silence est un cri qui ne fait pas peur."

Elle sourit. Elle avait étudié ce roman à l'université.

L'histoire d'une femme qui ne parlait plus mais écrivait des lettres à ses voisins sans jamais les signer.

Elle ouvrit le livre, tomba sur une annotation manuscrite :

"Le bruit, c'est souvent les gens qui ont peur de se taire."

L'écriture était serrée, anguleuse. D'homme. D'Adam, probablement.

Elle referma doucement le livre. Elle aimait ce genre de détails. Ces choses minuscules qui disaient plus que les paroles.

En début d'après-midi, elle sortit dans le jardin.

Le sol était mouillé, mais elle n'en avait rien à faire. Elle s'assit sur les marches, face aux buissons, et ferma les yeux.

Elle écouta.

Le bruissement d'un oiseau.

Le froissement d'une feuille.

Le craquement d'une porte, quelque part dans la maison.

Mais pas la musique. Pas encore.

Son clavier dormait toujours dans un coin de la chambre.

Elle le voyait comme une promesse fragile.

Comme une main qu'on hésite à tendre.

Demain, peut-être

            
            

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