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La maison vivait à son rythme.
Celui d'Adam. Lent. Calculé. Parfaitement organisé.
Chaque matin, il se levait à six heures trente.
Il préparait son café noir sans sucre, toujours dans la même tasse blanche ébréchée, et s'asseyait devant la baie vitrée du salon.
Il restait là dix minutes. Pas plus. À regarder le figuier agité par le vent.
Le seul mouvement qu'il tolérait dans ses journées.
Adam travaillait depuis chez lui la plupart du temps.
Cabinet d'architecture reconnu. Mandats exigeants. Plans précis.
Ses croquis ne tremblaient jamais. Son encre ne coulait pas.
Mais dans ses silences, il y avait du bruit.
Du bruit qu'il refusait d'entendre.
Sur l'étagère du couloir, il y avait autrefois une photographie.
Une femme aux yeux rieurs, aux cheveux tirés en chignon désordonné.
Un piano droit derrière elle. Un rire figé dans l'image.
Il l'avait rangée dans une boîte.
Avec d'autres choses.
Des partitions pliées. Des bracelets en perles de bois. Une lettre jamais envoyée.
Quand la propriétaire l'avait appelé pour lui proposer une nouvelle colocataire, il avait hésité. Longtemps.
- Elle est calme, je vous le garantis. Elle sort d'un long chapitre . elle cherche juste un endroit tranquille pour recommencer.
- Pas d'artistes.
- Je ne crois pas qu'elle joue d'un instrument . Mais elle est discrète. Elle m'a semblé douce. Silencieuse, même.
Le mot avait résonné. Silencieuse.
Il avait accepté. À contrecœur.
La veille de son arrivée, il avait nettoyé toute la maison.
Pas pour elle.
Pour lui.
Pour que les choses restent en place, même avec une présence en plus.
Il avait même remis un verrou sur la porte du salon de musique - une pièce qu'il gardait fermée, poussiéreuse, mais jamais vide.
Elle n'avait pas été ouverte depuis trois ans.
Pas depuis l'accident.
Il n'avait pas su quoi penser quand elle était arrivée.
Elle n'avait pas parlé beaucoup.
Elle souriait, mais ses gestes étaient lents, presque prudents.
Comme si elle craignait de déranger l'air autour d'elle.
Adam l'avait observée sans en avoir l'air.
Sa valise légère. Son pull trop grand. Sa façon de marcher, encore un peu bancale.
Et ses yeux - pas tristes, mais marqués.
Il avait reconnu ça.
Ce n'était pas de la douleur. C'était le souvenir de la douleur.
Le soir de son premier jour, il l'avait entendue rire au téléphone dans sa chambre.
Un rire bref, presque timide.
Il avait fermé la porte de son bureau.
Il avait repris son crayon.
Mais sa main tremblait.
Et puis ce matin-là, la cuisine.
Elle était là.
Simple. Naturelle.
Une tasse entre les mains, les cheveux tirés en chignon. Elle ne faisait rien d'extraordinaire.
Elle existait.
Et ça l'agaçait.
Non, elle ne l'agaçait pas. Ce qu'il ressentait, oui.
Il avait essayé d'être froid. Bref. Poli mais lointain.
Mais elle avait parlé.
"Je suis assez calme aussi, je crois."
Ce n'était rien. Une phrase.
Et pourtant... il l'avait regardée partir.
Il avait regardé la chaise qu'elle venait de quitter.
Longtemps.
Il se détestait un peu de l'avoir trouvée jolie.
Et encore plus de se demander si elle jouait.
De la musique.
Il secoua la tête, repoussa les pensées.
Elle n'était là que pour quelques mois.
Rien ne changerait.
Il ne laisserait rien changer.
Mais il oubliait que le silence, parfois, n'est pas une absence.
C'est une attente.
Et dans cette maison, quelque chose - ou quelqu'un - attendait