Chapitre 10 Les choses qu'on gardent vivantes

Le lendemain, Inès resta longtemps allongée sans bouger.

Le ciel était bas, blanc.

Le genre de lumière qui semble tout éteindre sans vraiment assombrir.

Elle n'avait pas pleuré.

Mais elle n'avait pas bien dormi non plus.

Mora était repartie sans faire de bruit, comme une habitude.

Elle avait laissé une écharpe sur le canapé. Volontairement ou pas, Inès ne le saurait jamais.

Mais elle sourit en l'enroulant autour de son cou.

Ce matin-là, rien ne pesait plus que d'habitude.

Mais quelque chose avait changé.

Et elle ne s'en rendit compte qu'en ouvrant la porte de la cuisine.

Sur la table, il y avait la boîte.

Chocolat-noisette.

Elle resta debout un moment, à la regarder.

Pas de mot. Pas de mot écrit.

Mais le geste parlait assez.

Elle sourit. Juste un peu.

Puis elle s'assit. Ouvrit la boîte. En prit un.

Et dans ce silence soudain plus léger, un souvenir remonta. Brut. Sans prévenir.

Elle avait quatorze ans.

Son père conduisait. Elle chantait.

- Inès, ce n'est pas une scène de comédie musicale ici ! Riait-il. J'essaie de garder la voiture droite.

- Mais Papa, tu dis toujours que je devrais suivre mes envies. Alors voilà. J'ai envie de te casser les oreilles !

- Tu y arrives très bien.

Elle avait ri si fort ce jour-là.

Il l'avait emmenée à la mer, un matin de printemps, sur un coup de tête.

Ils avaient mangé des sandwichs trop secs et des glaces qui fondaient trop vite.

Il avait pris une photo d'elle, les cheveux emmêlés par le vent, la bouche tachée de chocolat.

Il avait dit :

"Garde cette journée en tête. Un jour, tu en auras besoin."

Elle ne comprenait pas ce qu'il voulait dire.

Mais maintenant, elle savait.

Elle ferma les yeux.

L'image était là, entière.

Et pour la première fois depuis longtemps, ce n'était pas la douleur de la perte qui s'imposait.

Mais la joie de ce moment.

La chance de l'avoir vécu.

Elle prit un deuxième chocolat.

Puis un troisième.

Et pensa :

Peut-être qu'on guérit aussi par les autres. Même ceux qui n'ont pas toutes les clés.

L'après-midi fut calme.

Elle sortit marcher un peu. Croisa la voisine du bout de la rue.

Maurice la suivit comme une ombre, miaulant à chaque pas.

Quand elle rentra, Adam n'était pas là.

Mais un mug vide traînait sur la table.

Elle le prit, le lava, le reposa.

Juste ça.

Des gestes simples.

Comme on commence à construire quelque chose.

Pas un pont.

Pas encore.

Mais un seuil.

            
            

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