Chapitre 7 Ce que le silence couvre

La pluie avait commencé à tomber à la tombée du jour. Un filet régulier, presque doux, lavant les vitres d'une maison engourdie par l'automne.

Inès avait passé la journée à trier ses affaires, sans vraiment les ranger.

Elle n'avait pas trouvé sa place dans les étagères.

Et elle s'était demandé, à voix basse, si elle en trouverait une ici.

Maurice, le chat de la voisine, était venu s'installer sur ses genoux.

Il dormait maintenant, recroquevillé dans un coin du canapé, imperturbable.

Elle, elle ne dormait pas.

Elle n'arrivait même pas à lire.

Il y avait ce silence, encore, trop présent. Pas celui du calme. Celui de l'absence.

Et dans ses doigts, une envie. Une pulsation.

Elle hésita longtemps.

Puis elle ouvrit la boîte.

Pas celle du salon de musique, toujours fermée. Pas celle des souvenirs.

Non, juste une boîte beige, en carton, un peu abîmée.

Dedans : un vieux clavier électronique, aux touches jaunies par le temps.

Elle le posa à même le sol, entre les piles de livres et une lampe basse.

Elle ne le brancha pas.

Elle appuya. Doucement. Juste pour sentir la pression sous ses doigts.

Et puis elle joua.

Pas un morceau. Pas une mélodie.

Des fragments. Des gestes mémorisés. Des notes qu'elle ne voulait pas entendre.

Mais elle jouait. En silence.

Et pour la première fois depuis l'accident, son corps ne tremblait pas.

Elle ne l'avait pas vu passer dans le couloir.

Adam s'était levé pour aller chercher un document.

Il avait entendu... il ne savait pas quoi.

Ce n'était pas du son. C'était le mouvement d'un corps qui se souvient.

Il s'était figé devant la porte entrebâillée.

Et il l'avait vue.

Assise à même le sol. Tête penchée. Doigts sur le clavier. Les yeux fermés.

Il n'avait pas parlé. Pas encore.

Mais son regard s'était tendu.

Sa gorge s'était nouée.

Et quelque chose, en lui, s'était brisé.

- Je t'avais dit que je voulais du calme ici.

Sa voix. Froide. Tranchante.

Inès sursauta.

Elle se retourna brusquement, déséquilibrée, surprise.

Elle tenta de répondre.

- Je... je n'ai même pas allumé le clavier, je-

- Ce n'est pas une question de bruit, coupa-t-il.

Il entra dans la pièce, lentement, comme un orage qui s'invite dans un ciel bleu.

- Ce n'est pas... C'est ce que tu fais.

Elle cligna des yeux.

- Je ne comprends pas.

- Je ne t'ai pas demandé de jouer ici. Personne ne t'a demandé ça.

Le ton monta, mais sa voix restait calme. Trop calme.

Comme une main qui serre trop fort.

Inès se leva, lentement, les jambes encore engourdies.

- J'ai pas crié, j'ai pas chanté, j'ai même pas branché l'instrument... Tu veux que je fasse quoi, Adam ? Que je cesse d'exister ?

Il la fixa. Un long moment.

Puis détourna les yeux.

- Ce serait plus simple, oui.

Le silence tomba.

Plus violent que les mots.

Elle ramassa le clavier. Referma la boîte.

Pas en colère. Juste... vidée.

- Je suis pas venue pour déranger, murmura-t-elle. Je suis venue pour vivre . Et si ça, ça te dérange... alors peut-être que t'es pas prêt non plus.

Elle sortit.

La pluie tombait encore.

Et Adam, seul dans le salon, resta debout longtemps.

Il ne bougea que quand il entendit la porte de sa chambre se fermer .

            
            

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