Chapitre 4 Les choses qu'on n'attendait plus

Le ciel était bas, mais clair.

Inès enfila son manteau gris, ajusta son écharpe, et sortit sans faire de bruit.

Elle n'avait rien prévu. Juste l'envie de marcher. De poser ses pas quelque part ailleurs.

Ses pieds la portèrent jusqu'à la petite ville en contrebas.

Une rue piétonne, des pavés inégaux, des devantures familières. Un fleuriste qui ouvrait à peine, une boulangerie qui sentait bon la pâte levée.

Elle acheta un croissant tiède, pas par faim mais pour le geste.

Et elle marcha encore.

Son corps lui rappelait parfois l'accident, sans brutalité, mais avec une fatigue sourde.

Un léger tiraillement dans le genou gauche. Une raideur à l'épaule droite.

Comme si elle portait encore en elle la mémoire de l'impact.

Elle s'arrêta dans un petit square, vide à cette heure-là.

Un banc, une barrière verte écaillée, et un vieux toboggan en métal.

Elle s'assit.

Il y avait une école de musique à deux rues d'ici. Elle le savait.

Elle l'avait fréquentée, autrefois, avant.

Avant l'année blanche, avant les os brisés, avant que le silence ne prenne la place du piano.

Et puis, ce fut la voix.

« Mademoiselle Béranger ? »

Elle se retourna, surprise. Un homme d'une cinquantaine d'années, lunettes rondes, veste en velours.

Monsieur Delmas. Son ancien professeur de solfège.

- Vous... vous êtes revenue ?

- Je... j'habite dans le coin, bredouilla-t-elle.

Il lui sourit avec douceur, mais elle sentit tout de suite le poids de ses souvenirs à lui.

L'annonce de l'accident. Les mois sans nouvelles.

Et puis le silence.

- On vous croyait... enfin, j'ai cru que vous ne rejoueriez jamais.

Elle haussa les épaules.

- J'ai cru ça aussi.

Ils parlèrent un peu, brièvement. Des choses simples.

Puis il ajouta, avant de partir :

- Vous étiez une musicienne magnifique, Inès. Ça ne s'efface pas.

Elle ne sut quoi répondre.

Elle regarda ses mains, posées sur ses genoux.

Elle n'avait pas joué depuis des mois. Des années, vraiment.

De retour à la maison, elle resta un moment dans l'entrée.

Elle n'avait pas croisé Adam.

Mais elle avait laissé entrer le souvenir.

Et avec lui, quelque chose s'était ouvert.

Ce soir-là, dans sa chambre, elle s'assit enfin devant son clavier.

Elle ne joua pas.

Mais elle alluma l'instrument.

Et pendant quelques minutes, elle écouta simplement le bourdonnement de la machine.

Pas la musique.

Juste le souffle qui disait :

Je suis là.

            
            

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