Chapitre 3 Chap 3

- Je regrette infiniment que vous n'ayez pas cru pouvoir vous joindre à nous pour le dîner, Paul. Peut-être pourrions-nous parler affaires dans la matinée ?

- Je suis un lève-tôt, et j'aime bien courir avant le petit déjeuner. 7 h 30, ça vous conviendrait ?

John hésita, manifestement peu enchanté d'un rendez-vous aussi matinal un dimanche, après une soirée de bombance. Autant demander à un nageur débutant de traverser la Manche à la brasse !

- C'est parfait. Je vous verrai donc à 7 h 30.

Sans un regard pour Maya, John s'éloigna d'un pas incertain vers le fond du couloir, dont il ouvrit la dernière porte qu'il claqua très violemment derrière lui.

Clara dut s'appuyer contre le mur tant ses jambes tremblaient. Mais le soulagement la gagna progressivement. Elle s'en était bien tirée... Il restait un seul problème : elle demeurait dépendante de Jonathan pour rentrer chez elle, puisque devant son insistance, elle avait voyagé avec lui à l'aller. Elle aurait bien voulu partir sur-le-champ, mais c'était impossible. Il lui aurait

fallu pour cela ponctionner son maigre salaire pour payer une course de nuit en taxi jusqu'à la prochaine gare, où il ne passait probablement plus aucun train à une heure aussi tardive.

- Vous vous sentez bien ?

Elle écarquilla les yeux, étonnée par la sollicitude inattendue qu'elle entendait dans la voix de Paul . Grave, un peu rauque, elle la fit frissonner jusqu'à la pointe des orteils.

- Oui, merci.

- Vous pouvez bien me le dire à présent : John a-t-il totalement mal interprété la situation ?

- Pour commencer, il n'y a aucune raison d'évoquer une « situation » qui n'a jamais existé, sauf dans son esprit tordu... mais certainement pas dans le mien !

Clara se rendait bien compte que le regard intense et si perturbant de Paul Walker détaillait toute sa personne, depuis le décolleté plongeant de sa robe de velours trop ajustée jusqu'au tremblement révélateur de sa lèvre inférieure.

Rougissant de colère, elle repoussa derrière l'oreille une mèche de cheveux.

- Il a reconnu qu'il m'avait attirée ici sous un faux prétexte, argua-t-elle en fusillant l'écrivain du regard. Est-il plausible, dans ces conditions, que je l'aie encouragé ? Ecoutez-moi bien, monsieur Paul: je ne suis qu'une secrétaire intérimaire. Je travaille dur pour justifier mon salaire et, à la fin de chaque journée de labeur, je rentre chez moi. C'est un privilège pour lequel je

ne devrais pas être obligée de subir les attentions importunes d'un patron, vous ne trouvez pas ?

Paul faisait semblant de réfléchir mais en réalité, il observait avec le plus grand intérêt la façon dont sa poitrine pleine se soulevait sous le coup de la colère. Cette femme était très désirable, d'autant que son regard vert lançait des flammes qui révélaient une fois de plus son tempérament passionné.

- Il est évident que vous n'auriez rien dû subir de semblable, mademoiselle Gérard. Mais vous avez bien un prénom ?

- Clara, répondit-elle en ouvrant sa porte.

Elle s'interrompit et, après une brève hésitation, ajouta :

- Je regrette que vous ayez surpris cette petite scène désagréable. J'espère que cela ne vous dissuadera pas d'utiliser la société de M. John pour votre campagne de promotion Il travaille avec d'excellents professionnels. Je n'aimerais pas que cet incident rejaillisse négativement sur eux.

- Cette préoccupation vous honore. Mais je suppose qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre la suite des événements pour en connaître l'issue.

L'ayant gratifiée d'un regard énigmatique, il commença à s'éloigner dans le corridor. Après quelques pas, il sembla se raviser. Il se retourna et lui adressa un petit sourire confiant.

- Je ne pense pas que vous ayez encore quelque chose à craindre de votre entreprenant patron ce soir. Avec tout l'alcool qu'il a absorbé, je pense qu'il va dormir toute la nuit d'un sommeil de plomb. Permettez-moi, cependant, une petite mise en garde : je vous conseille vivement d'éviter de porter cette robe pour toute autre soirée à l'avenir, à moins d'être préparée à faire face au genre

d'attentions très particulières qu'elle suscite.

Le courage manqua à Clara, qui n'osait plus le regarder en face. Elle bredouilla un bonsoir à peine audible et se rua dans sa chambre, dont elle verrouilla la porte derrière elle, comme si elle venait d'échapper à une horde d'animaux sauvages.

Clara se réveilla à l'aube ; n'ayant aucune intention de s'attarder dans cette maison, elle bondit hors du lit, fit rapidement sa toilette et s'habilla.

Elle sortit dans l'immense couloir en marchant sur la pointe des pieds, attentive à ne pas réveiller John et ses convives qui devaient encore dormir, digérant les excès de la veille. Le coeur battant, Clara alla glisser sous la porte de son patron une courte lettre lui expliquant les raisons de son départ anticipé ; elle lui annonçait également qu'il trouverait sa lettre de démission sur son bureau dès le lundi matin.

Son sac de voyage à la main, elle entreprit ensuite de descendre l'escalier sans bruit.

Elle était impatiente de quitter les lieux, de s'éloigner de ce patron libidineux et de toute la malhonnêteté qui avait présidé à son séjour chez lui ; elle était tout aussi pressée de tourner le dos à ses riches amis frivoles.

En les côtoyant, elle avait éprouvé une pénible sensation de déjà-vu. Des images de son enfance avaient resurgi, des soirées qu'organisait son père avec de soi-disant amis, qui la câlinaient comme un jeune chiot ou lui intimaient l'ordre de disparaître de leur vue lorsqu'ils ne voulaient pas qu'elle les voie s'enivrer ou se droguer.

Pour l'instant, il n'y avait rien qu'elle souhaitât davantage que retourner chez elle et retrouver son petit univers familier, où elle aurait aimé pouvoir affirmer qu'elle serait en sécurité.

Mais c'était un sentiment qu'elle connaissait trop mal pour pouvoir s'y référer.

- Je constate que je ne suis pas le seul à être matinal dans cette maison.

La voix de basse, si séduisante, fit sursauter Clara, occupée à feuilleter les pages jaunes à la recherche du numéro de téléphone d'un taxi.

- Bonjour. J'ai en effet l'habitude de me lever tôt ; de plus, j'ai l'intention de rentrer chez moi dès que j'aurai trouvé un taxi.

- Vous avez décidé de ne pas vous attarder ?

- Franchement, je ne crois pas que ce serait une bonne idée. Et je suis prête à parier que John sera de cet avis : après ce qui s'est passé hier soir, il doit être impatient d'être débarrassé de moi.

- Parce que vous n'avez pas succombé à sa grossière tentative de séduction ?

Avec une grâce surprenante pour un homme, Paul avança vers elle, un sourire énigmatique aux lèvres. Cynisme ? Curiosité ? Sympathie ? Elle n'aurait su dire.

Mais s'entendre rappeler les événements de la veille réveilla en Clara la peur qu'elle en avait ressentie. Elle passa une main fébrile dans ses cheveux fraîchement lavés.

- Si vous appelez ça de la séduction... Parlez plutôt de harcèlement ! Le fait que vous ayez été témoin de la scène l'embarrassera doublement. Il doit être tellement furieux que j'aie osé le repousser que je n'ai aucune envie de traîner ici pour découvrir sa réaction.

Elle reporta son attention sur l'annuaire qu'elle tenait toujours et, l'ayant ouvert à la bonne page, suivit la colonne d'un doigt tremblant jusqu'à ce qu'elle trouve le numéro dont elle avait besoin.

Elle regarda ensuite la puissante silhouette qui se dressait à quelques pas d'elle. Irrésistiblement consciente de sa présence, qu'elle ressentait par tous les pores de sa peau, elle en éprouvait une douleur exquise à laquelle elle n'était nullement préparée.

Pour échapper au regard magnétique d'un beau bleu méditerranéen qui observait le moindre de ses mouvements, elle tourna le dos et remit en place l'annuaire.

- Il faut vraiment que j'appelle ce taxi, déclara-t-elle d'une voix qu'elle aurait voulu moins oppressée.

- Où allez-vous ? lui demanda-t-il brusquement.

- A la gare la plus proche.

- Et quel train devez-vous prendre : celui du quartier nord?

- Oui. Enfin... plus exactement celui du quartier nord A.

- Ne prenez pas la peine de téléphoner, je vais vous déposer.

- Mais la gare la plus proche est au moins à vingt-cinq kilomètres. Et n'aviez-vous pas rendez-vous avec John ce matin ?

Pour toute réponse, il se contenta de la dévisager d'un air innocent, comme si le rendez-vous auquel elle se référait n'avait jamais existé !

Tess avait expliqué à Maya que leur patron était capable des coups les plus tordus pour l'emporter contre la concurrence, et s'assurer que son agence représente les personnalités les plus en vue. Quelles ficelles avait-il bien pu tirer pour réussir à inviter Paul RONALD chez lui ?

L'auteur était en effet la personnalité du monde la plus connue actuellement. Les critiques accolaient toujours à son nom les commentaires les plus élogieux,

Donc si Paul n'honorait pas son rendez-vous parce qu'il l'avait conduite à la gare, John n'hésiterait pas à se venger. En lui refusant le certificat de travail tenant lieu de référence destiné à son agence de placement, par exemple. Ce serait profondément injuste, voire illégal, mais John en était tout à fait capable et de pire encore. Ce serait du plus mauvais effet sur son curriculum vitæ, jusqu'à présent impeccable.

Devinant sans doute le tour que prenaient ses pensées, Paul lâcha avec nonchalance :

- Je l'appellerai plus tard. Je suis prêt à parier que, compte tenu de ses excès de la soirée, M. KORE ne se réveillera pas avant midi, peut-être même plus tard. De toute façon, après ce que j'ai vu hier soir, je ne suis plus du tout enclin à lui confier ma publicité. On entend dire tant de choses sur les gens que j'ai pour principe, d'ordinaire, de ne jamais prêter l'oreille aux ragots ; mais en ce qui concerne notre ami commun, j'ai été témoin des faits, et cela change tout. Mais laissons cela... Est-ce que ce sont là vos seuls bagages ?

Clara acquiesça. Elle n'avait en effet qu'un sac de voyage en tapisserie et un petit fourre-tout en cuir, qui contenait notamment son maquillage, ses lunettes et un livre. Elle ne put s'empêcher de se réjouir à l'idée que Paul désapprouvait le comportement de John et qu'il envisageait très sérieusement de le sanctionner en ne collaborant pas avec lui. Elle avait craint un instant qu'au nom de la vieille solidarité masculine, il ne finisse par penser avec son patron que quand un homme trouvait une femme désirable, c'est qu'elle l'avait aguiché ; et que, dans ce cas, elle ne devait pas s'étonner d'en subir les conséquences...

Néanmoins, encore sous l'influence du comportement souvent vil des prétendus amis de son père, clara se faisait du souci à la perspective qu'un inconnu, aussi séduisant soit-il, l'accompagne à la gare.

- Ecoutez, monsieur il n'est vraiment pas nécessaire de...

- Appelez-moi Paul, la corrigea-t-il.

- Il n'y a rien de plus simple pour moi que de prendre un taxi. Je m'en voudrais de troubler le reste de votre week-end.

- Ne vous y trompez pas, Clara, vous m'avez déjà troublé... Mais on ne peut guère affirmer que ce soit votre faute.

Elle leva sur lui un regard interrogateur, intriguée par ses propos sibyllins, troublée par la lueur qui avait traversé son regard.

- Allons, mettons-nous en route pour la gare ! Laissez-moi me charger de vos bagages.

Toujours indécise, Clara fit une dernière tentative

            
            

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