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- Ce serait tellement plus facile si vous me laissiez appeler un taxi...
- Si vous redoutez que je puisse me comporter, en quoi que ce soit, comme votre peu honorable patron, permettez-moi de vous assurer que vos préoccupations sont sans fondement. Personnellement, j'aime que les femmes que je courtise soient consentantes ; il ne m'est jamais arrivé d'en mettre une de force dans mon lit.
Cette confession sans détour la fit rougir. Elle haussa les épaules et s'essaya à sourire.
- Alors, d'accord !
A l'extérieur, un soleil clair avait réussi à percer les nuages du matin. Sur le parking gravillonné où les amis de Jonathan avaient garé leurs luxueux véhicules, Paul se dirigea vers une voiture de sport décapotable, une MG d'un rouge éclatant. Clara se rappela tout à coup que son père avait l'habitude de dénommer cette nuance particulière le « rouge-va-au-diable ». Le chagrin
que fit naître en elle ce souvenir inattendu l'assombrit.
Paul perçut immédiatement son changement d'humeur car il se tourna vers elle.
- Quelque chose ne va pas ? Peut-être vous attendiez-vous à un mode de transport plus classique ?
- Je n'envisageais rien du tout, répliqua-t-elle d'un ton égal. Je me contente d'être reconnaissante pour le bout de conduite.
Il lui dédia un sourire si éblouissant que Maya fut emplie par une sensation vertigineuse de plaisir. Elle avait vingt-cinq ans et n'avait jamais auparavant contemplé un sourire aussi extraordinaire, aussi étincelant, aussi sauvagement beau que celui-ci. Elle en avait le tournis !
- Peut-être possédez-vous quelque chose qui vous permettrait d'attacher vos cheveux ? Sinon, ils risquent d'être malmenés par le vent.
Paul s'affaira à caser son sac dans le coffre, dans lequel se trouvait déjà un autre bagage, très luxueux comptait-il également partir dès ce matin ? Tout en suivant ses gestes, Clara fouilla dans son fourre-tout, d'où elle tira une mince écharpe en mousseline multicolore avec laquelle elle rassembla ses cheveux en une queue-de-cheval lâche.
- Ça vous va à ravir, approuva-t-il avec un large sourire. Montez et mettez-vous à l'aise, la voiture est ouverte.
Elle s'assit à la place du passager et allongea ses longues jambes autant que le permettait l'espace réduit. Se laissant aller dans le confortable fauteuil en cuir, elle admira en silence le placage en ronce de noyer qui habillait le tableau de bord et la console centrale, appréciant l'exceptionnel artisanat d'art qui avait produit ce véhicule dont son père lui avait autrefois appris que c'était la voiture de sport la plus vendue dans la ville S dans toute l'histoire del'industrie automobile. Lui-même en avait possédé deux, une rouge comme celle-ci et une noire.
Elles avaient été, l'une et l'autre, vendues depuis belle lurette pour contribuer à rembourser les dettes inimaginables que son style de vie insouciant avait laissées s'accumuler.
Elle entendit le coffre se refermer, puis vit Paul introduire avec facilité sa grande carcasse athlétique dans l'étroit habitacle. Pourtant, lui aussi avait de longues jambes ! Clara s'émerveilla de la façon dont il bougeait, comme si aucun mouvement ne lui coûtait d'effort. Il faisait irrésistiblement penser à une sublime symphonie, chaque note s'accordant parfaitement aux autres
dans un ensemble parfait. Une bouffée de lotion après-rasage, bois de santal et musc, vint assaillir ses sens déjà très perturbés par la présence charismatique de l'écrivain. Elle s'efforça de résister à cette grisante agression.
- C'est un modèle de compétition, n'est-ce pas ? commenta-t-elle, en laissant ses doigts courir légèrement sur le bois poli du tableau de bord.
- En effet. C'est un modèle d'époque, que j'ai fait restaurer dans l'état d'origine exact ; ce qui m'a coûté une petite fortune ! Vous vous y connaissez donc en voitures anciennes ?
- Pas vraiment... Il se trouve que j'ai connu quelqu'un qui possédait un modèle semblable à celui-ci.
Clara choisit de regarder à travers le pare-brise plutôt que de croiser le regard bleu qui commençait à lui faire un peu trop tourner la tête. Mais le petit rire étouffé qui s'égrena à côté d'elle lui parut lui aussi charmant...
- Vous en savez sans doute beaucoup plus que vous ne voulez l'admettre, n'est-ce pas ? Voilà qui me convient... Je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous soyez une femme un peu mystérieuse. Cela me rend d'autant plus désireux de vous connaître mieux.
Paul lui jeta un coup d'oeil à la dérobée. Il aurait dû s'y attendre : elle était encore plus séduisante en jean et simple chemisier de coton blanc que la veille dans sa robe involontairement provocante, qui mettait pourtant si joliment en valeur ses pleins et ses déliés. Il devait d'ailleurs à cette robe une épouvantable nuit blanche, même si la simple pensée des mains d'ivrogne de
John se promenant sur ce corps magnifique avait également contribué à le priver de sommeil ! Il avait été à un cheveu d'envoyer son hôte au tapis d'un uppercut. Les attentions avinées de John avaient visiblement effrayé sa jeune collaboratrice, ce qui avait réveillé son profond instinct protecteur à l'égard des femmes.
Il se rappela soudain que, lorsqu'il avait environ dix ans, son père avait sauvagement giflé sa s'était renouvelé de plus en plus souvent, jusqu'à devenir une pratique commune. Mais après cette choquante première fois, il s'était rué sur son père, en hurlant et en le frappant avec ses pieds et ses poings. Sur le moment, il avait réellement voulu le tuer, tout comme il avait désiré tuer John
la veille au soir en le voyant se comporter en homme imbécile.
En y repensant, Paul réalisa à quel point l'ensorcelante Clara avait occupé son esprit depuis qu'elle avait fait intrusion dans le salon où il s'était réfugié, laissant dans son sillage la trace d'un parfum sensuel et éveillant chez lui un cortège d'idées folles qui auraient mérité d'être étiquetées : « pour adultes ». Il fallait absolument qu'il s'arrange pour faire plus ample connaissance avec elle. Sa dernière affaire de coeur un peu piquante et sortant de l'ordinaire
remontait à si loin ! Avec elle, une liaison pourrait bien s'avérer des plus excitante !
Lorsque la pluie commença à tomber, Paul s'arrêta pour refermer le toit de la MG. Son adorable passagère ne s'en aperçut même pas, car elle avait sombré dans un profond sommeil très peu de temps après leur départ. Surpris, amusé, il avait décidé d'oublier la gare et de la ramener directement chez elle, en ville.
Alors qu'il roulait, la respiration douce et régulière de la jeune femme l'emplissait d'une étrange sensation de calme et de sérénité. Lui qui avait d'abord mal supporté de devoir séjourner chez Faraday s'en réjouissait à présent, puisque cette invitation lui avait offert cette magnifique rencontre. La seule chose qui pourrait l'empêcher d'aller plus loin avec Maya serait de
découvrir qu'elle fréquentait déjà quelqu'un. A cette idée, une vague de jalousie totalement incongrue ainsi qu'une puissante bouffée de désir submergèrent Paul.
Seuls le bon sens et la nécessité lui commandèrent à cet instant de reporter toute son attention sur la route et sur sa conduite.
Clara se sentait délicieusement à l'aise, bien au chaud et en sécurité ; le bruit de la pluie sur le toit lui donnait l'impression de jouir d'une protection particulière dans quelque endroit inviolable.
L'expérience était si agréable qu'elle ne demandait qu'à demeurer ainsi encore un peu, les yeux bien fermés, à l'abri du monde extérieur. Pourquoi en effet sortir de ce sommeil bienfaisant et se trouver confrontée aux préoccupations du quotidien ?...
Cependant une intuition dérangeante et persistante lui commanda de jeter un regard autour d'elle.
En ouvrant les yeux, elle découvrit qu'elle ne se trouvait pas chez elle, dans son lit, mais dans une voiture conduite à vive allure sur l'autoroute. A son côté était installé un homme doté d'un profil de médaille. Son coeur se mit à battre violemment sous le coup de la surprise.
- Depuis combien de temps suis-je endormie ? demanda-t-elle d'une voix qu'elle ne se connaissait pas.
Elle se redressa et étira avec soulagement ses membres engourdis.
- Pratiquement depuis que nous sommes partis, répondit son compagnon, tandis qu'un sourire fugitif naissait sur son visage ciselé.
Maya le dévisagea, étonnée.
- Est-ce que la gare était fermée ?
- Non, elle n'était pas fermée, mais j'ai décidé de vous ramener directement au quartier nord . J'avais de toute façon décidé de rentrer chez moi. Vous voyez que je ne fais pas un grand détour.
- Vous avez également une résidence au quartier nord ? Il me semblait avoir entendu John dire que vous demeuriez dans la Cité ouest ?
- En effet. Mais quand je travaille au théâtre, il paraît logique que je demeure en ville. Une de mes pièces vient de s'arrêter après avoir tenu l'affiche pendant six mois et va bientôt partir au quartier nord B. Entre-temps, je vais retourner dans le quartier nord A pour me reposer et travailler à mon nouveau projet. Où habitez-vous exactement quartier nord A?
Clara le lui expliqua, avec l'impression de flotter dans un monde irréel, entre rêve et réalité.
Elle s'en voulait cependant de s'être assoupie.
- J'ai du mal à réaliser que j'aie pu m'endormir de la sorte. C'est probablement dû à la contrariété provoquée par l'incident d'hier soir : je n'ai pratiquement pas fermé l'oeil de la nuit après ça. Mais me laisser aller au sommeil à côté de quelqu'un que je ne connais pas, c'est vraiment une première !
- J'espère que nous corrigerons sans tarder le fait que vous me connaissiez à peine, Clara.
Vous n'avez pu manquer de comprendre à quel point j'aimerais vous revoir.
Paul tourna un peu la tête afin d'observer sa réaction. Elle garda le silence un long moment.
- Vous voulez parler d'un rendez-vous ?
Clara s'était efforcée de contrôler les inflexions de sa voix, mais elle n'en revenait pas. Les paroles de Paul lui avaient fait l'effet d'une bombe, surprenantes et angoissantes à la fois.
- Est-ce tellement choquant ? l'interrogea Paul en souriant.
- Choquant, non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Mais... je suis étonnée, oui.
- Est-ce que me revoir vous ferait plaisir ou non ? Peut-être fréquentez-vous déjà quelqu'un ?