Chapitre 2 Chap 2

Paul respira avec délice les délicats effluves du parfum sensuel et troublant que sa ravissante visiteuse avait laissés derrière elle. Brusquement, une décharge électrique lui traversa le ventre. Il fronça les sourcils. Etaient-ce les notes chaudes et entêtantes d'ambre et d'agrume qui venaient de réveiller ainsi sa libido, dernièrement plutôt somnolente ? Ou alors les souvenirs grisants qui y

étaient associés : deux yeux verts en forme d'amande, bordés de cils très noirs, des longs cheveux de jais aussi brillants qu'une mer sous la lune, sans oublier les courbes insolentes révélées par la plus audacieuse des robes qu'il ait jamais vues ?...

En reprenant sa place dans son fauteuil, près de la carafe de porto aimablement offerte par son hôte, il se demanda à quand remontait la dernière fois qu'une femme lui avait refusé quelque chose avec autant de naturel. La réponse jaillit instantanément de sa mémoire : ce n'était jamais arrivé !

Tout à coup, il éprouva moins de plaisir à terminer son verre et fronça les sourcils. Il se savait réfractaire à tout ce qui lui était donné sans effort, cela valait pour le succès littéraire comme avec les femmes. Rien d'étonnant donc à ce qu'une femme belle et désirable comme sa séduisante visiteuse qui, à l'évidence, n'était pas prête à rejoindre son lit sur un simple claquement de doigts ait retenu son attention. Cependant, malgré sa tirade indignée pour lui signifier qu'elle n'appartenait pas à ce monde-là, et qu'elle n'était pas une courtisane, elle devait sûrement lorgner John. Pourquoi sinon, contrairement aux autres femmes, lui aurait-elle ainsi battu froid ? Oui, elle avait des vues sur son hôte, il n'y avait pas d'autre explication. D'ailleurs, elle n'avait pas cherché à le nier. Paul se passa nerveusement les doigts dans les cheveux et ferma les yeux. Si seulement il ne s'était pas laissé convaincre par son agent... Mais Jane savait se montrer persuasive et l'avait pressé de répondre à l'invitation de John KORA.

Pourtant, Paul aimait par-dessus tout se retirer dans sa maison de campagne, Dans cette région magnifique, encore épargnée par les méfaits du modernisme à

tout crin, seuls l'accompagnaient le murmure mélancolique du vent et la beauté sauvage de la nature. Là, il pouvait écrire tout son content et laisser le monde parfois si pénible tourner sans lui.

Il avait rencontré la gloire dès le début de sa carrière d'acteur. Mais l'enthousiasme excessif du public et les intrusions déplacées dans sa vie privée lui avaient été une véritable souffrance !

Certains artistes appréciaient l'adulation des foules, la célébrité et le manque d'intimité, mais lui n'appartenait pas à cette catégorie. Ce qui l'avait enthousiasmé à l'époque, c'était de pouvoir construire et interpréter un personnage authentique, dans lequel il s'investissait à cent pour cent.

Lorsqu'il avait le sentiment d'y être parvenu, d'être devenu son rôle, il avait alors la satisfaction de savoir que les spectateurs qui avaient fait l'effort de venir le voir ne s'étaient pas dérangés pour rien.

Au bout de trois années de succès, épuisé, il s'était tourné vers l'écriture, avec la même passion.

A présent, il souhaitait seulement que l'intérêt factice et disproportionné que les médias lui témoignaient encore retombe enfin. Et il rêvait de pouvoir trouver le temps de retourner à Paris pour s'y isoler quelques semaines.

Il but une gorgée de porto, et ses pensées le ramenèrent immanquablement vers la charmante Jeune fille qui avait fait irruption dans la pièce, lui offrant le spectacle piquant de son décolleté généreux. Savait-elle combien, au-delà de ses atouts naturels, son tempérament volcanique la rendait séduisante ?

Il se demanda comment cette passion contenue s'exprimait au lit et se laissa aller à rêver d'être celui qui, tout à l'heure, l'aiderait à se débarrasser de cette petite robe si sexy...

Lorsqu'ils s'arrêtèrent devant sa chambre, Clara essaya discrètement d'ouvrir la porte de sa main placée dans le dos, dans une tentative désespérée de se sortir du mauvais pas dans lequel elle se trouvait.

John vacillait en face d'elle, l'incommodant de son haleine qui empestait l'alcool.

Son penchant pour la boisson était légendaire mais ce soir, il s'était surpassé ! A tel point que Clara s'étonnait qu'il fût encore capable de tenir debout et, surtout, de faire ainsi pression sur elle pour l'accompagner dans sa chambre. Son regard trouble plongea sans vergogne dans son décolleté. Il mit les deux mains de chaque côté d'elle contre le mur, l'emprisonnant. Il se rapprocha d'elle, de sorte qu'elle était agressée non seulement par les vapeurs d'alcool, mais aussi par les effluves de son eau de toilette.

- J'ai trouvé le dîner très réussi, John. Mais à présent, je suis vraiment fatiguée et je...

Clara tourna brusquement la tête, juste à temps pour éviter les lèvres avides de son patron. Son coeur battait la chamade et elle avait l'impression d'être sur le point de défaillir. Frustré et en colère, John pesta :

- Au diable le dîner, s'exclama-t-il, furieux. Tout ce que je veux à présent, c'est vous emmener au lit. Une fille comme vous mérite mieux qu'un salaire d'assistante. Réfléchissez-y, chérie. Si vous êtes gentille avec moi, vous n'aurez pas à le regretter. Vous m'avez compris, mon coeur ?

- Oui, John, j'ai bien compris. Mais vous êtes mon employeur, et j'ai pour règle de ne jamais compliquer les relations professionnelles en leur donnant un tour plus personnel.

Comme il ne semblait pas décidé à abandonner la partie, Clara inspira profondément pour raffermir sa voix.

- C'est pourquoi je vais décliner votre invitation et vous souhaiter bonne nuit. Je suis sûre que demain, vous serez enchanté que la simple employée intérimaire que je suis ait agi de la sorte.

- Seriez-vous prête à changer d'avis si je vous offrais un poste permanent ?

- Non. Cela ne changerait rien, j'en ai peur !

- Quel dommage, ricana John. Moi qui vous croyais si intelligente ! A moins que vous ne fassiez monter les enchères ?...

- Que voulez-vous dire ?

- Vous essayez de me faire croire que vous n'êtes pas une fille facile, et pourtant vous avez joué avec moi...

Clara décrypta soudain sur son visage une expression menaçante qui mit tous ses sens en alerte.

Cela risquait d'être plus difficile qu'elle ne l'avait prévu. Elle rejeta ses cheveux en arrière et protégea d'une main son décolleté.

- Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je suis ici ce soir uniquement parce que mon travail l'exigeait.

- Je ne crois pas que vous soyez naïve à ce point. Voilà des semaines que je flirte avec vous.

Ne me dites pas maintenant que vous ne saviez pas, en venant ici, où cela nous conduirait !

- Je suis ici parce que Tess a eu un empêchement de dernière minute. Elle m'a dit qu'il fallait que quelqu'un la remplace.

- Tess vous a fait venir parce que je le lui ai ordonné. Comme vous aviez refusé chacune de mes précédentes invitations, j'ai pensé que la seule façon de vous avoir tout à moi était de monter un stratagème. Vous comprenez, mademoiselle Gérard ?

Clara dut de nouveau esquiver une tentative de baiser. Elle tenta de repousser John en posant ses deux mains sur son torse. Elle avait parfaitement conscience que tout ce que lui rapporterait son attitude était un licenciement mais tant pis ! Il gèlerait en enfer avant qu'elle cède à un chantage sexuel, même pour conserver son travail. Cela altérerait peut-être ses relations avec l'agence d'intérim mais elle n'en avait cure non plus.

Soyez au moins compréhensive, Clara... Je me suis rendu malade de désir à la seule pensée que vous seriez ici ce soir, dans ma maison. Accordez-moi juste un baiser, d'accord ?

Physiquement, John n'était pas facile à bousculer, même en état d'ivresse. C'est sans difficulté qu'il lui immobilisa les deux bras et la cloua au mur, pesant sur elle de tout son poids.

Clara vit une lueur de triomphe envahir son regard. En usant de la force, il était assuré de l'emporter. Elle sentit la panique la glacer jusqu'aux os...

- Vraiment, John, je suis très étonné, fit une voix autoritaire juste à côté d'eux. Je n'aurais jamais cru que vous, qui avez la réputation d'être un irrésistible don Juan, ayez besoin d'obtenir les faveurs d'une dame par la menace et le chantage!

- Comment ? gronda John.

Il avait sursauté et lâché Maya. Il recula d'un pas mal assuré, puis se redressa et défia Paul du regard.

- Ne soyez pas idiot, mon cher, reprit-il. Elle m'a fait de l'oeil toute la soirée. Elle m'a pratiquement...

- ... sauté dessus ? termina tranquillement l'écrivain.

Clara aurait voulu disparaître. Humiliée, elle tremblait de colère face à la mauvaise foi de

John, et osait à peine regarder son sauveur.

- De l'endroit où je me tenais, il m'a pourtant semblé que cette demoiselle refusait très fermement vos avances. Mais pourquoi ne pas en avoir le coeur net : posons-lui la question ?

Clara se raidit. Elle se trouvait tout à coup confrontée au pire des dilemmes : si elle laissait penser que John était un violeur en puissance, qu'adviendrait-il des relations d'affaires entre les deux hommes ? D'un autre côté, elle avait sa réputation à défendre et n'était pas prête à la laisser piétiner au nom des intérêts professionnels de son patron. De toute façon, elle avait d'ores et déjà tiré un trait sur cet emploi.

- Comme j'ai eu l'occasion de vous le dire précédemment, monsieur RONALD, je travaille pour monsieur John , énonça-t-elle d'un ton posé. Si le fait que j'aie accepté de venir ici ce week-end lui a laissé croire que j'étais prête à aller plus loin, je le regrette pour lui mais il s'est complètement trompé.

Clara coula un rapide regard vers le séduisant écrivain. Grand, les épaules larges, sa stature donnait l'impression qu'il occupait tout l'espace dans ce vestibule pourtant de bonnes dimensions.

Dans son habit de soirée noir et sa chemise d'un blanc immaculé, son physique imposant et sa posture empreinte de confiance en lui ne pouvaient qu'attirer le regard. Pas étonnant qu'il ait eu tant de succès comme comédien. Ce n'était pas dû à sa seule apparence : Paul avait une présence et un charisme incroyables.

- Voilà qui est réglé, lança-t-il. Vous avez eu votre réponse, mon ami.

Sous le regard goguenard de Paul, John eut la bonne grâce de prendre un air repentant.

- Je suppose que j'ai un peu trop bu, grommela-t-il en haussant les épaules. Mais vous savez comment sont les femmes : elles disent une chose et en pensent une autre...

Il poursuivit, non sans lancer un regard belliqueux à Clara :

            
            

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