Chemise déboutonnée, montre en or qui brillait sous la lumière tamisée, sourire arrogant vissé sur le visage, il était à l'aise. Trop à l'aise. Il faisait partie de ces hommes qu'on regarde sans oser les interrompre. Pas à cause de leur beauté, mais parce qu'ils dégagent quelque chose. Un pouvoir. Une présence. Le genre à séduire sans parler. Le genre à disparaître sans prévenir.
- Abdoul, c'est vrai que t'as fait virer un mannequin parce qu'elle t'a envoyé un message après minuit ? demanda la fille à la robe orange, les yeux rieurs.
- J'aime pas qu'on dérange mes rêves. Surtout quand j'suis pas dans les siens, répondit-il en éclatant de rire, posant un doigt sur ses lèvres.
Les filles rient. Lui, il ne rit pas longtemps.
Le chauffeur, debout un peu à l'écart, s'avance et lui tend discrètement un téléphone.
- Monsieur, c'est votre père. Il dit que c'est important.
Abdoul Kabir prend l'appareil, les sourcils légèrement froncés.
- Ouais, papa ?
Une pause. Son sourire disparaît. Ses doigts serrent l'accoudoir.
- Maintenant ?... Bon, j'arrive.
Il raccroche, se lève. L'ambiance tombe d'un cran.
- Une urgence familiale, souffle-t-il.
Il embrasse l'air et quitte la pièce. La nuit, elle, continue de s'étirer comme un félin paresseux.
******
La villa Fall, baignée de lumière, accueillit son fils avec le même calme habituel. Les carreaux étincelaient, les escaliers étaient silencieux. Il monta directement, poussa la porte du salon familial, où sa mère, Daba, l'attendait assise, mains croisées, boubou impeccablement repassé, regard perçant.
- Où étais-tu ?
Il haussa les épaules.
- Je faisais ce que tout jeune homme fait un vendredi soir, maman. Profiter.
Elle soupira. Longuement.
- Abdoul Kabir... Ton nom commence à peser plus que toi. Tu marches avec des chaussures que tu ne sais même pas lacer.
Il leva les yeux au ciel, mais garda le silence. Elle se leva, s'approcha, posa la main sur sa joue.
- Mais c'est fini, mon fils. Les sorties, les "tralalalalala" comme vous dites. Ton père veut te parler. Prépare-toi.
Le dîner.
La table était garnie. Viandes grillées, légumes vapeur, riz parfumé. Mais l'atmosphère était lourde. Fama, la petite sœur d'Abdoul, tapotait nerveusement son téléphone tout en jetant des regards vers son frère. Daba servait calmement. Moustapha Fall, le père, mangeait lentement.
Et soudain, il parla.
- Tu vas te marier.
Fourchette suspendue en plein vol. Fama leva brusquement les yeux. Daba ferma les siens. Abdoul resta figé.
- Comment ça, je vais me marier ?
- Avec Sarata Sow. La fille de Cheikh Sow. C'est décidé.
Fama éclata de rire.
- Mon frère ? Marié ? Il va oublier son nom avant de retenir celui de sa femme !
Abdoul sourit, presque amusé.
- Elle est sérieuse.
Mais Daba, sans lever la tête, coupa net :
- Très sérieuse. Et moi aussi.
- C'est hors de question, dit Abdoul. Je me marierai le jour où je trouverai une femme que je veux, pas celle qu'on me balance comme un colis DHL.
Moustapha posa sa cuillère, lentement.
- Tu n'as pas à vouloir. Tu as à comprendre. Ce mariage, c'est plus qu'un couple. C'est une alliance. Une continuité. Une nécessité.
- Alors épouse-la, toi !
Silence. Glaçant.
- Tu crois que tu es un roi ? Tu n'es qu'un prince désinvolte dans un royaume qui t'échappera si tu ne te redresses pas.
Daba le regardait. Fière. Froidement résolue.
- Et moi je te dis : ce mariage aura lieu. Qu'il pleuve. Qu'il neige. Qu'il fasse noir ou qu'il fasse feu.
Du côté de Sarata.
Le salon était sobre. Simple. Des tapis, une bibliothèque, des coussins. Sarata revenait de l'orphelinat. Elle avait rangé ses fiches de tafsir, posé son foulard et bu un verre d'eau. Elle s'apprêtait à se retirer dans sa chambre quand son père l'appela.
- Sarata, viens t'asseoir.
Sa mère, Aïssatou, était déjà là, silencieuse. Elle ne regardait pas sa fille, juste ses mains. Sarata s'assit, droite, attentive.
- Une demande en mariage est venue.
Ses yeux s'agrandirent légèrement. Juste un peu.
- De qui ?
- Abdoul Kabir Fall. Tu as sûrement entendu ce nom.
Elle hocha doucement la tête.
- Oui. Un nom. Pas un visage.
- Nous avons accepté.
Elle ne broncha pas. Aucun cri, aucune larme, aucun mot plus haut que l'autre. Juste une inspiration longue.
- C'est votre décision. Je suis votre fille.
Aïssatou releva les yeux vers elle. Elle aurait voulu qu'elle dise non. Qu'elle résiste. Mais elle savait que Sarata était comme l'eau d'un puits : profonde, calme, mais capable de noyer les certitudes les plus dures.
- Tu ne veux pas d'abord le rencontrer ? demanda-t-elle, presque à voix basse.
- Si c'est la volonté d'Allah, qu'il soit bon pour moi. Sinon, je saurai m'en remettre.
Et ainsi, sous les dorures d'un destin tissé d'ambitions, un mariage s'annonçait. Pas encore scellé. Pas encore aimé. Mais inévitable.
Un garçon de la nuit.
Une fille de la lumière.
Et au milieu, deux familles qui dansent avec l'avenir.