/0/24212/coverbig.jpg?v=65d19d6cc8fd19ff0990ac7a6a74b941)
- Tu as essayé de fuir.
La voix d'Eryan tomba dans son dos comme une lame. Nyra se figea, la main toujours posée sur le tronc qu'elle escaladait. Elle n'avait pas fait plus de vingt pas au-delà de la lisière du camp. Ses muscles étaient tendus, sa respiration courte. Elle s'était crue rapide. Assez discrète. Mais il était là. Derrière elle.
- Tu m'espionnes maintenant ? grogna-t-elle sans se retourner.
- Non. Je te sens.
Elle pivota, brusque, les yeux incandescents. Il ne souriait pas. Pas d'arrogance sur ses traits, juste une fatigue nue, animale.
- Depuis la cérémonie, Nyra... j'ai ton odeur dans le sang. Elle palpite, m'appelle. C'est comme une morsure... Mais douce. Traîtresse.
Elle descendit lentement du tronc. Son regard ne quittait pas celui d'Eryan. Le lien. Ce mot tourna en elle comme une gifle mentale.
- Tu savais que ça arriverait, pas vrai ? Ce... lien. Ce n'était pas qu'un mariage politique. C'était une chaîne.
- Je ne l'ai pas voulu plus que toi.
- Alors brise-le !
Elle s'élança, le frappa du plat de la main sur la poitrine. Une onde étrange pulsa entre eux, invisible mais réelle. Une douleur brève, comme si on lui arrachait un nerf, la fit reculer d'un pas.
- Tu sens ça ? murmura-t-il. Chaque fois que tu me touches, chaque fois que tu te retires, ce lien gémit. Comme une bête étranglée.
Elle haleta, la main crispée contre son cœur. - C'est une prison.
- Ou une vérité.
- Ne commence pas avec tes foutues énigmes d'Alpha, Eryan ! Je ne suis pas une louve soumise à ton pouvoir.
Il la regarda un instant, comme s'il pesait ses mots, puis répondit, bas : - C'est toi qui m'as mordu.
Elle blêmit. - Quoi ?
- Lors du rituel. Ta paume saignait. Tu m'as saisi. Ton sang a coulé dans le feu. C'est ça qui a scellé le lien. Pas seulement la cérémonie. Le feu a choisi. Les esprits ont approuvé. Ce n'est pas un pacte d'homme.
- C'est une erreur.
Elle fit volte-face. Cette fois, il ne la suivit pas immédiatement. Elle marcha plus vite. Le camp était encore visible derrière les arbres, mais elle voulait le perdre, lui, ce lien, cette cage invisible.
La forêt se referma autour d'elle comme une mâchoire. Ses pas s'accéléraient. Chaque battement de son cœur semblait répondre à un écho lointain, sourd, une vibration sous sa peau.
Elle n'avait pas peur. Pas encore. Juste une rage brûlante.
Puis le silence se fit. Trop net.
Elle s'arrêta, tendit l'oreille. Une branche craqua sur sa gauche. Puis une autre, derrière. Elle tourna lentement sur elle-même.
Des yeux. Cinq, six paires. Des corps massifs, en cercle. Des loups, différents. Trop grands, pelages rêches, balafres sur les flancs. Pas de colliers. Pas de signes. Des errants. Des sauvages.
Elle recula, mais une silhouette la frôla derrière. Une gueule claqua dans le vide à hauteur de sa nuque. Elle roula au sol, se releva, griffes sorties. Trop nombreux.
- Je ne veux pas me battre, gronda-t-elle, les crocs découverts.
Un des loups rit. Un rire guttural, presque humain. - Dommage.
Ils attaquèrent ensemble. Nyra pivota, trancha l'air, toucha une épaule. Un autre l'atteignit aux côtes, la projeta contre un arbre. Elle cracha du sang, se redressa, haletante.
Puis un hurlement fendit le ciel. Puissant. Impérial.
Les loups se figèrent.
Eryan surgit dans un éclair de fourrure et d'acier. Il ne ralentit pas. Il frappa le premier au cou, le second à la gorge. Les cris fusèrent, mêlés aux grognements et au son sourd des chocs.
Il protégea Nyra de son corps, déchaîné. Sa rage était glaciale, chirurgicale. Il les fit reculer un à un, jusqu'à ce que l'un d'eux gémisse et s'effondre, et que les autres fuient dans les arbres sans demander leur reste.
Le silence retomba. Nyra, à genoux, le regarda approcher, le torse soulevé par l'effort.
- Tu m'as suivie.
- Je t'ai sentie.
- Arrête de dire ça. Ça me rend folle.
- Tu l'es déjà, dit-il doucement.
Elle baissa les yeux. Il s'agenouilla devant elle.
- Ils t'auraient tuée.
- Je sais.
- Mais tu voulais fuir.
- Je voulais me retrouver. Juste une minute sans toi dans ma tête.
Il toucha sa tempe, lentement. - Je ne suis pas dans ta tête, Nyra. Je suis dans ton sang. Comme toi dans le mien.
Un souffle les frôla. Une pulsation. Elle le sentit. Il la regardait comme on regarde un lien que l'on n'a pas choisi, mais qu'on ne peut pas briser. Elle n'avait plus de forces pour le repousser.
- Je ne veux pas t'aimer, dit-elle dans un murmure brisé.
Il répondit sans un mot, la tirant doucement contre lui. Pas pour dominer. Pas pour imposer. Mais pour retenir quelque chose en train de se rompre.
Et elle se laissa faire, juste un instant.
Le vent froid soufflait à travers la vallée, s'engouffrant dans la forêt sombre, et Eryan se retrouva à nouveau dans cette clairière. Pas celle du rituel, mais une autre. Une ancienne. Un souvenir, cru et douloureux, frappant son esprit comme une lame incandescente. Il n'y avait plus de bruit, sauf son souffle haletant, ce son qui résonnait dans l'obscurité du passé.
Il revoyait son père, l'Alpha, sur son trône de bois sculpté, imposant, redouté. Les loups autour, les visages fermés, attendant. Ils avaient parlé de paix, de stratégie. Mais il savait que rien ne serait jamais comme avant. Pas depuis cette nuit-là.
Le souvenir le frappa plus fort encore, le glaçant d'un froid intérieur.
« Tu as failli, Eryan. »
Les mots de son père, tranchants, résonnaient encore dans sa tête. Ils étaient tombés sur l'attaque ennemie, la meute d'Ashen, celle d'où venait Nyra. La guerre avait éclaté comme un orage sur les plaines. Et lui, Eryan, il avait hésité. Il s'était retrouvé là, avec son frère, dos à dos, encerclés, mais son instinct ne l'avait pas guidé. Il avait reculé, et son frère... son frère avait pris le coup à sa place.
Un hurlement, un cri, puis un silence.
Tout était devenu flou après ça. Son frère était mort, sa famille brisée, et la guerre avait ravagé tout ce qui restait. Il n'avait pas pu le sauver. Pas comme il l'aurait dû. Il n'était pas allé assez loin, pas assez vite. Et le pire, c'était qu'il n'avait pas vu ce qu'il aurait dû voir, ces signes, ces indices qui, aujourd'hui, brûlaient dans ses pensées comme des braises incandescentes.
Il se mordit la lèvre, se repliant sur lui-même. La culpabilité, tout aussi intense qu'un feu dévorant, envahissait ses entrailles. « J'aurais dû... »
Puis son regard se posa sur Nyra, là, dans l'ombre de la forêt. Le lien qui les unissait le consumait, mais il savait. Il savait que pour la première fois, il avait une chance de réparer ce qu'il avait brisé.