Le Loup du Contrat

Le passé n'est jamais enterré. Il attend, tapi sous les feuilles mortes des souvenirs, prêt à bondir quand on s'y attend le moins. Nyra le savait. Elle l'avait toujours su. Mais cela ne l'avait pas préparée à ce qu'elle ressentit lorsqu'elle posa le pied sur la terre de sa meute pour la première fois depuis six longues années.

Les arbres lui semblaient plus grands, plus sombres. Les senteurs qu'elle avait aimées autrefois - la mousse humide, la résine chaude, le cuir des huttes - avaient un goût de cendre à présent. Chaque pas résonnait dans sa cage thoracique comme un tambour de guerre, chaque battement de son cœur une clameur qu'elle s'efforçait de faire taire.

Un vent frais balaya ses longs cheveux noirs, dévoilant la cicatrice sur sa tempe gauche. Elle ne la cachait plus. Elle n'avait plus rien à cacher. Elle n'était plus cette fille impulsive que son père avait exilée pour avoir osé défier un ordre ancestral. Elle n'était plus non plus cette enfant qui pleurait en silence la nuit, le regard tourné vers la lune, espérant un pardon qui ne viendrait jamais.

Elle était revenue. Et la terre le savait.

Au détour du sentier menant à la clairière du conseil, elle sentit les regards. Discrets, d'abord. Puis plus lourds. Des murmures se faufilaient entre les branches comme des esprits insaisissables.

« C'est elle ? »

« Nyra ? La fille du Déchu ? »

« Pourquoi maintenant ? »

Elle marchait droit, son manteau gris balayant le sol comme une promesse. À son flanc, son loup intérieur grondait, réveillé par la tension qui s'épaississait autour d'elle. Il voulait surgir, hurler, rappeler à tous qu'ils n'étaient pas morts. Qu'ils n'avaient jamais été brisés.

Des silhouettes se détachaient de la brume. D'abord Argen, le vieux pisteur au museau argenté, qui lui offrit un hochement de tête prudent. Puis Irma, la guérisseuse, qui pinça les lèvres en croisant son regard. Et enfin, un jeune, peut-être douze ans, qui ne l'avait jamais vue mais la dévisageait comme s'il avait entendu mille histoires sur elle.

Elle n'était pas attendue, mais elle n'était pas surprise non plus.

Elle ne s'arrêta qu'une fois arrivée devant la grande pierre rituelle. Son cœur battait si fort qu'elle crut un instant que la roche elle-même vibrerait à son rythme.

C'est alors qu'il apparut.

Eryan.

Comme un orage dans un ciel encore bleu. Grand, le port altier, les cheveux sombres retenus par un lien de cuir. Ses yeux étaient de glace et de feu à la fois - une chose rare chez les loups. Il n'avait que quelques années de plus qu'elle, mais portait sur ses épaules le poids de plusieurs vies.

Il ne dit rien en la voyant. Pas d'insulte, pas d'accueil. Seulement ce regard qui ne la quittait pas, comme s'il pouvait percer ses pensées, y chercher les miettes de trahison ou les relents d'espoir.

Elle, elle sourit. À peine.

« Tu as changé, Eryan. »

Il haussa un sourcil. « Pas autant que toi, semble-t-il. »

Le silence qui suivit était presque plus douloureux qu'un coup de griffe.

« Je ne suis pas revenue pour faire la paix, » lança-t-elle, la voix basse mais ferme.

« Je sais. » Il croisa les bras. « Tu es revenue pour le contrat. »

Elle s'immobilisa. Tout en elle se tendit.

« Tu crois à ces rumeurs, alors ? »

Il s'approcha. Lentement. Sans menace, mais avec cette autorité silencieuse qui faisait de lui un futur Alpha redouté.

« Ce ne sont plus des rumeurs. Le conseil a scellé l'accord. Ton père l'a signé avant sa chute. Et ta mère... avant sa mort. »

Un vertige l'envahit. Elle sentit son loup hurler de l'intérieur. Elle aurait voulu s'enfuir, se transformer, tout détruire. Mais elle resta là, droite, digne. Comme sa mère l'aurait fait.

« Un mariage, entre toi et moi, pour unir nos meutes ? » Elle ricana, amère. « C'est ridicule. Nous avons du sang sur les crocs. Mon frère est mort par la main des tiens. »

Un éclair passa dans les yeux d'Eryan. Il ne répondit pas immédiatement.

« Et tu crois que c'était facile pour moi ? » Sa voix était rauque, presque douloureuse. « Tu crois que je voulais ça ? »

« Alors refuse. » Elle planta son regard dans le sien. « Dis-leur non. Dis-le-leur à tous. »

Il se détourna.

« Je ne peux pas. Pas cette fois. »

Elle inspira profondément, les poings serrés. « Tu choisis l'ordre plutôt que la vérité. »

Il se retourna vers elle. « Je choisis la paix. »

Un rire brisé s'échappa de sa gorge.

« Tu n'as aucune idée de ce que ça coûte, la paix. »

Il s'approcha d'elle, si près qu'elle put sentir l'odeur de cendre et de pin sur sa peau.

« Et toi, Nyra ? Tu crois que la vengeance vaut plus que l'avenir ? »

Elle ne répondit pas. Parce qu'elle ne savait plus.

Ils restèrent ainsi, suspendus dans un moment trop lourd, trop chargé, trop intime. Puis une voix s'éleva derrière eux. C'était Argen.

« Le conseil se réunira demain. Votre union sera annoncée devant la meute. »

Eryan hocha la tête sans quitter Nyra des yeux.

Elle, elle ne bougea pas. Même quand les autres commencèrent à s'approcher, à l'entourer, à la jauger.

Même quand une main lui frôla l'épaule avec mépris.

Même quand on chuchota, juste assez fort pour qu'elle entende : « Elle revient pour être reine. »

Elle ne dit rien.

Mais à l'intérieur, quelque chose grondait.

Elle savait que ce mariage n'était pas qu'un jeu politique. Quelque chose d'ancien remuait. Une énergie familière. Une présence...

Elle leva les yeux vers la lune qui se dressait, fine et pâle.

Quelque chose allait changer. Elle le sentait dans ses os. Dans son sang.

Et peut-être... dans le regard d'Eryan aussi.

Il n'y avait plus de retour possible.