Chapitre 3 Chapitre 3

- Il portait un médaillon identique au tien, Eryan. Identique.

Nyra lança la chaîne métallique sur la table de bois, entre eux deux. Le tintement claqua comme une gifle dans le silence tendu de la pièce. Elle se tenait droite, les yeux foudroyants, les poings serrés. Elle n'avait pas dormi. Pas mangé. L'adrénaline, la peur, la douleur de la veille - tout bouillonnait encore en elle.

Eryan regarda le médaillon sans le toucher. Un ovale noirci, marqué du sceau ancien des Meutes Originelles. Il en avait un semblable, rangé dans un tiroir qu'il n'ouvrait jamais. Parce qu'il savait ce qu'il contenait. Ce qu'il représentait.

- Où l'as-tu trouvé ? demanda-t-il.

- L'un des bannis qui m'ont attaquée le portait. Je l'ai arraché de son cou. Il n'a pas résisté longtemps après. Je l'ai fait parler. Avant qu'il ne crève, il a murmuré un nom.

Elle fit une pause, le regard vrillé au sien.

- Kaël.

Eryan ne bougea pas. Mais quelque chose se crispa dans sa mâchoire.

- C'est impossible, dit-il à voix basse. Kaël est mort. Il est tombé pendant la prise du col d'Okaran. Ton père l'a confirmé. J'y étais.

- Alors pourquoi son nom continue à courir entre les lèvres de ceux qui rôdent dans l'ombre ? Pourquoi ce médaillon est-il revenu à moi, quinze ans plus tard ? Pourquoi tu pâlis quand j'en parle ?

Il ferma les yeux. Un instant. Juste un instant. Puis il se redressa lentement, sans fuir son regard.

- Parce que je l'ai connu.

Le silence qui suivit fut plus lourd que le plomb.

- Tu l'as connu ?

- Avant la guerre. Avant que nos meutes ne deviennent ennemies. Lui et moi... on se croisait lors des Convergences. Il n'avait que deux ans de plus que moi. Il venait seul, sans escorte. Curieux. Trop franc pour son propre bien. On se parlait. On s'entraînait parfois, loin des regards. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme lui. Il était... libre.

Nyra sentit sa gorge se nouer. Elle ne savait pas si c'était la surprise ou la colère.

- Tu me l'as jamais dit.

- Parce que ça ne devait pas sortir. Déjà à l'époque, nos anciens sentaient que quelque chose se tramait. Kaël essayait d'empêcher la guerre. Il voulait convaincre ton père de chercher un autre chemin. Mais il s'est fait taire.

- Par qui ? cria-t-elle presque. Par qui ?

- Je ne sais pas. Je te jure que je ne sais pas.

Elle tourna les talons, fit quelques pas. Ses ongles s'enfonçaient dans ses paumes. Sa voix trembla.

- Il n'était pas qu'un frère, Eryan. Il était tout pour moi. Quand il est mort, j'ai perdu ma boussole. Et maintenant, tu m'apprends qu'il aurait pu être en contact avec l'ennemi ? Avec toi ? Et tu me l'as caché ?

- Il n'était pas ton ennemi. Pas le mien non plus. Pas vraiment.

Il s'avança d'un pas, tendit la main vers elle, sans la toucher.

- Ce que je vais dire va te brûler, Nyra. Mais je crois que Kaël n'est pas mort comme on nous l'a dit.

Elle se figea.

- Tu crois ? répéta-t-elle.

- Je me souviens. D'un hurlement. Ce n'était pas celui d'un guerrier qui meurt. C'était un appel. Comme s'il avait vu quelque chose... ou quelqu'un.

- Et tu n'as rien fait ? Tu l'as laissé ?

- J'étais à terre, blessé. J'ai rampé vers lui, mais la poussière, le feu, les cris... Et puis, on a retrouvé son corps calciné deux jours plus tard. Du moins, c'est ce qu'on m'a dit. Il n'y avait plus rien de reconnaissable.

Nyra se retourna, fit face à Eryan. Son cœur cognait si fort qu'elle n'arrivait plus à respirer.

- S'il est vivant...

- Alors quelqu'un a tout fait pour qu'on croie le contraire.

Ils se dévisagèrent. Quelque chose de fragile se tendait entre eux. Une vérité suspendue. Un fil coupant.

- Tu me dois de m'aider, Eryan, dit-elle à voix basse. Si tu savais, si tu étais là ce jour-là... alors tu me dois ça.

Il hocha lentement la tête.

- Je vais t'aider. Mais il faut qu'on soit discrets. Les anciens n'accepteront jamais qu'on gratte cette blessure.

- Tu penses que ta meute est impliquée ?

Il hésita.

- Je pense que la vérité va faire tomber plus d'un masque. Des deux côtés.

Un frisson remonta le long de la nuque de Nyra. Pour la première fois depuis son retour, elle sentit que la mort de Kaël n'était pas un point final. Mais un commencement.

- Il avait un carnet, dit-elle soudain, en fouillant dans sa veste. Il écrivait toujours. Des choses qu'il ne disait à personne. J'ai réussi à récupérer un morceau de page dans l'ancien grenier. Juste un bout, à moitié brûlé.

Elle le tendit à Eryan.

Il le prit, lu à voix haute :

- « Les deux sangs s'uniront sous la lune scellée. Ce jour-là, la porte s'ouvrira. Kaël. »

Ils restèrent silencieux.

- Tu crois qu'il parlait de nous ? murmura Nyra.

- Je crois qu'il savait. Longtemps avant nous. Longtemps avant ce pacte.

Un murmure monta dans le lointain. Un hurlement. Celui d'un loup. Isolé. Grave.

Eryan se rapprocha.

- S'il y a une vérité, on la trouvera. Même si elle nous brise.

Nyra releva les yeux vers lui. Dans son regard, elle ne vit plus seulement l'ennemi, le mari imposé. Elle vit un lien, fragile et inconfortable. Mais réel.

- Et s'il est vivant... tu crois qu'il nous attend ?

- Ou qu'il nous observe déjà.

- Le silence entre eux n'était plus simplement pesant, il était devenu quelque chose de plus dense, plus chargé. Il vibrait, comme l'air juste avant un orage. Nyra avait reculé d'un pas après avoir lu les mots de Kaël, mais Eryan n'avait pas bougé. Il la regardait avec cette intensité calme et brûlante qui la rendait fébrile. Un regard qui ne fuyait rien, pas même ce qui était interdit.

-

- Ses doigts effleurèrent ceux de Nyra quand il lui rendit le fragment de papier. Elle ne recula pas. La chaleur de sa peau contre la sienne provoqua un frisson qui descendit le long de son dos.

-

- - Il savait, murmura Eryan.

-

- - Oui.

-

- Ses yeux remontèrent jusqu'aux siens. Et là, quelque chose se brisa. Ou s'ouvrit. Elle ne sut pas.

-

- Il était si proche. Trop proche. Et elle ne le repoussa pas.

-

- Son souffle toucha le sien. Il s'arrêta. Leurs visages séparés par un souffle à peine. Les regards ancrés, tendus, suspendus à un fil.

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- Le cœur de Nyra battait à en rompre ses côtes. Il n'y avait plus d'obligation, plus de pacte, plus de guerre dans ce moment. Juste deux âmes abîmées qui vacillaient dans une faille.

-

- Leur front se frôla. Elle sentit ses lèvres tout près. Le monde entier se rétracta jusqu'à ce point de tension brûlante.

-

- Mais il ne l'embrassa pas.

-

- Il ferma les yeux, le souffle court, et recula d'un pas. Un seul. Mais suffisant.

-

- - Pas maintenant, dit-il, la voix grave.

-

- Nyra ne dit rien. Mais ses doigts tremblaient encore. Et son souffle portait déjà le goût d'un baiser qui n'avait pas eu lieu.

            
            

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