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Sous l'emprise des loups

Beugre Colette
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Chapitre 1 01

Les collines s'étendaient à perte de vue, tapissées de terres sèches, où l'ombre des arbres offrait une rare promesse de fraîcheur. La chaleur de l'après-midi enveloppait chaque parcelle de terrain, l'air chargé de poussière flottait comme un voile invisible sur tout ce qui l'entourait. Nairobi marchait seule, son regard perçant balayait l'horizon, mais ses pensées restaient dans l'ombre de ses souvenirs. La route, usée par des années d'errance, s'étendait devant elle comme une promesse de liberté. Mais cette liberté, elle la portait en elle, bien plus que sur cette terre stérile.

Violette marchait un peu plus loin, silencieuse elle aussi. Elles avaient l'habitude de ces moments partagés dans un mutisme presque confortable, un respect tacite pour l'espace de l'autre, bien que leurs esprits aient chacun leurs propres zones d'ombre. Nairobi savait qu'aujourd'hui, quelque chose était différent. Pas un simple frémissement dans l'air, mais une sensation plus nette. Une vibration presque palpable, comme si la terre elle-même avait retenu son souffle. Un sentiment qu'elle n'arrivait pas à écarter, malgré tout ce qu'elle avait appris à fuir et à ignorer.

Le vent s'était levé un peu plus fort, traînant des effluves de forêt et d'humus, comme si le monde lui-même essayait de lui parler. Elle se figea, un instant. Ses sens étaient aiguisés, acérés. Elle se concentra sur le bruit de ses pas, sur la chaleur du sol sous ses pieds nus. Rien ne semblait normal. Ce n'était pas la chaleur qui la dérangeait, ni même la solitude des lieux. C'était quelque chose de plus subtil, un mouvement imperceptible qui passait sous sa peau. La présence d'un autre, quelque part dans les ombres.

Elle tourna brièvement la tête vers Violette, qui avançait à son rythme, insouciante. Aucun signe chez elle. Violette ne ressentait rien. Nairobi, cependant, ne pouvait se débarrasser de l'impression qu'ils n'étaient pas seuls. Que ce qu'elle avait cherché à éviter toute sa vie la rattrapait à présent. Les meutes du Sud n'étaient jamais loin. Des rumeurs sur des Alpha impitoyables, des loups devenus des légendes... Tout cela avait bercé son existence de mystères. Mais ces mystères n'avaient jamais été pour elle. Elle n'était pas née pour les suivre.

Mais le vent soufflait plus fort, secouant les feuilles mortes comme une étrange invitation. Elle baissa les yeux un instant, fermant les paupières, tentant de retrouver son calme. Quand elle les rouvrit, la sensation s'intensifia. Un écho. Là, à l'orée du bois, une silhouette se détachait dans la lumière déclinante de l'après-midi. Pas encore visible de façon nette, mais assez proche pour que son ombre se distingue. Il n'était pas grand, mais il avait une présence qui faisait taire l'air autour de lui, qui perturbait l'équilibre de la nature même. L'animal qu'il était - ou peut-être l'homme - semblait faire partie de cette terre qu'il foulait. Une terre qu'il dominait sans effort, sans gestes.

Nairobi s'arrêta. Un frisson parcourut sa nuque, un frisson que même la chaleur de l'environnement ne pouvait effacer. Son regard s'était braqué sur l'ombre qui restait presque immobile. La réalité semblait se déformer autour d'elle, comme si le temps lui-même hésitait à continuer de s'écouler.

Elle n'avait pas besoin de le voir pour savoir ce que cela signifiait. Elle ne l'avait pas encore reconnu, mais l'instinct ne se trompait pas. Un Alpha. Un autre. Et celui-là, il n'était pas comme les autres. Elle pouvait le sentir dans l'air. Un pouvoir ancien, de ceux qui ne se plient pas aux lois établies, aux règles des autres meutes.

Elle fit un pas en arrière, mais ses pieds restèrent figés. L'instinct l'ordonnait, la poussait à avancer, à comprendre, à faire face. Ses muscles se tendirent comme un arc prêt à se détendre, mais une part d'elle, plus profonde encore, savait qu'elle n'avait pas la liberté de fuir cette fois-ci. Quelque chose allait se jouer ici, dans l'espace entre eux, invisible mais tangible, une rencontre de forces et de volontés qui ne pouvaient plus être ignorées.

L'ombre se déplaça légèrement. Nairobi, à cet instant précis, sut que sa vie venait de basculer.

Les minutes s'étiraient comme un long filet d'eau, indéfinissable et hypnotique, tandis que la silhouette restait là, toujours immobile mais parfaitement consciente de sa présence. Nairobi pouvait sentir son cœur battre dans sa poitrine, chaque pulsation forte, irrégulière, résonnant dans ses tympans. Elle tenta de se concentrer sur sa respiration, de ramener ses pensées à la réalité de ce qu'elle connaissait, mais la scène devant elle était trop étrange, trop insolite pour la laisser indifférente.

Violette, qui n'avait pas encore remarqué le changement dans l'atmosphère, se retourna enfin, attirée par le silence soudain qui enveloppait Nairobi. Elle scruta les alentours, son regard glissant sans se fixer sur l'ombre en périphérie, mais Nairobi savait que tout allait basculer à cet instant. Elle allait devoir faire face à ce qui l'effrayait. À ce qu'elle fuyait depuis si longtemps. Pas un simple Alpha comme tant d'autres. Ce loup-là était différent. Il n'était pas un prédateur comme les autres. Il incarnait quelque chose d'encore plus insidieux, d'encore plus imposant : le pouvoir absolu.

Elle se redressa, les bras légèrement écartés de son corps, prête à réagir, prête à prendre l'offensive. Elle savait que l'alpha ne montrerait pas ses intentions immédiatement. Les loups de cette stature ne se dévoilaient pas facilement. Chaque mouvement était mesuré, chaque parole choisie avec une précision dangereuse. Ils n'avaient pas besoin de gestes ostentatoires, ils imposaient le respect par la seule présence de leur essence. Et cette essence, Nairobi la sentait presque palpablement maintenant.

Enfin, après ce qui sembla être une éternité, l'ombre bougea. Lentement, comme si elle mesurait chaque pas, chaque angle dans lequel il choisissait de se dévoiler. Le ciel semblait se resserrer autour de lui, les ombres des arbres se courbant comme pour lui offrir une scène. Et puis, il émergea pleinement, sa silhouette se détachant de la pénombre avec une majesté déstabilisante.

Il était imposant, bien plus que les simples descriptions que Nairobi avait pu entendre sur les Alphas du Sud. Son regard glissa sur elle, sans effusion, mais avec une telle intensité qu'elle sentit la chaleur de son regard comme une brûlure sur sa peau. Il n'y avait rien de tendre dans ses yeux, rien de doux. Ce n'était pas un homme ou un loup, c'était un roi. Un roi sans couronne.

Il s'avança encore, son pas lent mais sûr, comme une lourde onde de pouvoir qui se déployait à chaque mouvement. Nairobi, malgré son calme apparent, sentit un léger frémissement dans ses entrailles. Elle avait toujours cru qu'elle pouvait tout contrôler. Que la liberté était un territoire qu'elle pouvait choisir, une distance qu'elle pouvait maintenir entre elle et les autres. Mais il y avait quelque chose dans cette présence qui effaçait toute notion de contrôle, qui balayait les certitudes qu'elle avait construites.

"Je ne m'attendais pas à te rencontrer ici", dit-il enfin, sa voix basse, rauque, mais pourtant parfaitement audible, comme s'il n'avait pas besoin de crier pour que chaque mot atteigne sa cible. "Mais il semble que l'univers ait d'autres plans pour nous."

Nairobi resta silencieuse, les yeux fixés sur lui, son esprit en proie à une multitude de pensées contradictoires. Elle ne répondit pas tout de suite. Elle savait que chaque mot qu'elle prononcerait serait une arme, une ouverture. Et elle n'était pas encore prête à l'affronter sur ce terrain-là.

Violette, toujours en retrait, perçut le changement d'atmosphère. Ses yeux se plissèrent légèrement, une brume de confusion se peignant sur son visage. Elle s'avança d'un pas, son instinct lui soufflant de ne pas laisser Nairobi seule face à cette inconnue. Mais Nairobi fit un geste subtil pour la stopper. Elle n'avait pas besoin de protection. Pas maintenant. Ce n'était pas un simple ennemi. C'était plus que cela. C'était un défi à tout ce qu'elle pensait connaître.

Le loup en face d'elle, cet Alpha, n'était pas juste un homme de pouvoir. Il incarnait une force, un principe. Ce que les autres loups cherchaient à atteindre, mais n'avaient jamais osé franchir. Il était le sommet de la hiérarchie, celui qui dictait les règles sans jamais avoir à les expliquer.

"Tu cherches quelque chose, ou tu te contentes de fuir ?" demanda-t-il, sa voix calme mais pleine d'une certitude écrasante. Il ne semblait pas attendre une réponse immédiate, mais Nairobi savait que chaque instant passé sans répondre était un instant où il pouvait mieux la cerner, mieux comprendre ses faiblesses.

Elle leva légèrement le menton, son regard ne quittant pas le sien, son cœur battant fort dans sa poitrine. "Je ne fuis pas", répondit-elle enfin, chaque mot mesuré, mais chargé de la même tension qui emplissait l'air autour d'eux. "Je suis simplement en quête de ce que j'ai perdu. Et ça n'a rien à voir avec toi."

Il la fixa un instant, comme si ses mots n'avaient pas d'importance. Mais au fond de ses yeux brillait une lueur d'intelligence calculatrice. Un sourire fin se dessina sur ses lèvres, imperceptible mais significatif.

"Nous verrons bien", murmura-t-il. Et sans un autre mot, il tourna le dos, s'éloignant lentement, comme une ombre se fondant dans la lumière mourante du jour.

Nairobi resta là, immobile, absorbée dans un tourbillon de pensées. Un nouvel ennemi venait de s'inviter dans son monde, mais elle ne savait pas encore à quel point il allait redéfinir ce qu'elle croyait savoir sur elle-même.

            
            

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