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Les filles de l'ombre

Les filles de l'ombre

img Loup-garou
img 5 Chapitres
img Beugre Colette
5.0
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Résumé

Synopsis : Sasha n'a jamais eu le luxe de vivre une enfance paisible. Depuis sa naissance, sa vie a été une fuite incessante. Traquée par ceux de sa propre espèce, elle n'a cessé de courir, de se cacher, de se réinventer à chaque nouvelle destination. Pourquoi ? Parce que sa mère, une sorcière autrefois vénérée, est désormais une fugitive recherchée par les pouvoirs surnaturels du monde entier. Et quand votre mère est mise à prix avec une récompense à six chiffres, la liberté n'est plus qu'un mirage lointain. Mais un jour, épuisée de cette vie de cavale, sa mère décide d'arrêter de fuir. Elle accepte un poste en tant que directrice de la section des Sorcières à Saint Maxime, une école prestigieuse où les êtres surnaturels sont formés à vivre dans un monde qu'ils ne comprennent pas toujours. Pour Sasha, c'est un choc : elle doit intégrer cette école, un lieu où tout est nouveau, où les règles sont bousculées, et où elle doit cacher son identité pour rester en sécurité. Au lieu d'être acceptée dans l'une des sections où elle pourrait enfin se retrouver parmi les siens, Sasha est envoyée chez les Tueurs, une section composée de demi-surnaturels arrogants et dangereux. Entre un groupe de jeunes têtes brûlées qui n'ont d'autre but que de la pousser à bout, un loup-garou lunatique qui semble prendre un plaisir sadique à l'ignorer, et une multitude de créatures surnaturelles plus immatures les unes que les autres, Sasha doit apprendre à survivre dans cet univers où l'hostilité est omniprésente. Mais au-delà de son combat quotidien pour se faire une place, il y a aussi sa mère, dont les accès de colère menacent de détruire tout l'établissement, et ses secrets qui pourraient bien tout faire basculer. Chaque jour, Sasha se retrouve piégée entre l'envie de fuir à nouveau et la nécessité de faire face à ses démons. Dans un monde où l'ennemi peut être aussi bien un camarade qu'un professeur, où chaque décision pourrait signifier la fin de tout, Sasha devra affronter bien plus que sa peur du rejet : elle devra choisir entre garder son secret ou risquer de tout perdre, y compris la dernière chance qu'elle ait de trouver sa place dans un monde qu'elle a toujours cherché à fuir.

Chapitre 1 01

Le moteur de la voiture gronda une dernière fois avant de s'éteindre dans un soupir presque soulagé. Sasha resta figée, la main crispée sur la poignée de la portière, incapable de se convaincre que ce n'était pas encore une étape de plus dans une longue fuite. Le silence qui s'installa n'avait rien de rassurant. Il était dense, pesant, rempli de ces non-dits qui s'accumulaient entre elle et sa mère depuis des années.

Devant elle, la silhouette de Saint Maxime se découpait dans la brume. L'école ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait imaginé. Pas de tours brillantes ou de vitraux enchanteurs comme dans les contes pour sorciers. Elle se dressait, austère et immobile, avec ses pierres noircies par le temps, ses fenêtres étroites semblables à des meurtrières, et ses toits déformés par les siècles. C'était un lieu ancien, hanté par ses propres lois. Il n'accueillait pas, il jugeait.

Sa mère descendit la première, claquant la portière sans un mot. Toujours ce silence. Depuis plusieurs semaines, elle parlait peu, comme si l'idée même de se justifier l'épuisait. Elle avançait maintenant vers les grandes portes de fer forgé, droite, digne, les cheveux noués en un chignon sévère. Elle n'avait plus rien de la fugitive qui se dissimulait sous des capuches et des faux noms. Elle redevenait la Sorcière Blanche, la même qui faisait frissonner les Anciens dans les conclaves secrets. Sasha la suivit à contrecœur, le cœur battant, incapable de chasser cette sensation d'être livrée à quelque chose d'immense.

Une cloche résonna quelque part dans l'enceinte. Grave, profonde. Chaque note semblait gratter les murs, réveiller des échos endormis.

L'intérieur de l'école était pire encore. Froid. Organique. Les couloirs semblaient vivants, avec des murs qui chuchotaient, des ombres qui se repliaient à leur passage. Des tableaux accrochés de travers murmuraient dans des langues oubliées. Des escaliers bougeaient à peine, comme s'ils se repositionnaient quand personne ne les regardait.

Des élèves passaient, certains pressés, d'autres traînants, tous marqués par quelque chose de particulier : une lueur dorée dans les yeux, une marque gravée dans la peau, un éclat de voix qui vibrait trop longtemps. Sasha se sentait transparente au milieu d'eux, et pourtant elle devinait que certains savaient.

Elle fut conduite sans explication vers une salle administrative. On lui demanda son nom, puis on lui tendit une enveloppe scellée d'un sceau qu'elle ne reconnut pas. Le papier tremblait légèrement sous ses doigts.

"Section des Tueurs."

Le sang se vida de son visage. Sa mère, en face d'elle, resta impassible. Un battement de silence les enferma toutes les deux. Sasha n'osa pas protester. Pas ici. Pas devant ces regards qui semblaient jauger chaque réaction.

Les Tueurs. Pas une section ordinaire. Ce n'était pas un groupe d'élèves particulièrement forts, ni même formés à la chasse surnaturelle. C'étaient des créatures hybrides, instables. Demi-sang, demi-humains, rejetés de toutes les autres sections. Violents. Imprévisibles.

Son dortoir fut aussi sinistre que le reste : un couloir souterrain, humide, où les pierres suintaient de l'eau noire et les portes grinçaient comme des bêtes blessées. Elle déposa sa valise - une simple besace rapiécée - sur un lit métallique aux draps rêches.

Un rire se fit entendre derrière elle. Pas moqueur. Curieux. Presque désolé. Elle se retourna.

Un garçon à la peau mate, aux yeux vert de gris, la fixait depuis l'embrasure de la porte. Un loup-garou. Elle le sentait. Son aura vibrait comme une corde tendue. Il ne dit rien, mais son regard était clair : Tu n'as rien à faire ici.

Puis il disparut.

Plus tard dans la nuit, elle entendit les autres. Des voix, des insultes murmurées, des grognements à travers les cloisons. Une fille pleurait. Un garçon répétait en boucle un nom qu'elle ne comprenait pas. Un silence pesant suivait chaque bruit, comme si l'école elle-même écoutait.

Elle tenta de dormir. Mais Saint Maxime ne dormait jamais.

Et au fond de sa poitrine, sous les couches de peur, une colère sourde commençait à naître.

Le matin arriva sans qu'elle ne l'ait vu venir. Il s'imposa, abrupt, par la lumière blafarde qui filtrait à travers les fentes d'un volet disloqué. Les bruits du couloir revinrent peu à peu. Des pas lourds. Des grognements étouffés. Une porte qu'on claque. On se serait cru dans un pensionnat pour criminels, pas dans une école censée éduquer les êtres les plus puissants du monde surnaturel.

Sasha se redressa lentement, les muscles tendus, les paupières lourdes. Elle n'avait pas fermé l'œil. Chaque bruit, chaque souffle nocturne avait alimenté ses peurs. Pourtant, une part d'elle refusait de flancher. Il était hors de question de donner satisfaction à ceux qui attendaient qu'elle s'effondre.

Elle enfila les vêtements que sa mère lui avait laissés dans sa valise : une tunique noire simple, sans ornement, et une ceinture de cuir. Rien qui ne l'identifie. Rien qui ne la trahisse. C'était toujours comme ça. Pas d'attaches. Pas de noms. Pas d'histoire.

En ouvrant la porte de sa chambre, elle faillit trébucher sur une masse recroquevillée à même le sol. Une fille, aux cheveux roux emmêlés, dormait là, en boule, les bras autour des genoux. Elle portait les marques de griffures anciennes sur les bras et une boucle d'oreille arrachée pendait encore à son lobe. Sasha recula, hésita à dire quelque chose, puis se ravisa. Ici, les règles semblaient floues. Peut-être que cette fille voulait dormir là.

En avançant dans le couloir, elle croisa d'autres élèves. Tous différents. Aucun ne lui adressa la parole. Mais tous la regardaient. Avec méfiance. Curiosité. Mépris.

Dans la salle commune des Tueurs, l'ambiance était glaciale. Une table centrale, en bois noir, couverte de traces de brûlures, de coupures, de symboles gravés à l'arme blanche. Autour, une dizaine d'élèves. Tous marqués. Certains physiquement, d'autres intérieurement. Elle le sentait.

Un garçon se leva quand elle entra. Grand, blond, les yeux bleu acier, et une voix douce, presque trop polie.

- T'es la fille de la sorcière. Pas vrai ?

Sasha ne répondit pas. Elle savait que ça n'était pas une question.

- Elle a vraiment fait exploser le sanctuaire de Kiev ? demanda un autre, assis en tailleur sur la table, un sourire en coin.

- Ils disent qu'elle a maudit trois Hauts-Mages en une seule incantation, ajouta une fille à la peau d'obsidienne, dont les yeux changeaient lentement de couleur.

Ils la fixaient tous, suspendus à sa réaction. Mais Sasha resta immobile, les traits figés. Ne pas réagir. Ne pas leur donner ce pouvoir.

- Elle est muette ? lança une voix grave derrière elle.

Elle n'eut pas besoin de se retourner pour reconnaître le loup-garou de la veille. Il s'assit sur le dossier d'une chaise, un croissant à moitié mâché dans la bouche. Son regard évitait le sien avec soin, comme si l'idée même d'un contact visuel lui était insupportable.

- Laisse-la, Maël. Elle tiendra pas une semaine, de toute façon, murmura la fille rousse qui venait d'entrer. Celle du couloir. Elle lui jeta un regard neutre, sans animosité. - C'est toujours comme ça. On en fout un nouveau tous les deux mois. Ils repartent en larmes, ou sur une civière.

Sasha croisa son regard. C'était la première à ne pas la regarder comme un objet étrange. Mais elle se méfiait. L'habitude.

Le silence tomba brutalement lorsqu'une porte latérale s'ouvrit. Une silhouette entra. Petite, sèche, avec un sourire qui n'atteignait jamais ses yeux.

- Professeur Argine, annonça-t-elle. Responsable de votre "section." C'est moi que vous détesterez le plus dans cette école.

Un léger rire, froid, s'éleva dans la salle. Argine était l'incarnation même de l'autorité cynique. Rien dans sa voix ne laissait penser qu'elle se préoccupait d'eux. Elle les observait comme on étudie des rats dans un labyrinthe.

- Vous êtes des anomalies, dit-elle simplement. Des erreurs de la génétique ou de la magie. Personne ne vous veut ailleurs, alors vous êtes ici. Et ici, vous apprenez à ne pas tuer.

Un silence dense s'installa. Un élève au fond ricana.

- Tu trouves ça drôle, Florent ? Tu veux retourner en isolement dans la Crypte ?

Le garçon pâlit.

Argine fit claquer ses doigts, et un mince parchemin se matérialisa devant elle.

- Aujourd'hui, évaluation des seuils de contrôle. Un par un. On commence par la nouvelle.

Sasha sentit son estomac se contracter.

- Suis-moi, dit Argine.

Les autres se poussèrent pour la laisser passer, certains murmurant des mots qu'elle ne comprit pas, dans des langues anciennes ou corrompues.

Elle suivit la professeure dans un couloir qui s'enfonçait profondément sous l'école. Plus ils descendaient, plus l'air devenait lourd, saturé de magie ancienne. Des runes vibraient sur les murs. Les marches semblaient éternelles.

Puis, ils arrivèrent devant une porte noire. Sans poignée. Elle s'ouvrit toute seule.

- Entre, dit Argine. Et essaie de ne pas perdre le contrôle. Sinon, tu ne ressortiras pas.

Sasha entra.

Et la porte se referma derrière elle.

Elle resta immobile, les bras le long du corps, le regard accroché à la pénombre opaque qui avalait les contours de la pièce. Il n'y avait pas de lumière, du moins pas celle qu'un être humain aurait pu percevoir. Pourtant, ses yeux s'adaptèrent lentement, captant les fluctuations étranges qui ondulaient dans l'air, comme une brume vivante saturée de magie résiduelle. Tout ici semblait fait pour désorienter, pour forcer celui qui entrait à s'exposer dans sa vulnérabilité la plus brute.

Une pulsation sourde s'éleva, lente, profonde. Elle n'émanait pas du sol ni des murs, mais d'un point précis dans la pièce, comme un cœur battant avec une régularité inhumaine. Un cercle apparut sous ses pieds, gravé de symboles mouvants qui changeaient d'aspect chaque fois qu'elle clignait des yeux. Elle n'avait jamais vu ce genre d'incantation. Ce n'était pas une langue. C'était un appel.

Une voix s'éleva, comme si elle provenait de l'intérieur de son crâne.

- Sors-toi de là. Tu sais ce qu'ils veulent. Tu sais ce que tu caches.

Elle serra les poings. Non. Ce n'était pas sa voix. Ce n'était pas elle. C'était la pièce. Ou l'école. Ou cette chose, cet artefact ou entité ancienne qui l'examinait comme un parasite sous un microscope. Elle se força à respirer lentement, à ignorer les murmures.

Mais ils devinrent des cris.

Des visages surgirent dans l'obscurité, des silhouettes à peine humaines, faites de fumée et de lumière fracturée. Des souvenirs ? Des illusions ? Non. Des fragments d'elle-même, arrachés à son esprit et projetés devant ses yeux comme une torture silencieuse.

Elle vit le visage de sa mère, les yeux fous, la magie déchaînée, les ruines derrière elles. Elle vit le feu. Elle vit la main qu'on avait arrachée à la sienne alors qu'on l'emmenait. Et elle vit ce qu'elle avait fait. Ce qu'elle s'était efforcée d'oublier.

Le cercle s'illumina d'un éclat violent. Une onde de magie jaillit sous ses pieds, la traversa comme un fouet invisible. Elle vacilla, plia les genoux mais ne tomba pas.

- Intéressant, souffla une voix au loin, presque amusée.

Argine. Derrière la paroi de verre qui venait de se révéler, invisible jusque-là, la professeure l'observait, les bras croisés. À ses côtés, une silhouette restée dans l'ombre, plus massive, plus dangereuse. Elle ne vit pas son visage. Mais elle sentit son regard. Comme une lame posée contre sa gorge.

- Vous avez vu ça ? murmura Argine à son interlocuteur. Le sort a tenté de réagir, mais elle l'a contenu. Elle a refusé.

- Ou elle l'a nié. Ce n'est pas pareil.

- Peu importe. Elle est plus stable que prévu. Peut-être même... trop stable.

- Ça pourrait être un problème.

- Ou une solution.

Sasha ne les entendait pas. Ou peut-être que si. Mais tout en elle hurlait maintenant. Sa magie, comprimée, refoulée, menaçait de se briser comme une digue fissurée. Elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas montrer. Pas ici. Pas à eux. Pas à ces gens qui l'avaient enfermée sans explication, qui l'évaluaient comme un monstre potentiel.

Elle serra les dents, planta ses ongles dans sa paume jusqu'à sentir le sang perler. Ce n'était pas la douleur qui l'apaisa. C'était le contrôle. Le rappel que c'était elle, et personne d'autre, qui décidait. Ce pouvoir, il était à elle. Pas à cette école. Pas à Argine. Pas à l'ombre qui la fixait.

Le cercle s'éteignit d'un coup, comme si la pièce elle-même avait abdiqué. Le silence revint, pesant, écrasant.

La porte s'ouvrit.

- Tu peux sortir, dit Argine d'un ton neutre.

Sasha mit quelques secondes à bouger. Ses jambes tremblaient, mais elle marcha avec la lenteur digne de ceux qui refusent d'être vaincus.

Lorsqu'elle sortit, elle croisa le regard de l'ombre. Et elle sut. Ce n'était pas un professeur. Ce n'était pas un élève non plus. C'était autre chose.

Un observateur.

Quelqu'un que sa mère aurait reconnu.

Et qui venait peut-être de comprendre ce que Sasha ne savait pas encore elle-même.

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