Chapitre 3 03

Chancelle sembla approuver d'un hochement de tête, mais ses yeux restaient sombres, emplies d'une inquiétude que seul le temps pourrait dissiper. Elle s'éloigna doucement d'Elara, s'approchant de la fenêtre de la cabane pour observer l'horizon. La lumière du jour mourait lentement, et la nuit semblait se resserrer autour de la forêt comme un linceul.

"Ce n'est pas une simple aventure que tu t'apprêtes à entreprendre," dit-elle sans se retourner. "Ce que tu cherches n'est pas seulement une réponse, Elara. Tu vas réveiller des forces que même les plus anciens ne comprennent plus. La forêt a ses règles, ses secrets, et tu n'es qu'une novice dans ce monde-là."

Elara s'avança d'un pas, son regard plongé dans celui de la prêtresse, cherchant à capter toute l'intensité de ses paroles. "Je suis prête. Je n'ai pas le choix."

"Peut-être," murmura Chancelle. "Mais sache que chaque pas que tu fais te rapproche de quelque chose que tu ne peux pas imaginer."

La porte de la cabane se ferma dans un léger grincement, et l'air s'alourdit. Ricardo s'était levé et se tenait près de la cheminée, l'expression de son visage dure comme la pierre, mais ses yeux restaient tendus, soucieux. Il observait Elara comme un chasseur observant sa proie, avec une patience et une inquiétude mêlées.

"Tu comprends ce que tu dis, Elara ?" demanda-t-il enfin, brisant le silence pesant. "Tu dis que tu es prête à faire face à tout cela. Mais les forêts ne se laissent pas dompter si facilement. Elles se nourrissent des âmes qui s'y aventurent."

Elle le regarda en silence un moment, son cœur battant plus fort. "Je suis fatiguée de fuir. Si je reste ici, à attendre, alors je laisserai la forêt me dévorer de l'intérieur. Peut-être que j'ai besoin de comprendre. Peut-être que je suis prête à découvrir ce qu'il y a dans ses profondeurs."

Ricardo la scruta, ses sourcils froncés. "La forêt te fait une promesse. Une promesse de pouvoir, de savoir. Mais elle prend aussi ce qu'elle donne. Et ce qu'elle peut prendre... personne ne peut le prédire."

Un long silence s'installa entre eux, lourd de non-dits, de doutes et d'inquiétudes. Le vent soufflait désormais fort, et l'air semblait plus froid, plus mordant. La forêt elle-même semblait être en attente, comme un spectre invisible aux frontières de la réalité. Elara pouvait presque la sentir, ses racines s'étendant sous la terre, son souffle, son murmure, sa colère.

"Je vais y aller," dit-elle finalement, sa voix s'affermissant à mesure qu'elle s'approchait de la porte. "Je dois comprendre. Vous m'avez dit que la forêt m'a choisie. Alors, je vais accepter son appel."

Ricardo s'approcha lentement, comme s'il voulait lui dire quelque chose, mais il se tut. Au lieu de cela, il posa une main sur son épaule, un geste d'une douceur étrange pour quelqu'un d'aussi dur et distant. "Va. Mais sache ceci, Elara : la forêt ne se contente pas de te montrer la vérité. Elle te montre aussi ce que tu désires voir, ce que tu veux voir. Mais tout cela a un prix."

Il la regarda un instant avant de détourner les yeux, comme s'il ne pouvait pas la soutenir plus longtemps. C'était son propre combat, et il ne pouvait pas intervenir. Il y avait des moments où même l'homme le plus puissant devait se retirer et laisser le destin prendre le relais.

Elara ouvrit la porte avec une main tremblante, sentant l'air frais se glisser sur sa peau. La forêt s'étendait devant elle, vaste, sombre, imprévisible. Les arbres semblaient se courber vers elle, comme une mer de silhouettes qui chuchotaient des secrets oubliés. Chaque branche, chaque racine semblait lui murmurer son nom, l'invitant à entrer plus profondément.

Elle prit une grande inspiration, son cœur battant la chamade. Puis, sans plus de réflexion, elle fit un pas en avant, franchissant la limite invisible qui séparait le monde des vivants et celui des mystères.

Dès qu'elle pénétra sous les arbres, un étrange silence l'envahit. Les bruits du monde extérieur s'étaient soudainement éteints, comme si la forêt avait absorbé tous les sons, les faisant disparaître dans son propre souffle. Les racines sous ses pieds étaient vivantes, frémissant sous son poids, comme des serpents endormis qui se réveillaient lentement.

Elle s'avança plus profondément, ses pas devenant de plus en plus silencieux. Le sol était humide, la mousse fraîche sous ses pieds nus. Autour d'elle, l'obscurité était presque totale, sauf pour les éclats de lumière qui perçaient à travers le feuillage, créant des ombres étranges qui semblaient bouger, s'étirer.

Soudain, un craquement retentit derrière elle. Elle se figea, tendant l'oreille. Mais il n'y avait rien. Le silence revenu. Ou presque.

Elle marcha encore, chaque mouvement plus mesuré, comme si l'environnement l'observait. Les arbres se courbaient comme des géants silencieux, leurs troncs pleins de secrets qu'ils n'étaient pas prêts à partager. Chaque souffle qu'elle prenait semblait plus lourd que le précédent. Les murmures de la forêt devenaient plus distincts, et elle les écoutait attentivement, essayant de déchiffrer ce qu'ils voulaient lui dire.

Le vent soufflait à travers les feuilles, et les murmures devenaient plus clairs, presque distincts. Des voix, anciennes et usées par le temps, semblaient lui parler directement dans son esprit, chuchotant des mots qu'elle ne comprenait pas entièrement. Parfois, elles se mêlaient à un cri, à un éclat de douleur lointain, comme un écho d'un passé oublié, une mémoire qui refusait de se dissiper.

Les racines sous ses pieds frémissaient à chaque pas, comme si elles reconnaissaient sa présence, comme si elles savaient ce qu'elle était. Chaque bruissement, chaque vibration du sol la poussait plus loin dans l'obscurité, à la recherche de quelque chose de plus grand, de plus ancien, de plus vaste.

Elara s'arrêta soudainement. Un frisson lui parcourut l'échine. Devant elle, entre les troncs massifs d'un arbre aux racines si profondes qu'elles semblaient traverser le monde entier, une lumière étrange et phosphorescente flottait. Une lueur vacillante, d'un vert surnaturel, filtrait à travers les branches. C'était là, quelque part dans l'obscurité, au centre même de la forêt, où tout semblait converger.

Elle s'approcha lentement, ses pas se faisant de plus en plus hésitants. Le froid se faisait plus intense, ses muscles se raidissant au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de la lumière. Un souffle lourd, presque imperceptible, s'échappait du sol, comme si la forêt elle-même respirait, comme un être vivant.

Les murmures se firent plus forts, plus pressants. Ils devenaient des chuchotements frénétiques, des paroles décousues, des avertissements, des promesses. "N'entre pas plus loin", lui disait une voix profonde, ancienne, venue des racines mêmes de la terre. "C'est là que tout commence et tout finit."

Mais Elara continua à avancer. Elle sentait que quelque chose l'appelait, quelque chose qu'elle ne pouvait pas ignorer. Elle n'était pas simplement là par hasard. La forêt l'avait choisie, et maintenant, elle ressentait cette connexion plus forte que jamais, comme un lien invisible qui la reliait à cet endroit maudit.

Arrivée devant la lumière, elle s'agenouilla, les mains tremblantes, et posa ses paumes contre le sol froid. Un frisson la traversa alors qu'elle touchait une racine qui semblait pulser sous ses doigts. C'était comme si la terre elle-même réagissait à son contact. La lumière verte s'intensifia, et un souffle puissant, comme un vent invisible, traversa les arbres, faisant s'agiter les feuilles dans une danse frénétique.

Soudain, un éclat de lumière éblouissant jaillit, et une voix, plus forte que toutes les autres, rugit dans son esprit. "Tu es prête, Elara."

Elle ferma les yeux sous l'intensité de la lumière. La forêt semblait la digérer, l'englober tout entière, et elle sentit son esprit se libérer, s'étirer dans des directions qu'elle n'avait jamais imaginées. Des visions défilèrent devant ses yeux clos, des visions du passé, des souvenirs, des paysages étrangers, des événements qui n'avaient jamais eu lieu, mais qui semblaient étrangement familiers.

Des racines émergèrent du sol autour d'elle, s'enroulant doucement autour de ses bras et de ses jambes, comme pour la guider, l'ancrer à cet endroit. Un bourdonnement doux, presque musical, commença à résonner, une mélodie ancienne, comme si la forêt chantait une chanson oubliée depuis des siècles.

Une image apparut soudainement devant ses yeux, claire et nette. La forêt, dans sa grandeur infinie, l'entourait, mais elle n'était pas seule. Une silhouette, floue et indistincte, se tenait devant elle, grandiose, une présence imposante et menaçante à la fois. Le visage de la silhouette semblait se tordre, se confondre avec la nature elle-même, comme si elle faisait partie de la forêt.

"Tu ne peux pas fuir ce que tu es," dit la silhouette d'une voix rauque et déformée. "Tu es liée à moi. À nous. Nous sommes la forêt. Et nous avons un prix à réclamer."

Le sol trembla sous ses pieds. Un cri perça l'air, puissant, déchirant. Elara se redressa brusquement, le cœur battant à tout rompre. Ses mains se crispaient autour des racines qui l'avaient enserrée, et elle sentit une douleur lancinante s'emparer de son corps. La lumière s'intensifia encore, aveuglante, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus rien voir, à part la sensation de se perdre dans un tourbillon de pouvoir et de douleur.

Puis, tout s'arrêta.

Le silence se fit. Il était lourd, oppressant, comme si le monde entier s'était figé dans l'attente. Les racines se retirèrent lentement, et la lumière verte s'éteignit, ne laissant derrière elle que l'obscurité de la forêt, mais une obscurité différente, comme si quelque chose de nouveau venait de naître.

Elara, les genoux sur le sol, se releva lentement. Elle n'était plus la même. La sensation de pouvoir qui l'avait envahie était maintenant comme une brume qui flottait autour d'elle. La forêt l'avait choisie. Et maintenant, elle était liée à elle, d'une manière que personne ne pouvait comprendre.

Elle ne savait pas ce que l'avenir lui réservait, mais elle savait une chose : elle ne pouvait plus revenir en arrière.

            
            

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