Chapitre 2 02

Les mots de Ricardo résonnaient dans l'air, lourds de sens et d'avertissements. Elara ne pouvait plus fuir. La graine en elle, ce noyau de pouvoir, pulsait toujours, chaque battement résonnant comme un écho lointain au fond de son être. La forêt elle-même semblait attendre sa réponse, prête à l'englober ou à la rejeter, selon la direction qu'elle choisirait de prendre.

Elle se redressa légèrement, les bras tendus, paumes vers le ciel, comme pour capter la moindre brise qui effleurait son visage. La forêt lui chuchotait des mots qu'elle ne comprenait pas encore. Elle sentait des racines s'enfoncer profondément sous ses pieds, s'entrelacer avec ses propres veines, et un frisson parcourut son corps. La terre, la végétation, les êtres invisibles qui peuplaient ce monde étrange - tout cela semblait faire partie d'un tout qu'elle ne pouvait appréhender entièrement.

"Je... je ne sais pas," répondit-elle finalement, sa voix un murmure à peine audible. Elle n'avait pas la force de formuler une pensée claire. Elle se sentait minuscule face à la grandeur de ce qui l'entourait. "Je ne sais même pas ce que je suis censée faire."

Ricardo la regarda longuement, une inquiétude nouvelle assombrissant son regard. Il s'approcha davantage, mais sans la toucher. Il savait que la jeune fille devait comprendre seule, sans pression extérieure, sans être poussée dans une direction. Mais il était aussi conscient que le temps pressait. Ils n'étaient pas seuls dans cette forêt. Il y avait des gens qui cherchaient à exploiter son pouvoir, des forces plus sombres, plus dangereuses. Il ne pouvait pas se permettre d'être trop patient.

"Tu as ressenti ce que la forêt a fait à ces hommes, n'est-ce pas ?" demanda-t-il doucement. "Elle réagit à toi, Elara, comme si tu étais son sang, comme si tu faisais partie d'elle. Si tu apprends à contrôler ce pouvoir, tu pourrais... Tu pourrais sauver des vies, ou les détruire. Mais ce n'est pas une responsabilité que tu peux fuir."

Elle baissa la tête, les yeux fixant ses mains, comme si elles pouvaient lui offrir une réponse. Les événements de la veille, du massacre... Tout cela semblait si irréel, un cauchemar duquel elle ne pouvait pas se réveiller. La graine en elle grandissait à une vitesse qu'elle ne pouvait comprendre, un pouvoir qu'elle n'avait pas choisi, mais qui semblait se déployer d'une manière naturelle. Une force brute et indomptée, prête à éclater au moindre faux pas.

Ricardo la regarda une dernière fois, puis se détourna lentement. "Il est temps de partir. Le danger n'est pas encore passé. Nous devons nous rendre à l'abri."

Il n'ajouta rien de plus, mais Elara comprenait la gravité de ses mots. Ils n'étaient pas seuls, et la forêt, bien qu'elle lui conférait une force étrange, était aussi remplie de dangers inconnus. Le massacre qu'elle avait vu de ses propres yeux n'était qu'un aperçu de ce qui se profilait à l'horizon.

Elle suivit Ricardo sans dire un mot. Ses pas, lourds et lents, résonnaient sur le sol, mais son esprit était ailleurs. Elle ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'il avait dit : "L'élue de la forêt". Un terme qui la laissait perplexe, comme une étiquette qu'elle n'avait jamais demandée. Pourtant, au fond d'elle, une part de vérité s'imposait. Ce n'était pas simplement la magie de la forêt qui l'appelait, c'était un destin qu'elle portait en elle, bien avant qu'elle ne le comprenne.

Ils marchèrent ainsi pendant plusieurs heures, Ricardo à l'avant, ses sens aiguisés à l'affût de la moindre menace. Il avait vécu trop de choses, avait vu trop de créatures qui rôdaient dans ces bois, et il savait qu'Elara, avec ses pouvoirs croissants, devenait une cible. Chaque pas qu'elle faisait la rapprochait du centre même de ce mystère, et chaque mouvement pouvait provoquer des conséquences qu'elle n'aurait pas le contrôle de maîtriser. Il se tourna vers elle de temps en temps, mais ne prononça aucun mot, respectant son silence, son processus intérieur.

Ils atteignirent enfin un petit abri de fortune : une cabane en bois, cachée parmi les arbres les plus épais. Ricardo s'arrêta devant la porte, la main sur la poignée, et jeta un dernier coup d'œil derrière lui, vers Elara. Ses yeux étaient sombres, pleins de doutes, mais aussi de détermination.

"Tu devras choisir, Elara," dit-il lentement, presque en murmurant. "Ce que tu veux devenir. Et tu devras le faire vite. Ce n'est pas seulement ta vie qui est en jeu, c'est celle de tous ceux qui t'entourent."

Elara n'eut pas le temps de répondre. Elle n'avait pas les mots. La forêt, la graine, la magie ancienne - tout cela était trop vaste pour qu'elle puisse y comprendre quoique ce soit d'aussi brutalement simple. Elle se contenta de regarder les arbres, silencieuse, le cœur lourd.

La porte se ferma derrière elle, mais à l'intérieur, l'air était lourd de cette même magie palpable, insidieuse. Ses yeux se portèrent vers un coin de la pièce où des symboles étaient gravés dans le bois, des signes qu'elle ne reconnaissait pas, mais qui la faisaient frissonner. Des symboles qui, elle en était sûre, avaient un lien direct avec son destin.

Tout autour d'elle semblait respirer, s'agiter, et quelque chose au fond de ses entrailles lui murmura que ce n'était que le début. La forêt l'observait, attendait. Et elle, Elara, se trouvait au cœur de ce monde.

La lumière s'estompa doucement à travers les petites fenêtres de la cabane, plongeant l'intérieur dans une semi-obscurité. Elara se tenait là, silencieuse, les mains accrochées aux bords de son manteau, ses yeux fixés sur les symboles gravés dans le bois. Ils semblaient vibrer, presque vivants, comme si une force invisibile les animait. Elle pouvait sentir leur présence, un murmure, une rumeur lointaine qu'elle n'arrivait pas à saisir.

Un frisson parcourut son échine. L'air était dense, chargé de quelque chose de surnaturel, de lourd, comme si la forêt elle-même les surveillait à travers les murs. Elle avait appris à connaître cet air épais, celui qui précède l'inattendu. La graine en elle se manifesta une nouvelle fois, se révoltant contre son silence, comme si elle réclamait qu'elle l'accepte pleinement, qu'elle lui accorde toute son attention.

Ricardo s'était installé dans un coin, l'air pensif, les bras croisés sur sa poitrine. Il n'était pas un homme de paroles inutiles, et son silence en disait long. Il savait que la jeune fille devait se confronter à ce qu'elle était, à ce qu'elle pourrait devenir. Il avait vu beaucoup de choses, trop peut-être, mais rien n'avait jamais été aussi lourd de conséquences que ce qu'il voyait en elle. Il n'était pas certain qu'Elara comprenne la portée de ce qu'elle portait en elle, mais il savait que, tôt ou tard, la forêt exigerait sa part.

La porte de la cabane s'ouvrit lentement, sans bruit, comme si l'air elle-même obéissait à un ordre secret. Un souffle de vent frais entra, caressant la peau d'Elara, mais elle ne bougea pas. Elle attendait. Quelque chose, ou quelqu'un, allait se manifester. Elle le sentait, au fond de ses entrailles.

La silhouette qui apparut dans l'encadrement de la porte n'était pas celle de Ricardo, mais celle d'une femme. Grande, mince, avec des cheveux sombres qui semblaient se fondre dans l'ombre. Elle s'avança lentement, les yeux fixés sur Elara, et dans son regard, il y avait une lumière étrange, à la fois fascinante et terrifiante.

Chancelle.

La prêtresse des anciennes croyances. La mystérieuse figure qui semblait tout savoir de la forêt et de ses secrets. Son apparition n'était pas un hasard. Elara la regarda intensément, cherchant des réponses dans ce regard calme mais perçant. La prêtresse s'arrêta à quelques pas d'elle, sans un mot. Puis, finalement, elle parla, sa voix douce mais autoritaire.

"Tu ne peux plus fuir ce que tu es, Elara," dit-elle, ses mots pénétrant l'esprit de la jeune fille comme une brise glacée. "La forêt t'a choisie, comme elle a choisi ceux qui sont venus avant toi. Mais elle n'est pas douce. Elle t'exige, elle te demande de comprendre ta place dans ce monde. Ce n'est pas une décision que tu peux prendre à la légère."

Elara détourna les yeux. La prêtresse parlait de la forêt comme si elle était une entité vivante, consciente, qui attendait qu'on la comprenne, qu'on lui accorde son obéissance. Une frayeur sourde monta en elle à cette idée. Elle n'était qu'une jeune fille, après tout, perdue dans un monde qui lui échappait complètement. Comment pourrait-elle comprendre ce qui était au-delà de ses forces ?

"Que dois-je faire ?" demanda-t-elle enfin, sa voix faible mais pleine de détermination. "Je ne sais même pas pourquoi j'ai cette graine. Pourquoi elle est en moi. Je ne sais pas... je ne sais pas ce que la forêt attend de moi."

Chancelle la regarda longuement, comme si elle attendait ce moment. Ses yeux brillèrent brièvement, comme une flamme qui vacille sous le vent.

"La graine en toi est un don et une malédiction," répondit la prêtresse, ses mots tombant lentement, lourdement. "Elle t'a choisie, non pas parce que tu le mérites, mais parce qu'elle a vu en toi un potentiel, un pouvoir qui pourrait transformer le monde. Mais tout pouvoir a un prix, Elara. Et ce prix, tu devras le payer, tôt ou tard."

Elara sentit un frisson glacé courir le long de sa colonne vertébrale. "Un prix... ?"

"Oui," confirma Chancelle. "Et ce prix pourrait être plus élevé que tout ce que tu as jamais imaginé. Mais tu n'as pas le choix, ma chère. Si tu veux comprendre ce pouvoir, si tu veux comprendre pourquoi la forêt t'a marquée, tu devras plonger dans ses racines, dans ses mystères les plus sombres. Tu devras affronter ce qui dort dans les entrailles de cette terre."

Elle se tourna alors vers Ricardo, qui observait la scène avec une attention discrète, comme si chaque mouvement de Chancelle et d'Elara était un pas vers quelque chose de plus grand, de plus incompréhensible.

"Le moment approche," murmura Chancelle. "Les forces qui se battent pour contrôler cette magie s'intensifient. Faust, Akhenaton, Geovanie... Ils ne cesseront jamais. Et toi, Elara, tu es le cœur de tout cela. Tu seras l'élément qui fera pencher la balance, pour le meilleur ou pour le pire."

Les mots de la prêtresse se bousculaient dans l'esprit d'Elara, se mélangeaient avec les échos de la forêt, des murmures qui semblaient lui parler directement, l'invitant à comprendre, à accepter. Mais pour cela, elle devait d'abord accepter ce qu'elle était, ce qu'elle portait en elle.

Elle leva enfin les yeux vers Chancelle, ses yeux brillants de la lueur d'une détermination nouvelle. Elle n'avait pas encore compris tout ce qu'elle devait faire, mais elle savait que la réponse se trouvait quelque part dans cette forêt. Et que pour y parvenir, elle n'aurait d'autre choix que de se jeter dans l'inconnu.

"Alors, montrons-moi," dit-elle d'une voix calme mais ferme. "Montrez-moi ce que je dois faire."

            
            

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