Chapitre 3 Chapitre 3

Chapitre 3

Il n'avait pas prévu de se rendre à cette soirée. Il ne savait même pas pourquoi il y était allé, en réalité. Un énième événement mondain, une de ces mascarades où l'on serre des mains, on sourit sans conviction, et on oublie les visages dès que l'on franchit la porte. Mais il s'y était rendu, comme on s'inflige une épreuve. Un acte presque mécanique, un moyen de tuer le temps. Il avait entendu parler de Lady Sinclair, mais il ne s'était pas préparé à la rencontrer ce soir-là.

Elle était là, au centre de la salle, comme une silhouette de glace dans un océan de chaleur humaine. Aucun doute, elle dominait l'espace, imposant une autorité naturelle qui la rendait insaisissable. Pas une seule personne n'osait l'approcher sans une sorte de révérence silencieuse. Elle portait une robe qui semblait taillée pour elle seule, d'un noir élégant, et ses yeux, perçants comme des éclats de verre, balayaient la pièce avec une aisance déconcertante.

James s'arrêta net. Il n'aurait pas su dire pourquoi. Elle était trop distante, trop froide, trop... inaccessibile. Et pourtant, il ne pouvait pas détourner les yeux.

C'est elle qui brisa le silence. Il la sentit avant qu'elle ne parle, une présence dans le coin de son esprit. Son regard. Ses yeux se posèrent sur lui avec cette certitude étrange que rien dans la pièce n'avait plus d'importance que lui à cet instant précis.

"James." Elle dit son nom comme si elle le connaissait déjà, et il se sentit soudainement exposé, dénudé. Elle s'approcha de lui sans un bruit, et ses gestes étaient mesurés, précis. Elle tendit la main, et ce fut comme si le monde entier s'était arrêté pour observer ce simple geste. "Lady Sinclair. Un plaisir."

Un plaisir. Un plaisir... Il hésita une fraction de seconde avant de lui serrer la main. Il n'avait jamais cru à ces formules de politesse, mais quelque chose en elle le forçait à s'y plier. Il lui répondit simplement, le regard un peu perdu.

"James, donc." Elle haussait légèrement un sourcil, comme si elle attendait quelque chose de plus, quelque chose qu'il ne savait pas donner. "Vous êtes l'homme dont tout le monde parle, n'est-ce pas ? Celui qui a tout perdu, il y a quelques mois."

Il sentit une étrange douleur s'installer au fond de son estomac. Ces mots, prononcés si froidement, étaient des poignards qu'elle enfonçait lentement. C'était presque un constat, pas une question. Et d'une certaine manière, elle avait raison. Il était celui qui avait tout perdu. Mais comment savait-elle ?

"On parle beaucoup de vous, James." Elle s'inclina légèrement. "Je suis curieuse. Je me demande comment vous vivez tout cela."

Elle n'attendait pas de réponse. Pas de réponses faciles, du moins. Elle était comme ces ombres qui dansent au coin de la pièce, insaisissables. Elle avait compris tout de suite qui il était. Et il se sentait exposé, vulnérable, mais incapable de détourner le regard.

"Je vis. C'est tout." Il se sentit obligé de répondre, même si la question ne l'intéressait pas. Ce n'était pas le genre de personne à qui il confierait quoi que ce soit. Mais d'une manière étrange, elle lui donnait l'impression qu'il pourrait lui dire ce qu'il voulait. Ou rien du tout.

Elle esquissa un sourire énigmatique. "Bien sûr." Il se rendit compte alors qu'elle ne parlait pas pour lui. Elle parlait pour elle. "Mais à quel prix ?"

Il ne comprenait toujours pas où elle voulait en venir. "Je suppose que c'est le jeu," lâcha-t-il, agacé. Il avait l'impression qu'elle jouait avec lui, une pièce parmi tant d'autres dans une partie qu'il ne comprenait pas. Mais son regard ne l'avait pas quitté. Elle le scrutait comme si elle cherchait quelque chose en lui, quelque chose qu'il ignorait.

Lady Sinclair s'éloigna légèrement, l'observant toujours, son visage parfaitement implacable. Il sentit une étrange tension monter entre eux, un fil invisible, trop tendu pour être ignoré.

"Je ne crois pas que ce soit un jeu, James." Elle attendit qu'il le regarde, qu'il capte l'éclat froid de ses yeux. "Pas pour vous. Pas pour moi non plus."

Elle se détourna légèrement et, d'un geste désinvolte, fit signe à un serveur de s'approcher. Elle murmura quelques mots à son oreille avant de revenir à James, son regard d'acier toujours fixé sur lui.

"J'ai une proposition à vous faire," dit-elle, sans détourner les yeux, "un marché. Simple."

Le sang de James se glaça. Un marché ? De quoi parlait-elle ? Il ne savait pas, mais il avait l'impression qu'il n'aurait jamais dû l'entendre. Et pourtant, il savait qu'il ne pouvait plus faire marche arrière.

"Je vous écoute." Sa voix était presque froide, un écho à celle de Lady Sinclair. Il n'était plus sûr de ce qu'il ressentait à cet instant. Un mélange de curiosité et de méfiance. Et peut-être une toute petite part de désir. Mais il n'allait pas l'admettre. Pas à lui-même, ni à elle.

Elle le regarda, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. "J'ai besoin d'un mari, James. Pas pour ce que vous croyez. Pas pour un contrat social, ni pour des raisons de façade. Pour des raisons bien plus sérieuses."

Il fronça les sourcils. "Et vous pensez que je vais vous dire oui ?"

Lady Sinclair haussait une épaule, comme si c'était un jeu pour elle. "Je n'ai jamais demandé à ce que vous disiez oui. Je vous ai juste dit ce que je voulais. C'est à vous de décider ce que vous en faites."

Le regard de James se durcit. Il voulait savoir ce qu'elle attendait de lui, mais une part de lui savait déjà qu'il n'obtiendrait aucune réponse facile. "Pourquoi moi ?"

"Parce que vous êtes celui qui a tout perdu. Parce que vous êtes celui qui a de la colère en vous. Et parce que vous avez quelque chose que beaucoup d'hommes n'ont pas : un désir de revanche. Un homme comme vous sait ce que ça coûte de perdre."

Elle parlait trop. Trop clairement. Trop directement. Ses mots résonnaient dans sa tête comme des coups, et il avait du mal à ne pas les entendre. Pourquoi lui ? Parce qu'il était brisé, parce qu'il avait de la haine et qu'elle pensait pouvoir l'utiliser. Mais il n'était pas dupe. Elle ne faisait pas ça par charité.

"Et vous, que voulez-vous, Lady Sinclair ?" demanda-t-il, avec une pointe de défi. "Vous croyez que vous pouvez acheter tout le monde ? Manipuler tout le monde ?"

Elle le fixa de nouveau, une intensité dans les yeux qu'il ne connaissait que trop bien. "Non. Je ne veux rien acheter. Je veux juste que vous m'aidiez à obtenir ce que je veux. Et je sais que vous êtes un homme qui peut comprendre ce genre de deal."

Il se sentit pris au piège. Un marché. Un simple marché. Mais il savait déjà, au fond de lui, que ce n'était pas aussi simple. Rien ne l'avait jamais été, et Lady Sinclair n'était pas quelqu'un qui laissait une porte ouverte pour sortir facilement.

Il inspira profondément. "Alors, dites-moi ce que vous attendez de moi."

Son sourire s'élargit, plus sombre cette fois. "C'est simple. De l'argent. Du pouvoir. Et un peu de chaos. Vous serez payé pour votre rôle, bien sûr. Mais vous devrez aussi prendre un engagement. Un vrai."

James sentit une étrange tension dans ses entrailles. Il ne savait pas si c'était la colère, l'ambition ou la peur qui dominait. Mais ce qu'il savait, c'était qu'il ne pouvait pas refuser. Pas après tout ce qu'il avait perdu.

"Je vous écoute," dit-il finalement, la voix basse.

Lady Sinclair lui sourit. Il n'avait toujours pas la moindre idée de ce à quoi il s'engageait. Mais ce qu'il savait, c'est qu'il venait de franchir une ligne qu'il ne pourrait plus jamais effacer.

            
            

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