C'est ainsi qu'il se retrouva devant le Conseil de la meute, un cercle de vieux loups aux visages burinés par l'expérience, aux regards perçants qui semblaient sonder son âme. La salle était enfouie sous terre, une pièce austère taillée à même la roche, où seule la lumière tremblotante des torches éclairait les visages sévères de ceux qui détenaient les réponses.
- Ce n'est pas possible, gronda Ezra, les mâchoires contractées, les poings crispés sur ses cuisses. Expliquez-moi. Dites-moi pourquoi.
Le silence s'étira, pesant.
Puis une voix rauque s'éleva, celle de l'Ancien Kael, un loup dont l'âge dépassait le siècle, dont la sagesse s'enroulait autour des mots comme un lierre étouffant.
- Le destin n'a jamais tort, Ezra Blackwood.
- Alors il s'est trompé cette fois, rétorqua l'Alpha, la rage affleurant sous sa peau.
- Non. Jamais.
Les autres membres du Conseil se regardèrent, échangeant des murmures inaudibles. Ezra sentit une vague d'agacement l'envahir. Il n'avait pas le temps pour ces messes basses, pour ces vieilles traditions emplies de secrets et de demi-vérités.
- Elle est humaine ! siffla-t-il. Comment pourrait-elle être ma compagne ?
Kael pencha légèrement la tête, ses yeux sombres s'enfonçant dans les siens.
- C'est justement la question que tu devrais te poser, Alpha.
Un silence.
Ezra sentit un frisson parcourir son échine.
- Que voulez-vous dire ?
Un autre Ancien, une femme cette fois, prit la parole. Sa voix était un murmure, un souffle à peine audible, mais chargé d'une gravité insondable.
- Rien n'arrive sans raison. Si le destin t'a lié à cette femme, alors elle n'est pas ordinaire.
Un ricanement amer s'échappa des lèvres d'Ezra.
- C'est ridicule. Elle est comme toutes les autres.
- Est-ce vraiment ce que tu ressens ?
La question le cloua sur place.
Il ouvrit la bouche, puis la referma, incapable de répondre. Son cœur cognait fort dans sa poitrine.
Il ne pouvait pas nier ce qu'il avait ressenti en la voyant. Ce lien, cette force inexplicable qui l'attirait vers elle comme une étoile attirée par le vide d'un trou noir.
C'était insensé.
Inacceptable.
- Je ne veux pas d'elle, lâcha-t-il finalement, sa voix froide comme une lame d'acier.
Kael l'observa un instant, puis hocha lentement la tête.
- Alors laisse-la.
Un silence pesant s'abattit sur la pièce.
Ezra comprit le message.
S'il voulait s'arracher à cette malédiction, il devait couper tout contact avec Ava. Ne plus la voir. Ne plus la sentir. Ne plus laisser son esprit effleurer l'idée de ce que cela ferait de l'avoir sous ses doigts, sous sa peau.
Il se leva brusquement.
- C'est ce que je vais faire.
Puis il tourna les talons et quitta la salle sans un regard en arrière.
***
Ava sortait du café, son sac en bandoulière sur l'épaule, les joues encore rougies par la chaleur des cuisines. La nuit était tombée depuis une heure déjà, et l'air était frais, porteur de cette odeur particulière des soirées d'automne.
Elle marcha d'un pas rapide, se fondant dans la foule des passants nocturnes. Mais malgré l'agitation autour d'elle, une étrange sensation la suivait, cette même tension inexplicable qui la hantait depuis plusieurs jours.
Depuis cette nuit.
Depuis lui.
Elle ne l'avait pas revu. Pas une seule fois.
Et pourtant...
Elle le sentait.
C'était insensé, mais réel. Comme si un fil invisible la reliait à quelque chose – ou quelqu'un – tapi dans l'ombre.
Elle s'arrêta au coin d'une rue, sortant machinalement son téléphone. Son reflet dans l'écran noir lui renvoya un visage troublé, perdu dans une tempête de pensées qu'elle ne maîtrisait pas.
Pourquoi cette rencontre la hantait-elle autant ?
Pourquoi avait-elle l'impression qu'il était toujours là, quelque part, à la surveiller ?
Elle secoua la tête, rangea son téléphone et reprit sa marche.
C'est alors qu'elle le vit.
D'abord une ombre, floue, indistincte. Puis une silhouette.
Et enfin, lui.
Son cœur manqua un battement.
Ezra Blackwood.
Il était là, de l'autre côté de la rue, debout sous la lumière blafarde d'un lampadaire, immobile comme une statue.
Leurs regards se croisèrent.
L'instant s'étira, électrique.
Ava sentit une vague de chaleur lui grimper le long de la colonne vertébrale, une tension brute et indomptable qui la fit frissonner.
Mais quelque chose était différent.
Il ne bougea pas. Ne fit aucun geste vers elle.
Son regard... était froid.
Glacial.
Un frisson d'incompréhension la traversa.
Il détourna les yeux et s'éloigna sans un mot.
Sans un regard en arrière.
Comme si elle n'était rien.
Comme si elle n'avait jamais existé.
Ava resta figée, un poids lourd dans la poitrine, une douleur qu'elle ne comprenait pas.
Pourquoi ce rejet brutal ?
Pourquoi cette sensation d'être brûlée vive par un feu qu'elle ne maîtrisait pas ?
Elle voulut avancer, l'interpeller, exiger des réponses.
Mais ses jambes refusèrent de bouger.
Et déjà, il avait disparu.
Elle se tenait là, seule dans la rue déserte, le cœur battant la chamade, un étrange vide envahissant chaque recoin de son être. La lumière du lampadaire éclairait faiblement ses traits, mais rien ne semblait capable d'éclaircir l'obscurité dans son esprit. Ava cligna des yeux, essayant de dissiper la brume qui envahissait ses pensées. Elle l'avait vu. Il avait été là. Pourtant, en un clin d'œil, il était parti, comme un spectre, comme si son apparition n'avait été qu'un mirage.
Les échos de ses pas, secs et déterminés, se perdirent dans la nuit. Ava se sentit soudainement perdue, rejetée par ce monde qu'elle croyait comprendre. Le monde des hommes et des femmes ordinaires, celui dans lequel elle évoluait tous les jours. Mais ce qu'elle avait vécu ces derniers jours, cette attraction insensée qu'elle ressentait pour lui, n'avait rien de normal. Elle secoua la tête. Tout cela ne faisait aucun sens.
Elle rentra chez elle, les pensées toujours en tourmente. Mais la vérité se faisait de plus en plus évidente : Ezra Blackwood n'était pas un simple homme.
Elle s'effondra sur le canapé, les mains posées sur son visage, tremblante d'incertitude. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Et surtout, pourquoi ce silence, cette distance glaciale qu'il avait mise entre eux ?
Elle aurait voulu l'oublier. Le chasser de ses pensées comme on se débarrasse d'un mauvais rêve. Mais plus elle essayait, plus son image s'incrustait en elle, irrépressible.
Elle se leva brusquement, sans savoir pourquoi, et s'approcha de la fenêtre. Son regard se perdit dans l'obscurité de la rue. Un silence lourd enveloppait la ville. Pourtant, au fond d'elle, Ava savait que ce n'était pas fini.