Chapitre 5 05

La tension entre eux était palpable, suspendue dans l'air comme un orage sur le point d'éclater. Léa, toujours immobile, sentait le poids du regard de Rafael sur elle, perçant, inquisiteur. L'enveloppe qu'elle tenait entre ses doigts semblait soudain peser une tonne, comme si son simple contact la liait à un secret qu'elle n'avait pas encore déchiffré.

Il s'approcha lentement, sans précipitation, comme un prédateur sûr de son emprise sur sa proie. Le parquet ciré grinça sous ses pas, mais il n'émit aucun autre bruit. Léa n'osait bouger. Chaque fibre de son corps lui hurlait de reculer, de briser ce contact silencieux, mais elle se força à rester droite, à ne pas montrer la moindre faille.

Lorsqu'il fut suffisamment proche, Rafael tendit la main et récupéra l'enveloppe d'un geste lent, délibéré, ses doigts frôlant brièvement les siens. Ce contact fugace suffit à lui rappeler qu'elle n'avait jamais eu le dessus dans cette histoire. Il était celui qui dictait les règles.

- Je ne pensais pas que tu étais du genre curieuse, murmura-t-il en observant l'enveloppe, comme s'il en évaluait lui-même le contenu.

Léa soutint son regard avec une défiance qu'elle peinait à maintenir.

- Je ne le suis pas. Mais quand une inconnue débarque dans cette maison pour me jauger comme un animal en cage, je crois que j'ai le droit de chercher à comprendre.

Un sourire imperceptible effleura les lèvres de Rafael, mais il ne répondit pas immédiatement. Il tourna légèrement l'enveloppe entre ses doigts, jouant avec la tension qui flottait entre eux.

- Bianca est une femme importante dans ma vie, déclara-t-il finalement.

Léa sentit son estomac se contracter, mais elle s'efforça de ne rien laisser paraître.

- Une ancienne amante ? demanda-t-elle, sa voix plus froide qu'elle ne l'aurait voulu.

Rafael la détailla, comme s'il mesurait l'impact de chaque mot avant de les prononcer.

- Une alliée.

Cette réponse, vague et insaisissable, ne fit qu'accroître l'irritation de Léa. Elle voulait des vérités, pas des demi-mots glissés avec l'habileté d'un homme qui savait manipuler les silences.

- Une alliée dans quoi ?

Il haussa légèrement un sourcil, comme amusé par son insistance.

- Dans mes affaires.

Léa sentit la frustration monter. Elle savait que Rafael ne répondrait jamais clairement, pas sans raison. Il préférait l'embrouiller, lui donner juste assez d'informations pour éveiller ses soupçons sans jamais lui offrir les pièces du puzzle.

- Et moi dans tout ça ? demanda-t-elle. Suis-je aussi une alliée dans tes affaires ?

Cette fois, il ne sourit pas. Il la regarda avec cette intensité troublante qui la clouait sur place, cette façon d'analyser chaque réaction, chaque frisson imperceptible.

- Tu es bien plus que ça, murmura-t-il enfin.

Léa sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il y avait dans sa voix une promesse à double tranchant, quelque chose qui relevait autant de l'emprise que de la protection.

Il glissa l'enveloppe dans la poche intérieure de sa veste, mettant fin à la conversation.

- Ne te mêle pas de choses qui te dépassent, Léa.

Puis il se détourna, quittant la pièce avec cette même assurance implacable.

Léa resta seule, le cœur battant, une certitude ancrée en elle.

Elle était prisonnière d'un jeu dont elle ne connaissait pas les règles.

Mais elle était bien décidée à les découvrir.

Les jours qui suivirent furent marqués par un étrange silence. Rafael était occupé par ses affaires et s'absentait souvent, laissant Léa seule dans l'immense demeure qui, malgré son luxe, ressemblait toujours à une prison. Elle n'avait pas revu Bianca, mais son souvenir continuait de la hanter, comme une ombre invisible qui planait autour d'elle.

Elle passait ses journées à explorer la maison, cherchant à comprendre l'univers dans lequel elle avait été plongée contre son gré. Tout ici était millimétré, contrôlé, parfait. Rien ne dépassait, pas un seul élément ne semblait laissé au hasard. Cette obsession du contrôle lui rappelait Rafael lui-même. Chaque pièce était une extension de sa personnalité, un reflet de sa maîtrise absolue sur son environnement.

Mais plus elle observait, plus elle percevait quelque chose d'étrange. Derrière le vernis impeccable, derrière l'opulence et la puissance, il y avait des failles. Des portes fermées à clé. Des murmures entre les domestiques, aussitôt étouffés dès qu'elle entrait dans la pièce. Des regards furtifs qui semblaient la considérer comme une intruse.

Un soir, alors que le manoir était plongé dans un calme pesant, Léa décida de pousser plus loin son exploration. Elle connaissait déjà les espaces visibles, ceux où Rafael la laissait circuler librement. Mais il y avait des endroits où elle n'était jamais allée, des ailes entières du manoir qu'il semblait vouloir garder hors de sa portée.

Elle attendit que la maison s'endorme, que les lumières s'éteignent une à une. Puis, d'un pas feutré, elle quitta sa chambre et longea les couloirs sombres, son souffle suspendu dans la pénombre.

Son instinct la guida vers une porte en bois massif, située au bout d'un couloir où elle n'allait jamais. Elle posa la main sur la poignée et la tourna lentement. Verrouillée.

Mais alors qu'elle s'apprêtait à reculer, elle entendit un bruit derrière elle.

Un frisson lui parcourut l'échine.

- Tu es bien plus curieuse que je ne l'imaginais.

La voix de Rafael brisa le silence, et Léa sentit son cœur s'emballer. Elle se retourna lentement et découvrit sa silhouette massive dans l'obscurité. Il n'avait pas allumé la lumière, mais elle distinguait parfaitement ses traits sous la lueur pâle qui filtrait par les grandes fenêtres.

Il s'approcha lentement, et Léa recula jusqu'à sentir la porte contre son dos.

- Qu'y a-t-il derrière cette porte ? demanda-t-elle, refusant de détourner les yeux.

Il s'arrêta à quelques centimètres d'elle, son regard plongé dans le sien.

- Rien qui te concerne.

Sa réponse était sèche, tranchante, sans appel. Mais Léa savait reconnaître un mensonge lorsqu'elle en entendait un.

Elle soutint son regard, cherchant à percer son masque.

- Si c'est un secret, c'est que ça me concerne.

Un silence. Puis, lentement, Rafael esquissa un sourire presque imperceptible.

- Tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds, Léa.

Sa main effleura la sienne sur la poignée, et d'un mouvement fluide, il la fit reculer sans effort, prenant sa place devant la porte. Il ne la brusquait pas, mais il imposait sa présence avec une aisance déconcertante.

- Tu devrais retourner dans ta chambre.

Elle aurait pu protester, exiger des réponses, mais elle savait que ce soir, il ne lui dirait rien. Il se tenait là, impassible, inébranlable, comme un mur contre lequel elle ne pouvait que s'écraser.

Alors, sans un mot de plus, elle fit volte-face et s'éloigna dans le couloir, son esprit bouillonnant de questions.

Rafael la regarda partir, son expression indéchiffrable. Puis, lentement, il passa une main sur la porte verrouillée.

Derrière ce bois massif se cachait un secret.

Un secret qu'elle ne devait jamais découvrir.

                         

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