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Léa observait les vagues s'échouer doucement sur le rivage, leur ressac régulier créant une mélodie apaisante qui contrastait avec le tumulte de ses pensées. La plage, d'une beauté sauvage et presque irréelle, semblait isolée du monde. Le sable fin glissait sous ses pieds, et l'odeur salée de l'océan emplissait ses poumons à chaque inspiration. Pourtant, malgré cette impression de liberté, elle savait que chaque parcelle de cet endroit appartenait à Rafael Silva. Tout ici portait son empreinte, de la villa somptueuse dominant la falaise aux gardes postés dans l'ombre, veillant sans jamais vraiment se montrer.
Elle avait accepté l'invitation, non par envie, mais parce qu'elle avait besoin de respirer, de sentir qu'elle pouvait encore décider, même si ce n'était qu'une illusion. Le manoir la privait d'air. Ses couloirs immenses et silencieux, son luxe étouffant, tout semblait conçu pour lui rappeler qu'elle n'avait plus de contrôle sur son destin. Ici, face à l'océan, elle pouvait presque se convaincre du contraire. Presque.
Le vent chaud faisait danser ses cheveux, collant quelques mèches à son front moite. Elle avait quitté ses chaussures pour sentir la fraîcheur du sable, goûtant à cette sensation simple comme un acte de rébellion. Depuis son arrivée, elle n'avait cessé d'analyser son environnement, de chercher un moyen de s'échapper, d'anticiper les mouvements de Rafael. Mais il était toujours un pas devant elle, patient, implacable.
Elle s'éloigna de la berge, remontant vers un sentier discret bordé de végétation luxuriante. Loin de la plage, l'air devenait plus dense, chargé d'humidité. Un léger bruit derrière elle attira son attention. Léa s'arrêta, tendit l'oreille. Rien. Juste le bruissement du vent dans les feuillages. Pourtant, son instinct lui soufflait qu'elle n'était pas seule.
Elle reprit sa marche, cette fois plus vite. Son cœur battait plus fort, non par peur, mais par agacement. Elle savait que Rafael la faisait surveiller, qu'il la testait, mesurant chaque réaction, chaque mouvement. Elle n'était pas idiote. Il attendait qu'elle se lasse de lutter, qu'elle comprenne que rien ne lui échappait.
Elle déboucha sur une clairière où trônait un pavillon ouvert, surplombant l'océan. Une table en bois sombre, quelques fauteuils en osier, et cette vue infinie sur l'horizon. Tout ici respirait la tranquillité, un piège dissimulé sous l'apparente sérénité.
Léa s'adossa à un pilier et ferma les yeux. Depuis combien de temps était-elle ici ? Quelques jours seulement, et pourtant elle avait l'impression d'avoir perdu pied avec la réalité. Son ancienne vie lui semblait lointaine, floue. Elle n'avait plus de repères, plus de certitudes.
Rafael Silva ne l'avait pas touchée, ne l'avait pas contrainte physiquement, et pourtant elle sentait son emprise s'étendre sur elle comme une ombre invisible. Il n'avait pas besoin de forcer quoi que ce soit. Il attendait.
Le soir tombait lorsque Léa regagna la villa. Le personnel s'affairait dans un ballet silencieux, mettant la table pour un dîner auquel elle n'avait pas envie d'assister. Elle monta à l'étage, se glissa dans sa chambre et referma la porte derrière elle. Ici, au moins, elle pouvait prétendre à un semblant d'intimité.
Les grandes baies vitrées offraient une vue plongeante sur la mer, illuminée par les reflets argentés de la lune. Elle retira sa robe légère, la laissa glisser au sol et enfila une chemise de soie qu'elle avait trouvée dans le dressing, probablement choisie pour elle. Tout était calculé. Rafael ne laissait rien au hasard.
Elle s'allongea sur le lit immense et fixa le plafond. Son esprit refusait de se taire, repassant chaque détail, chaque échange avec Rafael, chaque regard échangé. Il était insaisissable. Froid, méthodique, mais avec cette intensité troublante dans le regard, cette certitude qui la déstabilisait.
Elle ne voulait pas se laisser atteindre. Elle ne voulait pas qu'il gagne.
Mais dans cet endroit où tout lui échappait, elle se demandait combien de temps elle pourrait encore résister.
Léa se réveilla en sursaut, désorientée par l'obscurité qui enveloppait la pièce. Son souffle était court, sa peau moite de sueur. Elle mit quelques secondes à se souvenir d'où elle était, du silence oppressant du manoir, du poids invisible qui pesait sur elle depuis son arrivée. Loin de l'agitation de sa vie d'avant, elle était ici prisonnière d'un luxe qui lui donnait le vertige.
Elle se leva, repoussant les draps avec brusquerie. Le parquet froid sous ses pieds nus lui arracha un frisson, mais elle n'y prêta pas attention. Elle traversa la chambre à pas feutrés et ouvrit la baie vitrée. L'air nocturne s'engouffra immédiatement, apportant avec lui l'odeur salée de l'océan et un soupçon d'humidité.
Dehors, tout semblait figé dans une quiétude presque irréelle. La mer, sombre et mystérieuse, s'étendait à perte de vue. Au loin, elle aperçut les lumières de Rio scintiller comme un rappel cruel du monde dont elle était coupée. Elle aurait voulu être là-bas, au milieu des rues bruyantes et animées, loin de cet homme qui avait réduit sa vie à un jeu de pouvoir dont elle ne maîtrisait plus les règles.
Mais partir était impossible. Elle le savait.
Elle se détourna du balcon et retourna s'asseoir sur le bord du lit. Ses mains tremblaient légèrement, et elle détestait ce signe de faiblesse. Elle refusait de se laisser dominer par la peur, par cette sensation d'être prise au piège. Pourtant, chaque jour passé sous ce toit la rapprochait un peu plus d'un point de rupture qu'elle n'osait pas nommer.
Elle pensa à Rafael. À son regard perçant, à sa posture toujours maîtrisée, à cette manière qu'il avait de se tenir face à elle, sûr de lui, impassible, comme s'il avait déjà gagné une bataille qu'elle refusait de reconnaître. Il n'avait pas tenté de la séduire, pas cherché à la convaincre par des mots doux ou des promesses mensongères. Il n'en avait pas besoin. Sa simple présence suffisait à lui rappeler qu'il contrôlait chaque détail de cette situation.
Un bruit infime attira son attention. Un grincement furtif, presque imperceptible. Elle tourna brusquement la tête vers la porte, son cœur battant plus fort. L'obscurité du couloir s'étendait devant elle, immobile, silencieuse. Avait-elle rêvé ?
Elle se leva lentement, s'approcha de l'entrée et posa sa main sur la poignée. Un instant, elle hésita. Son souffle était suspendu, son corps tendu dans l'attente d'un signe, d'un mouvement. Mais rien ne vint.
Elle finit par reculer, secouant la tête. Son imagination lui jouait des tours.
Le sommeil ne revint pas cette nuit-là.
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Le lendemain matin, le manoir était déjà en effervescence lorsque Léa descendit. Les domestiques allaient et venaient, discrets et efficaces, tandis que le personnel de sécurité occupait stratégiquement chaque recoin du domaine. L'ordre et la discipline régnaient en maîtres, à l'image de l'homme qui dirigeait cet empire.
Elle s'installa dans la véranda, une tasse de café entre les mains. Le ciel était d'un bleu éclatant, et la chaleur déjà pesante annonçait une journée accablante. Pourtant, elle se sentait glacée de l'intérieur.
Une voix grave interrompit le fil de ses pensées.
- Tu as mal dormi.
Elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qui se tenait derrière elle. Rafael. Toujours là, toujours à l'observer avec cette intensité qui la mettait mal à l'aise.
Elle ne répondit pas immédiatement, se contentant de fixer l'horizon.
- Ça arrive, finit-elle par dire d'une voix neutre.
Il s'approcha, prit place en face d'elle sans la quitter des yeux. Il était impeccable, comme toujours. Costume sur mesure, montre luxueuse, chaque détail étudié avec précision. Il incarnait la puissance dans ce qu'elle avait de plus brut, de plus inébranlable.
- Ce manoir est sûr, reprit-il calmement. Personne ne peut y entrer sans mon autorisation.
Léa serra légèrement les doigts autour de sa tasse.
- Je n'ai pas peur.
Un léger sourire effleura les lèvres de Rafael. Il n'insista pas, mais elle savait qu'il avait perçu l'infime tension dans sa posture, la fatigue dans son regard. Il voyait tout.
Un silence s'installa entre eux. Pas oppressant, mais chargé de non-dits.
Léa finit par détourner les yeux. Elle ne voulait pas lui laisser l'avantage, mais ici, dans cet univers qu'il contrôlait, elle avait l'impression de jouer une partie déjà perdue d'avance.
Et c'était peut-être ça, le plus dangereux.