Chapitre 4 04

Les nuits étaient longues, étouffantes, empreintes d'un silence presque oppressant. Léa ne trouvait plus le sommeil, hantée par l'impression que quelque chose se tramait dans l'ombre. Depuis qu'elle avait surpris cette conversation dans le salon, son esprit ne cessait d'échafauder des hypothèses. Rafael n'était pas un simple homme d'affaires, elle en avait la certitude. Son pouvoir ne reposait pas uniquement sur sa fortune. Il y avait autre chose, une force invisible qui lui permettait de contrôler son environnement avec une précision presque inquiétante.

Elle avait essayé d'en savoir plus, d'observer, de tendre l'oreille aux murmures qui s'échangeaient dans les couloirs. Mais chaque tentative se soldait par un échec. Le personnel du manoir était d'une discrétion absolue, obéissant à des règles strictes qu'elle ne pouvait contourner. Les visages qu'elle voyait étaient toujours les mêmes, à quelques exceptions près. Des hommes aux regards froids, vêtus avec élégance, mais dont l'attitude trahissait une vigilance constante. Ils n'étaient pas là pour gérer des affaires classiques.

Un soir, elle décida de sortir de sa chambre et d'explorer le manoir plus en profondeur. Elle connaissait déjà les pièces principales, les couloirs illuminés où l'opulence s'affichait sans retenue. Mais il y avait des endroits qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de voir, des portes qui restaient fermées en permanence. Elle devait comprendre ce qui se passait réellement derrière ces murs.

Elle marcha prudemment dans l'obscurité, évitant les endroits où elle savait que des gardes pouvaient se trouver. Son souffle était court, son cœur battant plus vite à chaque pas. Elle ne savait pas exactement ce qu'elle cherchait, mais elle sentait qu'elle n'était pas loin d'une vérité qui lui échappait encore.

Elle atteignit une aile du manoir qu'elle n'avait jamais explorée. Ici, l'atmosphère était différente. Plus froide, plus austère. Les couloirs étaient moins décorés, les murs presque nus. Elle avança lentement, posant la main sur une porte entrebâillée. Derrière, une lumière tamisée filtrait à travers l'entrebâillement.

Elle s'apprêtait à jeter un coup d'œil à l'intérieur quand une voix retentit derrière elle.

- Je me demandais quand tu tenterais quelque chose comme ça.

Elle sursauta, son souffle se bloquant dans sa gorge. Rafael se tenait là, adossé au mur, les bras croisés sur son torse. Il était vêtu d'une chemise sombre, le col légèrement ouvert, son regard fixé sur elle avec une intensité troublante.

- Tu me surveilles ? demanda-t-elle, tentant de masquer son trouble.

Il esquissa un sourire, un de ces sourires qui ne révélaient rien mais signifiaient tout.

- Je n'ai pas besoin de te surveiller. Je sais exactement comment tu réagis à chaque situation.

Elle serra les poings, frustrée par son assurance constante.

- Alors tu savais que j'allais chercher à comprendre ce que tu caches ici ?

Il s'approcha lentement, réduisant la distance entre eux jusqu'à ce qu'elle puisse sentir la chaleur de son corps.

- Je savais que tu essaierais. Mais tu ne trouveras rien, Léa. Pas encore.

Il tendit la main et referma doucement la porte qu'elle s'apprêtait à ouvrir.

- Pourquoi me cacher des choses ? Si tu veux vraiment que je reste ici, alors dis-moi la vérité.

Un éclat passa dans ses yeux sombres.

- La vérité ? Tu n'es pas encore prête à l'entendre.

Elle sentit un frisson lui parcourir l'échine. Ce n'était pas une menace. C'était une promesse.

Il posa une main sur son bras, un contact à peine perceptible mais suffisant pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas d'autre choix que de reculer.

- Retourne dans ta chambre, Léa. Tu as déjà vu assez de choses pour ce soir.

Elle hésita, tentée de protester, de forcer le passage. Mais quelque chose dans son regard lui fit comprendre qu'elle n'obtiendrait rien de plus ce soir.

Sans un mot, elle tourna les talons et repartit sur ses pas.

Mais elle le savait.

Il y avait des secrets dans cette maison.

Et elle finirait par les découvrir.

Les jours s'étiraient avec une lenteur suffocante, emprisonnant Léa dans un quotidien où chaque détail semblait savamment orchestré pour l'empêcher de fuir. Elle n'avait plus la notion du temps, seulement cette impression d'être prise au piège d'un jeu dont elle ne maîtrisait ni les règles ni les enjeux.

Le manoir des Silva, aussi somptueux soit-il, lui paraissait désormais être un labyrinthe doré. Chaque pièce regorgeait d'un luxe écrasant, chaque couloir résonnait du silence oppressant qui enveloppait ses pas. Les domestiques l'évitaient, répondant à ses questions avec des sourires polis mais vides de sens. Quant à Rafael, il était partout et nulle part à la fois. Toujours à proximité, toujours conscient de ses moindres gestes, sans jamais donner l'impression de la surveiller ouvertement.

Elle comprenait maintenant que son contrôle ne se limitait pas aux affaires et aux contrats qu'il signait d'un geste assuré. Il était ancré dans la façon dont il influençait son entourage, dans la manière subtile dont il plaçait ses pions sans que personne ne s'en aperçoive.

Léa tentait de ne pas se laisser écraser par cette emprise invisible. Elle passait ses journées à explorer le domaine, guettant une faille dans cette prison dorée. Mais rien n'était laissé au hasard. Même lorsqu'elle se promenait dans les vastes jardins, un regard furtif derrière son épaule suffisait à lui rappeler qu'elle n'était jamais vraiment seule.

Un soir, incapable de supporter plus longtemps cette claustrophobie oppressante, elle décida de s'aventurer hors du manoir. Elle connaissait désormais les horaires du personnel, les rondes des gardes postés aux entrées. Elle avait repéré une aile du domaine moins surveillée, donnant sur une cour discrète bordée d'une haie imposante.

L'air nocturne était lourd, chargé d'humidité et de promesses d'orage. Elle avança prudemment, son cœur battant à un rythme effréné, chaque bruit amplifiant sa tension. Son objectif était simple : atteindre les grilles à l'arrière du domaine, disparaître dans la nuit avant que quiconque ne remarque son absence.

Mais elle n'eut pas le temps d'atteindre son but.

Une silhouette surgit de l'ombre, bloquant son passage avec une précision glaciale.

- Je pensais que tu comprendrais à présent, Léa.

Rafael.

Son ton était calme, mais l'acier sous-jacent était indéniable. Il se tenait là, impassible, comme s'il avait anticipé chacun de ses mouvements.

Elle sentit la colère monter en elle, une frustration brûlante qui lui donnait envie de crier.

- Tu m'espionnes ? demanda-t-elle, la voix tremblante d'indignation.

- Je t'empêche de commettre une erreur, corrigea-t-il doucement.

Elle serra les poings.

- Me retenir prisonnière, c'est ça ton idée du contrôle ?

Un éclat traversa ses yeux sombres.

- Ce n'est pas une prison, Léa. C'est une protection.

Elle éclata d'un rire amer.

- Contre quoi, exactement ?

Il s'approcha d'un pas mesuré, réduisant la distance entre eux avec une aisance calculée.

- Contre des dangers dont tu n'as même pas conscience.

Elle le défia du regard, refusant de céder à l'intimidation silencieuse qu'il exerçait sur elle.

- Laisse-moi partir, Rafael.

Un silence pesa entre eux. Puis, lentement, il esquissa un sourire indéchiffrable.

- Tu n'es pas prête.

Sans qu'elle ne comprenne comment, il venait une fois de plus de refermer une porte sur elle. Une porte invisible, mais plus infranchissable encore que les grilles du domaine.

Léa sentit une vague de frustration l'envahir, mais aussi une certitude grandissante.

Il y avait quelque chose que Rafael lui cachait.

Et quoi que ce soit, elle devait le découvrir.

Le lendemain matin, l'orage avait éclaté dans la nuit, laissant derrière lui une atmosphère lourde et chargée d'électricité. Le ciel, encore voilé de nuages bas, peignait le domaine des Silva d'une teinte sombre et oppressante. Léa se réveilla avec cette même sensation de poids sur la poitrine, un mélange de frustration et d'incertitude qui l'empêchait de trouver un semblant de paix.

Elle se leva lentement, jetant un regard vers les grandes fenêtres qui donnaient sur l'immensité du parc. Chaque jour passé ici ne faisait que renforcer son impression d'être une étrangère dans un monde qui ne lui appartenait pas. Pourtant, quelque chose en elle commençait à s'adapter à ce décor, à ces murs trop hauts et ces silences trop pesants.

Rafael n'avait pas reparu depuis leur confrontation nocturne. Il était parti tôt, comme toujours, absorbé par ses affaires, laissant derrière lui cette absence oppressante qui pesait plus lourd que sa présence. Léa savait qu'il reviendrait, toujours avec cette même certitude implacable, toujours avec cette façon de tout contrôler sans jamais sembler lever le moindre effort.

Déterminée à ne pas se laisser écraser par ce sentiment d'impuissance, elle quitta sa chambre et descendit l'immense escalier de marbre qui menait au rez-de-chaussée. Le manoir était étrangement silencieux à cette heure, comme si toute vie s'était momentanément figée.

Dans le grand salon, elle trouva une femme qu'elle n'avait jamais vue auparavant. Élégante, vêtue d'une robe beige parfaitement ajustée, ses longs cheveux bruns encadraient un visage aux traits raffinés. Elle se tenait près de la cheminée, une coupe de café à la main, observant les flammes d'un air pensif.

Lorsque Léa entra, la femme tourna lentement la tête vers elle.

- Vous devez être Léa.

Sa voix était douce, mais teintée d'une assurance qui lui donna immédiatement l'impression d'avoir affaire à quelqu'un d'important.

- Et vous êtes... ?

La femme esquissa un léger sourire avant de poser sa tasse sur la table en verre.

- Bianca Almeida. Une vieille amie de Rafael.

Un frisson imperceptible parcourut Léa. Elle n'avait jamais entendu parler de cette femme, mais il y avait quelque chose dans son attitude qui la mettait mal à l'aise.

- Une amie, répéta-t-elle en s'efforçant de garder une expression neutre.

Bianca inclina la tête, son regard perçant détaillant Léa comme si elle évaluait un adversaire.

- C'est le mot qu'il utiliserait, en tout cas.

Léa sentit une tension sourde s'installer.

- Pourquoi êtes-vous ici ?

Bianca se rapprocha, ajustant la manche de sa robe avec une précision presque mécanique.

- Je voulais voir par moi-même qui était la femme que Rafael avait décidé d'épouser.

Le cœur de Léa se serra. Il y avait une lueur de défi dans les yeux de Bianca, une ombre de quelque chose qu'elle n'arrivait pas à définir.

- Et alors ? demanda-t-elle en croisant les bras.

Bianca sourit, mais ce sourire n'avait rien de chaleureux.

- Vous êtes différente de ce que j'imaginais.

Léa soutint son regard sans ciller.

- Je suis sûre que Rafael vous a déjà dit que je n'avais pas choisi d'être ici.

- Oh, bien sûr. Mais Rafael obtient toujours ce qu'il veut.

Léa sentit une pointe glacée lui traverser l'échine.

- Vous semblez bien le connaître.

Bianca s'approcha encore, réduisant la distance entre elles d'un pas mesuré.

- Mieux que vous ne le pensez.

Un silence lourd s'installa.

Léa comprit alors qu'elle n'avait pas seulement affaire à une amie de Rafael. Cette femme était bien plus que cela. Et elle était venue avec un but précis.

Elle devait découvrir lequel, avant qu'il ne soit trop tard.

Les heures qui suivirent la visite de Bianca laissèrent une empreinte étrange sur Léa, comme un parfum persistant dont elle ne pouvait se débarrasser. Il y avait eu dans cette rencontre quelque chose de trop maîtrisé, trop calculé. Cette femme n'était pas venue par simple curiosité. Elle était venue pour sonder, jauger, peut-être même avertir.

Léa passa l'après-midi enfermée dans sa chambre, réfléchissant à ce que signifiait réellement la présence de Bianca dans la vie de Rafael. Une ancienne amante ? Une associée ? Une menace déguisée en alliée ? Tout dans son attitude laissait entendre qu'elle en savait plus qu'elle ne voulait bien l'admettre.

Le soleil déclinait lentement sur Rio, teintant le ciel de nuances dorées et pourpres. Léa se redressa sur le fauteuil où elle s'était laissée tomber, l'ombre des doutes pesant toujours sur ses épaules. Elle ne pouvait pas se contenter d'attendre, passive, que les réponses lui viennent.

Elle quitta sa chambre et longea les couloirs silencieux du manoir, ses pas feutrés sur les tapis épais. L'atmosphère avait quelque chose d'oppressant à cette heure-ci, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.

Sans vraiment y penser, elle se retrouva devant la porte du bureau de Rafael. C'était la deuxième fois qu'elle s'y aventurait, et cette fois, elle n'attendit pas d'y être invitée.

Elle poussa la porte et pénétra dans la pièce.

L'endroit était exactement comme elle l'avait laissé la dernière fois : ordonné, froid, dénué de tout élément personnel. Mais cette fois-ci, quelque chose attira immédiatement son regard. Sur le bureau, parmi les dossiers soigneusement empilés, trônait une enveloppe de papier crème.

Elle s'approcha lentement, tendit la main et effleura du bout des doigts le papier épais. Un nom était écrit à l'encre noire sur le devant. Bianca Almeida.

Le cœur de Léa rata un battement.

Pourquoi Rafael aurait-il une lettre adressée à cette femme, exposée ainsi sur son bureau ? Était-ce une coïncidence ou un message délibérément laissé là pour être vu ?

Elle hésita, tira l'enveloppe vers elle et sentit l'adrénaline pulser dans ses veines. Avant qu'elle ne puisse prendre une décision, un bruit derrière elle la figea sur place.

- Tu cherches quelque chose ?

La voix grave de Rafael résonna dans la pièce comme une lame s'abattant sur la pierre.

Léa redressa la tête et rencontra son regard sombre, impénétrable. Il était appuyé contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, une expression indéchiffrable sur le visage.

Elle serra l'enveloppe entre ses doigts.

Elle avait peut-être mis les pieds sur un terrain plus dangereux qu'elle ne l'avait imaginé.

            
            

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