L'inspecteur reconnaissait que ses techniques d'interrogatoires semblaient peut-être plus efficaces mais on devait quand même lui laisser son enquête, pour une fois que c'était facile ! Il se retint de frapper du poing le mur à côté de lui, fort heureusement car Lafleur arrivait dans le couloir. Il força un sourire et demanda :
« Alors, du nouveau ?
- La petite est rentrée chez elle
- Tu l'as laissé partir ?
- Oui, il était temps qu'elle se repose
- Très professionnel
- Je ne comprends pas
- Tu laisses partir la meurtrière pour qu'elle se repose ? Ah, oui, quand elle sera bien reposée ta petite protégée, elle pourra aller tuer encore ! Et ça c'est si elle se repose, elle est peut-être déjà en train de traquer sa prochaine proie !
- Tu crois que c'est elle ?
- Je ne voudrais pas vous manquer de respect mais c'est évident que c'est elle !
- Je ne crois pas
- Crois ce que tu veux mais arrête de libérer les coupables quand on a la chance d'avoir mis la main dessus facilement
- Ce n'est pas normal que ce soit facile
- Mais elle n'est pas normale ! Elle a fait exprès ! Elle est restée près du corps pour s'innocenter, si tu tiens tellement aux crayons de couleur, elle s'en est servie pour amadouer la victime, aller vient, on va dessiner, vive la vie, et bam !
- Avec quoi, bam ?
- Mais c'est ça qu'on cherche ! C'est ça qu'on devrait chercher au lieu de faire des analyses de crayons de couleur !
- OK »
Sur ce, l'inspecteur fit volteface. Il en avait par-dessus la tête. Ce n'était pas de cette manière qu'ils allaient récolter les preuves pour inculper définitivement la fille. L'arme du crime devait être quelque part chez elle et voilà qu'elle était en route vers son domicile où elle pourrait prendre tout le temps qu'il lui faudrait pour la dissimuler. Cela n'allait pas se passer comme ça. Il devait agir, faire quelque chose pour empêcher qu'elle ne leur file entre les doigts. Il se dirigea vers sa voiture de fonction en passant chercher un policier au passage, mais pas celui qui les avait accompagnés sur le Mont-Royal, celui-là, il le sentait, ne lui était pas tout à fait subordonné malgré ses airs de premier de classe. Il ne laissa même pas le temps au policier de prendre ses affaires et d'enfiler ses gants qu'il était déjà dans la voiture et tournait le contact. L'adresse. Il avait oublié de prendre l'adresse. Il laissa le moteur tourner et se précipita à l'intérieur du poste de police. Il courut jusqu'à son bureau, chercha parmi les papiers celui où figurait l'adresse de la fille et grogna de ne pas le trouver. Il leva la tête, scruta le vide, serra les dents et d'un pas lourd fit trembler le couloir qui menait au bureau de Lafleur.
« Qui a fouillé dans mes affaires ?
- Quelqu'un a fouillé dans tes affaires ?
- Oui, c'est inadmissible !
- Je suis d'accord
- C'est toi ?
- Bien sûr que ce n'est pas moi
- Alors c'est qui ?
- Comment veux-tu que je le sache ?
- Quelqu'un a pris mon dossier !
- Quel dossier ?
- Mon dossier sur l'affaire !
- Un voleur, peut-être ? Il faudrait monter un dossier.
- Si j'apprends que c'est vous, je vais... je vais... vous faire ravaler vos criss de jokes.
- Reste poli s'il te plait, j'ai rien pris, regarde mieux, tu l'as pas donné à ceux qui font les analyses ? Qui est sur l'enquête ?
- Y a juste... »
L'inspecteur hésita, garda les sourcils froncés, menaça de son doigt Lafleur qui restait clame, recula, se retourna, franchit la porte et sans la refermer, s'engouffra dans le couloir. Il sortit du poste tête baissée, rejoignit sa voiture, s'installa, demanda au policier qui l'attendait s'il avait le dossier, celui-ci le sortit d'une enveloppe brune, l'inspecteur lui arracha presque des mains. Le givre sur le pare-brise avait eu le temps de fondre, il se mit en mode drive, appuya sur l'accélérateur et manœuvra sa voiture hors du stationnement de police. Il n'y avait pas beaucoup de temps à perdre mais les sirènes auraient peut-être été de trop, l'énervement ne devait pas non plus l'empêcher de rester professionnel, il n'avait pas envie de se faire réprimander à cause de cette fille. Elle le poussait à bout, il devenait mauvais, se reprendre en main était une nécessité. Il s'arrêta juste à la sortie du stationnement, les roues avant sur le trottoir, posa son front sur le volant et prit quelques profondes respirations. Le policier le regarda faire sans rien oser dire. Une femme et sa fille en poussette firent un détour sur la piste cyclable pour pouvoir passer car le trottoir était bloqué, il releva la tête juste à temps pour recevoir un regard noir de la part de la mère. Il sut qu'elle avait pensé qu'il se croyait tout permis. Il chuchota : « si tu savais ».